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Animaux de laboratoire: une évolution positive

Le peuple décidera le 13 février si la Suisse doit interdire toute expérimentation animale sur son sol. L’occasion de retracer la longue histoire de notre usage des animaux à des fins scientifiques.

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Animaux de laboratoire

Aujourd’hui, la garde et le traitement des animaux de laboratoire répondent à des standards très exigeants, notamment pour les singes. Ici Paul, l’un des quatre macaques mâles de l’Institut de neuroinformatique de l’Université de Zurich.

Frank Brüderli/UZH

Il n’existe guère de miroir plus fidèle de la nature humaine que les rapports que notre espèce entretient avec les animaux. D’abord parce que l’être humain est lui-même un animal, même si cette évidence scientifique demeure irrecevable, pour des raisons philosophiques ou religieuses, pour certains. Notre cerveau aux performances sans équivalent dans l’histoire de l’évolution nous a certes placés, pour le meilleur et pour le pire, au sommet de la pyramide du vivant. Mais Homo sapiens n’est qu’un vertébré parmi 70 000, qu’un mammifère parmi 6500, qu’un primate parmi les 200 espèces survivantes.

Si l’expérimentation animale nous place devant des problèmes d’éthique, c’est justement parce qu’il est impossible de ne pas s’identifier, en tant qu’animal nous-mêmes, à ces millions de créatures plus ou moins cousines (très majoritairement aujourd’hui des rongeurs et des poissons, et plus rarement que jamais des chiens, des chats, des lapins et des singes) qu’on isole, manipule, tourmente, voire sacrifie pour mener des études scientifiques à des fins médicales et vétérinaires avant tout.

Les premières mentions d’expérimentation animale datent de la Grèce antique. Et déjà cette pratique suscitait des controverses d’ordre éthique. Des philosophes comme Pythagore, souvent cité par les animalistes actuels, plaidaient en effet pour un respect sans concession des animaux, en prônant notamment le végétarisme.

Mais l’usage systématique des animaux à des fins scientifiques ne débute vraiment qu’avec le XIXe siècle. La révolution industrielle et ses nouvelles technologies bouleversent les rapports des êtres humains à la nature. Cette dernière semble (à tort) sur le point de livrer tous ses secrets, moyennant notamment quelques coups de scalpel sans état d’âme. Pas question de s’embarrasser de principes: «Le physiologiste n’est pas un homme du monde, c’est un savant, c’est un homme qui est saisi et absorbé par une idée scientifique qu’il poursuit: il n’entend plus les cris des animaux, il ne voit plus le sang qui coule, il ne voit que son idée, et n’aperçoit que des organismes qui lui cachent des phénomènes qu’il veut découvrir», écrivait ainsi le physiologiste français Claude Bernard, dans son «Introduction à la médecine expérimentale en 1865.»

Il faut quand même rappeler que, à cette époque, on débattait encore de la possibilité de mener des expériences lourdes sur les êtres humains, notamment sur des criminels. Louis Pasteur lui-même avait écrit au roi du Brésil pour demander l’autorisation de tester son vaccin contre la rage sur des condamnés à mort, qui auraient ainsi pu choisir entre l’exécution imminente et ce statut de cobaye infecté par un virus aux effets épouvantables.

Animaux de laboratoire

Dans son édition du 25 juillet 1984, «L’illustré» relaie le lancement par Franz Weber de l’initiative populaire «Pour la suppression de vivisection». Elle sera rejetée à 70% par le peuple l’année suivante.

Illustré

Parallèlement à cet enthousiasme scientifique sans état d’âme, la défense de la cause animale commençait à se structurer. En Occident, la première loi protectrice envers les animaux est promulguée en 1822 en Angleterre. Le Martin’s Act soumettait alors à l’amende tout traitement cruel avéré envers des veaux, bœufs, chevaux ou moutons. La Société protectrice des animaux est créée en France en 1845 et une loi sur les mauvais traitements infligés aux animaux domestiques est votée en 1850 par les députés de la Deuxième République. Mais il s’agit alors presque exclusivement de freiner la souffrance des animaux qu’on peut observer quotidiennement dans la rue et dans les campagnes. L’expérimentation animale à des fins scientifiques profite encore de son confinement dans des laboratoires et des universités. Et le prestige de la science est tel à cette époque des premiers vrais succès médicaux qu’il préserve encore celle-ci des accusations de cruauté sur les animaux.

C’est en 1875 que les expériences de laboratoire deviennent un véritable enjeu. Un mouvement antivivisectionniste se crée cette année-là en Angleterre. Une loi réglementant la vivisection y est promulguée en 1876. Et partout en Europe des voix s’élèvent, des militantes souvent liées à la cause féministe et stimulées par l’usage des chiens qui supplantent progressivement les chevaux. Ce mouvement s’essouffle pourtant rapidement, balayé par les polémiques sur la rage et sur le vaccin contre celle-ci. Cette maladie pourtant très rare était en effet devenue une obsession européenne. Il fallait notamment éliminer les chiens de l’espace public. L’époque n’est décidément plus à l’attendrissement envers nos amies les bêtes.

Dans la foulée, le nombre d’expériences sur les animaux explose au XXe siècle. Mais les deux guerres mondiales contribuent à étouffer les polémiques. Et le procès des médecins nazis en 1947 débouchera sur le Code de Nuremberg, un code en dix points qui exige notamment des tests préliminaires sur les animaux.

Changement d’ambiance dès les années 1950: la prise de conscience écologique naissante va indirectement redonner du souffle à la cause des animaux de laboratoire. Le mot «éthique» devient omniprésent dans la recherche scientifique à des fins médicales. En 1959, on édicte donc la règle des 3R, qui induit des améliorations et propose aussi de recourir, quand c’est possible, à des méthodes sans animaux. Cette règle des 3R consiste à:​

  • Remplacer les modèles animaux par des modèles alternatifs;
  • Réduire le nombre d’animaux utilisés en expérimentation;
  • Raffiner la méthodologie en utilisant des méthodes peu invasives et en définissant des points limites, afin d’éviter des souffrances inutiles.

L’expérimentation animale entame alors enfin une nécessaire révolution éthique. Les débuts de l’astronautique vont aussi contribuer à sensibiliser le public et confirmer que le progrès scientifique ne peut pas tout se permettre. Car avant de pouvoir envoyer des humains en orbite, il fallait s’assurer que des mammifères pouvaient survivre à l’état d’apesanteur et au rayonnement cosmique. Mais il était difficile, voire impossible de réaliser ces expériences discrètement et la rivalité spatiale entre Russes et Américains avait besoin de héros, même à poil, pour être incarnée. Il fallait médiatiser ces aventures animalières, quelle que soit leur issue. En 1957, les Russes désignent volontaire une chienne nommée Laïka pour devenir le tout premier être vivant de l’espace, tout en sachant que l’engin ne serait pas capable de ramener l’animal en vie. Laïka meurt d’ailleurs sept heures seulement après le lancement, à cause de la surchauffe de la capsule. Le rapport soviétique officiel maintiendra durant des décennies une version édulcorée, presque romantique de cette agonie. Insuffisant pour les défenseurs des animaux en Occident, qui seront nombreux à manifester leur colère devant des ambassades russes.

De leur côté, les Américains utiliseront des chimpanzés. Les premiers moururent en mission. La NASA mettra donc en avant Ham, un chimpanzé camerounais qui survécut à un vol suborbital en 1961 et mourut en 1983 dans un parc zoologique, entouré d’une bande de congénères. Ce pionnier malgré lui a même droit à sa tombe, devant le Musée de l’histoire spatiale du Nouveau-Mexique, à Alamogordo. Pourtant, des militants de la cause animale dénoncèrent plus tard des méthodes d’entraînement par chocs électriques que l’animal et ses collègues primates avaient dû endurer.

Après l’établissement de la règle des 3R, il y a plus de soixante ans, l’expérimentation animale sera de plus en plus cadrée par des règlements drastiques, du moins dans les pays démocratiques. Parmi les décisions récentes les plus fortes, l’Union européenne a interdit en 2010 les expériences sur les grands singes après le Japon, l’Australie et d’autres pays industrialisés. En Suisse, même si la législation n’est pas aussi claire, on ne pratique plus non plus d’expériences contraignantes sur des chimpanzés ou des gorilles.

Désormais, un décompte des animaux utilisés pour la recherche est exigé à l’unité près. Les protocoles sont stricts et visent à réduire à la fois le nombre d’animaux et les souffrances infligées. Il faut prouver qu’il n’existe pas de méthode alternative fiable. Des instances de contrôle, incluant parfois des associations de défense des animaux, peuvent intervenir à l’improviste dans n’importe quelle animalerie ou laboratoire. Il est ainsi légitime d’affirmer que la recherche scientifique actuelle – hormis de rarissimes, inévitables et néanmoins scandaleuses exceptions – a atteint un niveau d’éthique proche du maximum possible envers les animaux de laboratoire.

Aux citoyens de choisir désormais entre ce maximum d’éthique et le maximalisme lourd de conséquences des initiants, qui demandent aussi, rappelons-le, l’interdiction d’importer de nouveaux médicaments développés à l’aide d’expériences sur les animaux.

Par Phillipe Clot publié le 9 février 2022 - 08:34