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Dossier glyphosate

Claude Peguiron a choisi: «Le chimique, c’est fini!»

L’utilisation de certains désherbants provoquait 
des saignements de nez et des maux de tête à répétition chez ce paysan vaudois. Il y a quatre ans, Claude Peguiron a décidé de passer à l’agriculture biologique. Mais un tel changement ne va pas sans difficultés et découvertes. Récit.

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Simple locataire de sa ferme, Claude Peguiron exploite 28 hectares de grandes cultures: blé, seigle, colza, maïs, tournesol. Il tient ici un brin de soja, destiné à fabriquer du tofu. Julie de Tribolet

Claude Peguiron

Agriculteur bio à Mex (VD), 46 ans, marié, trois enfants.

Claude Peguiron a fixé rendez-vous à 8 heures du matin dans sa ferme qui voisine avec le château du village, sommeillant sous ses platanes. Il accueille en agriculteur jovial et prolixe, enthousiasmé par son métier, et commence par dire que les journées sont trop courtes et que tant d’activités l’attendent aujourd’hui: sortir les fumiers de sa stabulation, s’occuper de ses projets de construction. C’est un grand travailleur: à une époque, comme d’autres paysans, il a dû cumuler jusqu’à trois emplois pour joindre les deux bouts. Les abattoirs la nuit et le matin, l’agriculture l’après-midi, une fonction chez Securitas le soir. Il lui est arrivé de ne dormir qu’une heure. Passé au bio en 2014 après avoir fait ses comptes avec soin, il s’efforce de ne plus revivre pareil quotidien de folie.

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L’agriculture bio demande de remplacer les produits chimiques par des machines onéreuses pour désherber et davantage de travail manuel. Julie de Tribolet

Une inquiétude perle, pourtant. S’exprimer dans un journal n’est pas si simple. La dernière fois qu’il a évoqué ses problèmes de santé ressentis avec certains herbicides et le choix qu’ils ont provoqué, il a eu droit à quelques remarques acides du monde agricole. Normal, ces produits, dont le glyphosate fait partie, sont si pratiques et économiques. «En réalité, il faudrait être fou pour s’en priver, ironise Claude Peguiron. Ils permettent d’obtenir des champs propres, débarrassés de toutes les mauvaises herbes, prêts à l’emploi pour l’année suivante. Même moi, j’ai encore de la peine à voir des champs bios moins nets, avec des herbes folles.» Surtout, le glyphosate évite le labourage, cette pratique qui érode les sols et bouleverse leur biodiversité, des vers de terre aux insectes. Une lampée de désherbant et le tour était joué.
Avec une nuance capitale pour la Suisse, sur laquelle le paysan insiste. Chez nous, la culture n’est pas en contact avec le glyphosate, on ne le répand qu’après la récolte. A l’étranger, c’est différent. Aux Etats-Unis, par exemple, les agriculteurs l’utilisent jusqu’à trois semaines avant la moisson. Ils dispersent le fameux Roundup pour faciliter le travail de la moissonneuse, avec des conséquences potentiellement nuisibles pour le consommateur. En Suisse, c’est interdit.

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Un outil pour arracher les lampés, ou rumex, une mauvaise herbe très répandue. Julie de Tribolet


Lui, il exploite son domaine depuis 2003. Il a d’abord été associé pendant deux ans avec son prédécesseur. Un homme qui, pour être diplomate, ne lésinait pas sur les herbicides depuis une trentaine d’années. Claude Peguiron n’a jamais beaucoup apprécié. «Je me suis vite aperçu de quelques effets indésirables. Çà et là, il y avait des parties de cultures brûlées et moins de rendement. Même si la plante est censée être tolérante, le désherbant avait un effet sur elle. Peut-être parce qu’on en avait mis un peu trop, comme si vous preniez plusieurs aspirines au lieu d’une…»

Cela a commencé à le faire réfléchir. Il s’est mis à observer les champs bios alentour, à poser des questions aux utilisateurs. Et puis il a remarqué combien les herbicides le gênaient. S’il a lui-même toujours utilisé très peu de glyphosate, qui n’existe que sous forme liquide, il a souffert de plusieurs autres herbicides, surtout ceux qui dégageaient des vapeurs. «J’ai toujours été sensible des sinus et des poumons. Pendant dix ans, à chaque fois que je manipulais certains de ces produits, notamment celui pour la culture des tournesols, je me mettais à saigner du nez. Pareil qu’un hémophile. Je me bouchais le nez avec des mouchoirs, mais j’avais mal à la gorge, à la tête et aux poumons. Cela m’embêtait pendant quelques jours, puis cela passait.» Peu à peu, il s’est équipé d’un masque. «J’ai eu des remarques de mes collègues. Ils me disaient que je faisais peur aux citadins.»

D’autres aspects l’ont troublé. Les semences, par exemple, sont enrobées de produits chimiques. «Ce blé, on le brasse aussi à la main. Personne ne nous a avertis d’un quelconque danger.» Finalement, un jour, alors qu’il giclait du désherbant avec une boille à dos, les ganglions sous ses bras se sont mis à gonfler nettement, ainsi que sa langue. Là, il a eu peur. Ses collègues, eux, ont toujours plutôt minimisé les risques. Pour eux, avoir mal à la tête après avoir traité fait partie de la vie des paysans.
En 2014, alors qu’il enfilait ses gants et ses bottes comme d’habitude et qu’il rinçait consciencieusement son matériel, il a pris sa décision. Certain qu’à «notre échelon, on peut faire quelque chose», il s’est convaincu de laisser un monde propre à ses enfants. Il a donc décidé de «se passer de la chimie», comme il dit.
Ce ne fut pas une décision évidente. Il a dû revoir sa manière de cultiver. «J’ai dû me réhabituer à d’autres techniques. Je ne regrette pas mon choix, mais j’ai réalisé combien d’heures manuelles supplémentaires de désherbage cela signifiait. Et combien certaines cultures étaient difficiles à exploiter.» Par exemple la betterave, qui nécessite un grand nombre d’heures passées à racler.
Pour ses cultures, il a dû acquérir des machines, onéreuses, qui remédient à l’utilisation de ces produits. Mais il lui faut souvent passer deux à trois fois sur son champ et avoir la météo de son côté pour être efficace. Et il arrive que l’herbe repousse par endroits: «J’aime bien dire que le désherbant représentait notre charrue.» Les chardons, qui envahissent et se propagent facilement dans les champs, sont devenus sa bête noire. «Ils demeurent un gros problème. Chaque année, on revient là-dessus avec les organisations bios, pour disposer de meilleurs moyens de les combattre.»

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Avec son fils Donovan, 12 ans. Outre 30 vaches allaitantes, il possède quelques poules. Julie de Tribolet


Un peu comme les cyclistes dans le sport d’élite, il a l’impression que les paysans sont bien plus pointés du doigt que d’autres professions. Que le jardinier amateur qui force la dose pour traiter quelques mètres carrés ou les médicaments rejetés dans les toilettes et qui terminent dans les eaux sont plus toxiques.
Il l’accepte et il s’accroche: «J’ai fait mes comptes. Le canton encourage cette façon de cultiver, en payant une prime à l’hectare, en sachant que les rendements sont inférieurs et les coûts plus élevés qu’en agriculture conventionnelle. Je me dis que si j’ai de la chance et que je travaille correctement, je vais m’en sortir, et même mieux. Pour le moment, je ne m’en sors pas moins bien qu’avant.» Il se bat pour que les grandes firmes, telle Migros, arrêtent d’importer des denrées moins chères. «Pourquoi par exemple cette huile de palme, moins saine et cause de déforestation, au détriment de nos huiles de tournesol et de colza suisses?»Et il n’a plus mal à la tête, sauf s’il passe à côté de champs récemment traités à «la chimie»…

Par Marc David publié le 31 août 2018 - 08:55, modifié 18 janvier 2021 - 21:00