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Le changement d'heure, quelle histoire!

Dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 octobre, on reculera à nouveau nos montres d’une heure. L’occasion de revenir sur l’histoire du changement d’heure et de nous souvenir qu’au 19e siècle, chaque ville suisse avait une heure différente!

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La tour de l’Ile: l’horloge genevoise indiquait au XIXe siècle l’heure de Genève, 10 h 13, celle de Paris, 9 h 58 et celle de Berne, 10 h 18. Bibliothèque de Genève
Baumann Patrick

>> Cet article a été publié originellement en 2018.

Traumatisés du mini-jet-lag que constitue le fait de changer d’heure deux fois par année, réjouissez-vous! Dans la nuit du samedi 27 au dimanche 28 octobre, ce sera peut-être l’avant-dernière fois que nous allons reculer nos montres d’une heure à 3 heures du matin. La Commission européenne vient en effet d’indiquer son souhait d’abolir ces allers-retours de cadran dès 2019, histoire de rejoindre la majorité du globe qui vit à la même heure toute l’année. Une décision qui fait suite à un sondage en ligne, réalisé cet été, qui a vu 84% des 4,6 millions d’Européens consultés exprimer leur souhait d’en finir avec cette instabilité temporelle et une préférence marquée pour l’heure d’été.

Bien sûr, cette directive devra encore être validée par le Parlement européen et le Conseil de l’Europe en mars prochain avant d’entrer en vigueur. Elle prévoit que chaque Etat membre devra, au plus tard en avril 2019, notifier de façon permanente l’heure d’été ou l’heure d’hiver et le dernier changement obligatoire aura lieu le 31 mars 2019 pour l’heure d’été et le 27 octobre 2019 pour ceux qui choisiront l’heure d’hiver. En espérant toutefois, on le comprend, que les 27 feront preuve de bon sens en uniformisant leur choix «afin de préserver le bon fonctionnement du marché intérieur et d’éviter la fragmentation», dixit la Commission européenne. Vous imaginez le casse-tête s’il faut changer d’heure plusieurs fois dans la même journée lors d’un voyage à travers l’Europe?

Et la Suisse dans tout ça? Elle ne sera évidemment pas consultée, ne faisant pas partie de l’Union européenne, mais elle devra s’aligner à coup sûr, comme elle le fait depuis 1981, sur le diktat horloger imposé par Bruxelles, sous peine de se voir transformée en îlot temporel, ce qu’elle a d’ailleurs été au cours de son histoire, nous allons y revenir.
Deux options s’offriront donc à nous en fonction du choix européen. Si nous sommes contraints d’abandonner l’heure d’été, le Conseil fédéral peut décider seul de le faire, il dispose de bases légales pour supprimer l’ordonnance sur l’heure d’été; si au contraire nous la plébiscitons, il faudra alors que le parlement s’en mêle et change la loi qui stipule aujourd’hui que la Suisse est officiellement à l’heure de l’Europe centrale (HEC).

Ne pas perturber les vaches!

Mais au fait, cette fameuse heure d’été qui suscite tant de controverses, d’où vient-elle et depuis quand existe-t-elle? C’est l’écrivain et homme politique américain Benjamin Franklin qui a eu le premier l’idée, en 1784, de décaler les horaires dans la perspective de réaliser des économies d’énergie. Sur fond de Première Guerre mondiale, l’Allemagne l’a mise en pratique le 30 avril 1916 afin d’économiser le charbon, suivie par l’Angleterre un mois plus tard. En Suisse, pas de précipitation, eu égard à notre tempérament précautionneux. En 1917, après un vaste débat, qui ne sera de loin pas le dernier, le Conseil fédéral prend position contre l’heure d’été. Estimant que les économies de charbon ne sont pas suffisantes pour justifier d’avancer d’une heure l’horloge nationale. Et puis les agriculteurs vont invoquer, eux, un argument de poids... d’au moins 200 kilos. Avec une traite avancée de soixante minutes, les vaches vont être perturbées et toute la production de lait risquerait d’en souffrir. Il y a péril sur la fondue! Le débat refera néanmoins surface durant la Seconde Guerre mondiale. En 1941, le Conseil fédéral se décide finalement à imposer l’heure d’été à des fins d’économies, mais mettra un terme à l’expérience deux ans plus tard. Essai non concluant.

Comme la Suisse, de nombreux pays vont abandonner l’heure d’été après la Seconde Guerre mondiale. Il faudra attendre le choc pétrolier des années 1970 pour la voir ressurgir. L’Italie l’adopte en 1970, la France en 1976, l’Allemagne et l’Autriche en 1980. De nouveau, pourtant, le décalage horaire ne passe pas la frontière helvétique. Le 28 mai 1978, les Suisses refusent à 52% par référendum de perdre une heure de sommeil au printemps. La perturbation causée aux bovins est de nouveau évoquée entre autres arguments. Manifestement, le bonheur des vaches semble une préoccupation nationale.C’est ainsi que trois ans durant, notre pays va demeurer un îlot temporel au milieu de l’Europe. Mais il finira par s’aligner sur le changement d’heure en 1981. L’argument qui fera foi aux yeux de nos autorités: il faut faciliter le fonctionnement du marché unique au moyen d’une règle uniforme. Christoph Blocher tentera bien de lancer une initiative populaire pour abroger cette décision en 1982, mais n’obtiendra pas le nombre de signatures nécessaire. En 2016, la conseillère nationale UDC lucernoise Yvette Estermann a déposé une motion pour en finir avec le changement d’heure. Dans sa réponse, en février 2017, le Conseil fédéral a rappelé qu’il ne voyait pas de raison d’abandonner le système actuel. Aujourd’hui, c’est l’Europe qui pourrait donc le contraindre à changer d’avis.

Pas d’économie d’énergie!

S’il y a bien un argument que les défenseurs de l’apéro prolongé n’osent plus avancer en faveur de l’heure d’été, ce sont les économies d’énergie qu’elle génère. En 2010 déjà, l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) reconnaissait qu’elles étaient nulles et que le contraire était plutôt vrai: on consomme plus d’électricité en restant plus longtemps en terrasse qu’en rentrant dormir chez soi. «C’est toujours notre position», relève Fabien Lüthi, spécialiste médias et politique à l’OFEN, qui ajoute qu’aucune nouvelle étude concernant l’impact énergétique d’un changement d’heure n’a été réalisée depuis.

Du côté des opposants à la perte d’une heure de sommeil au printemps, les arguments les plus souvent avancés sont toujours les mêmes: stress accru, trouble de l’endormissement et de l’alimentation, perturbation des animaux. Il est vrai que le sanglier qui a l’habitude de traverser peinard sa route à 5 heures du matin le 24 mars ne comprend pas pourquoi le trafic s’intensifie d’un coup le 25! «Avec la perte d’une heure, le passage à l’heure d’été a plus d’impact sur l’organisme que le changement en automne», relevait dans la presse le Dr José Haba Rubio, médecin associé au centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV. Ajoutant que le changement d’horaire est plutôt un signe de perturbation qu’un avantage pour la santé. «Plus l’horaire est régulier, mieux c’est!» Une étude suédoise avait d’ailleurs mis en évidence en 2008 un impact cardiologique important: 5% d’infarctus en plus chez les personnes à risque les heures qui suivent le passage à l’heure d’été.

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Infographie parue dans un supplément du «Berner Tagblatt» le 3 juin 1894 à propos de l’introduction en Suisse de l’heure d’Europe centrale (Mitteleuropäische Zeit, M.E.Z.) qui a eu lieu deux jours auparavant. Alors que la montre du centre est à midi…

Berner Heim/Bibliothèque Nationale Suisse

Chaque ville avait son heure

Autant de questions qui vont ressurgir l’an prochain lorsqu’il s’agira de choisir l’heure à laquelle nous en tenir en Europe occidentale. Un dilemme presque cornélien qui ferait à coup sûr sourire nos ancêtres, eux qui pendant longtemps n’ont pas vécu à la même heure au sein même de ce si petit pays. C’est difficile à imaginer à l’heure des horloges atomiques, mais il fut un temps où il existait par exemple entre Genève et Lausanne 1 minute et 57 secondes de différence, 3 minutes et 8 secondes avec Neuchâtel, 4 minutes et 1 seconde avec Fribourg et 4 minutes et 50 secondes avec Sion. Imaginez le casse-tête pour établir un horaire CFF! Comme l’écrit Jakob Messerli, directeur du Musée d’histoire de Berne, dans un article sur la mesure du temps, «au milieu du XIXe siècle, les horloges mécaniques étaient encore réglées dans tout le pays d’après les cadrans solaires. La création de l’Etat fédéral en 1848 n’entraînera aucune unification des systèmes de mesure du temps et chaque localité suisse a continué à avoir son heure propre. Avec une différence de 18 minutes entre les points extrêmes du territoire, d’est (val Müstair) en ouest (canton de Genève).» C’est l’installation du réseau télégraphique, en 1852, qui va sonner le glas de la coexistence d’heures différentes sur le territoire. L’accélération des communications exige un système unifié. En 1853, le Conseil fédéral fera adopter l’heure moyenne de Berne pour l’ensemble du trafic postal et télégraphique. Dès 1860, cette heure fut fixée quotidiennement par l’Observatoire de Neuchâtel. Les chemins de fer vont s’aligner eux aussi sur l’heure bernoise, qui deviendra, dans la seconde moitié du XIXe, la norme nationale, et Berne, la capitale temporelle du pays. Eh oui, nous vivions à l’heure de Berne sans toujours nous en douter. Enfin, pour ceux que ces histoires d’horloge indiffèrent, on peut toujours se raccrocher à cet adage intemporel venant du latin: «Il faut, pour donner du prix aux jours, ne pas en compter les heures!»

Par Baumann Patrick publié le 17 octobre 2018 - 08:58, modifié 27 octobre 2022 - 09:00