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Interview

Didier Burkhalter, la parole d’un homme libre

Depuis qu’il a quitté le Conseil fédéral, le Neuchâtelois se consacre entièrement à sa passion d’écrire. Nous nous sommes baladés le long du rivage au bord duquel il a puisé l’inspiration de son deuxième ouvrage, «Là où lac et montagne se parlent».

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Didier Burkhalter, au milieu des roseaux qui bordent le Laténium, le musée archéologique situé à Hauterive, au bord du lac de Neuchâtel. Blaise Kormann

Une brise légère souffle dans les roseaux qui chatoient sous la caresse du soleil matinal.
Profondément serein, Didier Burkhalter s’y trouve au plus proche de ses racines. Celles-là mêmes qu’il a souhaité retrouver en quittant le gouvernement l’automne dernier. Souriant, détendu, l’ancien conseiller fédéral est heureux de nous accompagner dans une lente balade sur cette terre fertile qui lui a servi d’inspiration pour son deuxième roman. Devenu écrivain prolixe à la plume sûre et belle, le Neuchâtelois de 58 ans a choisi le pied du Jura pour évoquer les valeurs portées par Là où lac et montagne se parlent, roman poétique bien plus politique qu’il n’y paraît.

Que devenez-vous depuis votre départ du Conseil fédéral?

Je mets en pratique ce que j’avais annoncé. J’écris, au propre et au figuré, une nouvelle page de vie. On peut résumer tout cela en disant que j’exprime autrement – en fait par des histoires et des personnages – les mêmes valeurs qui ont coloré ma vie jusqu’à présent. La carrière politique active est terminée, après trente-deux ans de passion, et je suis heureux d’avoir eu la force de me lancer dans une nouvelle étape du voyage extraordinaire de la vie.

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  Blaise Kormann

Où avez-vous trouvé cette force de faire le grand saut?

Dans mes livres, j’évoque parfois une petite voix qui parle en nous, que l’on n’écoute pas forcément assez, puis qui revient, insistante, accompagnante, et qui nous guide. A l’image d’Aga dans Là où lac et montagne se parlent, cette jeune femme qui devient progressivement aveugle, tout en développant, parallèlement, des visions en avance sur son temps. C’est cette petite voix intérieure que j’ai écoutée, finalement. Elle m’avait dit que le temps était venu de prendre des distances avec l’activité gouvernementale, collégiale, et d’embrasser pleinement la liberté, de m’exprimer à ma manière, à la fois différemment et avec continuité. En ce sens, c’est elle qui m’a donné de la force.

Qu’avez-vous fait les jours qui ont suivi?

J’ai quitté Berne le mardi 31 octobre 2017 dans la soirée avec mon épouse. Nous sommes rentrés à Neuchâtel directement depuis le Palais fédéral ouest après avoir souhaité beaucoup de réussite et de bonheur à toutes les personnes qui étaient venues nous dire au revoir ce soir-là. Le lendemain matin, je me suis mis à écrire. J’ai écrit les récits d’Enfance de terre d’une traite, avec le cœur, pendant une dizaine de jours et de nuits. J’aurais peut-être dû me reposer par la suite, mais j’avais déjà mon deuxième livre en tête, que j’ai écrit durant la pause de Noël et de Nouvel An. Ma région, la vie telle que je l’ai ressentie, les origines très lointaines et toutes proches: tout était là et sortait à nouveau comme une rivière. Motivation supplémentaire: mon épouse a fait le tableau qui se trouve en page de couverture.

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Michel Jeanneret, rédacteur en chef de «L’illustré», au côté de Didier Burkhalter. Blaise Kormann

Pour quelle raison vous êtes-vous mis à écrire?

J’ai toujours aimé écrire. Il y a une sorte de calme absolu, d’adéquation avec soi-même, de force d’expression, de passion pour la vie et de liberté d’imagination. Bref, j’aime cela profondément. Ceci dit, ma vie d’acteur politique jusqu’ici ne m’avait pas donné carte blanche pour pouvoir vivre ainsi la liberté d’écrire et de publier. Par ailleurs, je ressens un fort intérêt pour la forme romanesque de l’écriture. Ainsi, je travaille actuellement à un nouveau roman. Il paraîtra cet été et donnera une grande place à la mer, en retraçant les destins transatlantiques de personnages passant, au gré des tragédies de la vie et de la recherche de leurs origines perdues, de la France aux Etats-Unis et au Canada, et inversement, dans la période allant de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle.

Ecrire, est-ce une façon de ne pas «disparaître»?

Non. Au contraire, je souhaite ne pas trop apparaître dans l’espace public, ou en tout cas vivre pleinement d’une autre manière que comme «ancien conseiller fédéral».

Pourquoi avoir consacré votre tout premier livre à l’enfance?

Parce que j’aime les enfants. Et puis parce que le premier livre que j’ai écrit dans cette nouvelle période de ma vie était en quelque sorte inscrit dans mon cœur. Il s’agissait, à la base, des moments et des rencontres qui m’avaient le plus touché. Paradoxalement, ce n’étaient pas les événements officiels mais bien de «petites perles» de la vie, «volées» en marge des programmes contraignants, là où l’on a soudainement l’impression de toucher à l’essentiel, à la condition humaine de notre temps, dans un monde en pleine tourmente. En fait, j’accorde naturellement la même importance personnelle à toute rencontre, que ce soit avec un grand président ou avec un tout petit enfant. C’est ma nature, je suis comme cela. Et j’avais pris conscience qu’il fallait que je parle de ces moments avec des enfants, des jeunes, des femmes d’un courage exceptionnel, dans des camps de réfugiés ou en territoire de tensions et de conflits, luttant pour surnager dans les océans de corruption de leur pays ou dans les vagues de souffrances de la misère, se battant pour leurs droits, si légitimes, et pour leurs perspectives, si nécessaires.

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Sri Lanka, Akkarai, région de Jaffna, au nord/chapitre du livre «Enfance de terre» intitulé «Nethmi et Rashmi». Kapilan Selvanayagam

Ce regard sur les plus vulnérables, est-ce l’héritage principal de huit ans passés au Conseil fédéral?

Si c’est un héritage, alors c’est l’héritage du cœur. Mais je ne crois pas qu’il soit bon de faire une hiérarchie de tout ce qui s’est passé. La vie de conseiller fédéral est très dense et les événements qui la construisent sont très différents et parfois incomparables. J’ai beaucoup apprécié, par exemple, de pouvoir agir à la tête de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), en 2014. A la fin de cette année-là, de double présidence (de la Confédération et de l’OSCE), j’étais épuisé mais reconnaissant d’avoir eu la chance de pouvoir faire cela. Ceci dit, je crois utile, en effet, de parler en Suisse du courage des «anonymes» de notre pays et du monde, des «énormes petits cœurs», comme je les appelle, de la nécessité de se mobiliser pour construire des perspectives d’avenir à la jeunesse de notre planète, de lui donner davantage de chances d’éviter de plonger dans les trop nombreuses horreurs existant sur cette terre.

Ces enfants, vous avez gardé contact avec eux?

Je n’ai pas de contact, maintenant. Mais j’ai essayé de rester au courant de la manière dont l’avenir se construit pour certains d’entre eux. D’ailleurs, je pense que la décision de quitter la fonction de conseiller fédéral et de ministre des Affaires étrangères a commencé à poindre lors de deux voyages du printemps 2017 que j’évoque dans Enfance de terre: en Jordanie, dans le camp d’Azraq, là où nous avions tenu notre parole de réaliser le réseau d’eau pour les dizaines de milliers de réfugiés, et notamment pour le petit Ahmed décrit dans le livre, assoiffé de vivre; et puis aussi le voyage en Ukraine, à Marioupol, avec le départ de l’un de nos convois humanitaires traversant la ligne de contact et la visite de l’hôpital pour enfants qui venait de recueillir une petite fille abandonnée, née quelques semaines auparavant, dont je n’oublierai jamais le regard à la fois déterminé et transperçant.

Dans le deuxième ouvrage de Didier Burkhalter, il est aussi question de famille et de clan. Nous évoquons le destin d’Alix, une jeune femme qui s’active pour sauver la planète et ses habitants d’un déclin programmé. Alix découvre qu’à se consacrer à l’humanité, elle en a oublié de «vivre pour quelques êtres seulement; fonder une famille». Difficile de ne pas y voir une analogie avec les raisons profondes pour lesquelles le conseiller fédéral a quitté ses fonctions, au terme de trente ans d’engagement politique.

Lors de votre départ de Berne, vous avez expliqué votre besoin de revenir vers les vôtres. Comment s’est passé le chemin du retour?

J’ai essayé, durant toute ma vie jusqu’ici, d’être présent dans ce qu’on appelle si joliment le foyer. Mon épouse était très jeune lorsque nous nous sommes mariés. Elle avait 19 ans et des enfants sont rapidement venus agrandir ce foyer. Je me suis lancé tôt dans la politique et, en particulier, à l’exécutif à la ville de Neuchâtel. Nous avons décidé que la vie politique active ne devait pas nous empêcher de garder notre idéal familial, mais la pression publique et la tendance à la personnalisation rendent tout cela un peu plus compliqué.

En quittant le Conseil fédéral, je ne ressentais pas le besoin de «revenir vers les miens», car je n’ai jamais voulu les quitter. Ainsi, mon épouse et moi-même avons toujours tout partagé durant notre vie et elle a fait preuve d’une présence considérable également durant ces années de vie gouvernementale, comprenant de manière instinctive le rôle que peut jouer la conjointe d’un conseiller fédéral et d’un président de la Confédération. Je lui en suis très reconnaissant. Quant à nos enfants, ils sont adultes maintenant et se battent dans la vie avec leurs qualités personnelles et l’enthousiasme qui leur est propre. Ils font partie de la génération d’Alix, celle qui doit à la fois sauver le monde et construire de nouveaux foyers. Pour ma part, je ne ressens pas les derniers mois comme un «chemin du retour». Il s’agit uniquement d’un nouveau départ, d’une nouvelle étape, d’un nouveau chemin que je souhaite, à nouveau, tracer en compagnie de mon épouse.

Qu’est-ce que cela vous a apporté?


Je ne sais pas si cela m’a «apporté» quelque chose. Ce que je sais, c’est que j’ai fait ce que j’ai estimé être juste. La décision de quitter une voie pour s’engager dans un autre chemin est un choix qui appartient à l’individu. C’est un choix d’«homme debout», comme le dit Claudio Capéo dans sa belle chanson.

Pourquoi donner une telle importance à la famille?

Nous ne sommes rien sans nos origines, sans les générations qui ont préparé le terrain qui devient, un jour, le nôtre. Nous ne sommes pas grand-chose sans les actes que nous pouvons faire pour celles et ceux qui partagent notre chemin de notre vivant. Et nous ne sommes véritablement forts que si nous avons conscience des générations qui vont venir après nous. Pour moi, le sens de la famille, c’est le sens de la nature. C’est ce qui rend nos vies plus longues, plus grandes qu’elles ne le sont réellement; plus belles, aussi.

Il y a la famille et puis il y a le couple, essentiel pour vous. Les fous de Bassan, ces oiseaux fidèles et courageux dont vous parlez dans votre livre, ce sont vous et votre épouse, Friedrun Sabine?

Peut-être bien… A vous de décider! En tout cas, dans le livre Là où lac et montagne se parlent, Klara et Fredrik prennent le chemin de cette île, au large de Ploumanac’h, en Bretagne, pour tenter d’expliquer le sens de la liberté à leurs trois enfants. Plus exactement pour les laisser le découvrir par eux-mêmes.

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Jordanie, camp de réfugiés d’Azraq, près de la frontière avec la Syrie/3 chapitres du livre «Enfance de terre» intitulés «Ahmed», «Aya» et «Aymar». 

En quatrième de couverture de votre livre, il y est écrit que votre femme est «toute votre vie». C’est magnifique.

C’est simplement vrai.

Nous poursuivons notre balade le long du lac presque désert en ce petit matin. Alors que l’on devine au loin les Alpes majestueuses, impossible de ne pas songer au sens de nos existences. C’est précisément ce que fait Oragar (héros du deuxième ouvrage), le pêcheur qui a «transformé un arbre abattu en bateau prometteur, changeant la relation auparavant déséquilibrée entre l’homme et l’eau». Selon lui, «la vie d’un homme est consacrée à mille choses, mais une seule est essentielle pour lui donner sa place dans la nature; un seul acte, un seul moment plein, une seule attitude confinant à la perfection».

Lorsqu’on lit cet extrait, impossible de ne pas vous demander quelle est votre «chose essentielle»?

J’espère avoir été et être encore un homme qui contribue à donner une chance de plus à la paix, qui fait prendre conscience qu’il faut tout faire pour rapprocher les différences et pour éviter la guerre entre les hommes, la souffrance et la mort «données» aux hommes par les hommes.

Alors que le soleil joue à cache-cache avec les nuages et irise la surface du lac, un extrait s’impose comme une évidence. «Une côte est aussi une actrice, adorant faire le spectacle lorsqu’on la longe, arrachant des soupirs émus de ses admirateurs, sautant d’un acte à l’autre au gré des couleurs et des humeurs du temps changeant.» Un passage empreint d’une poésie et d’une sensibilité qu’on ne retrouve généralement pas en politique, dans un environnement dur et rationnel.

En lisant votre livre, on découvre un homme très sensible, très délicat, et on se dit que le Conseil fédéral a dû être une souffrance, aussi.

La vie de chaque être humain est souvent une souffrance et la mienne n’est pas différente en la matière. La question essentielle est de savoir comment l’apprivoiser et même y puiser des forces pour être encore meilleur les jours d’après.

Et comment y êtes-vous parvenu?

Je n’ai pas la prétention d’y être toujours parvenu. Mais ce qui m’a aidé, c’est le calme profond et aussi une conviction: celle que les épreuves de la vie sont aussi placées en travers de notre chemin pour nous permettre de mûrir, de grandir par l’expérience, d’ouvrir plus grands nos yeux et notre cœur sur le monde autour de nous et sur nous-mêmes. C’est un peu le même sentiment que celui que l’on a, tout jeune, lorsqu’on fait l’apprentissage de la défaite courageuse en football et qu’on s’aperçoit, soudainement, que l’on en apprend souvent davantage que d’une victoire facile.

La fin de votre livre, très sombre, aborde le fait que «tout avance toujours plus vite, au pas d’un géant malade de grandir sans cesse ni mesure», en raison de «l’appétit gargantuesque des hommes». Où tout cela va-t-il nous mener?

Si nous voulons donner une belle chance à l’avenir, donc à la grande vie des nombreuses prochaines générations, nous devons être davantage conscients de l’importance de ne pas nous servir de notre planète de manière inconsidérée et irrespectueuse envers la nature. Nous devrons aussi mettre les technologies au service des valeurs humaines et non les laisser prendre le contrôle de nos vies, voire de nos pensées. Si on laisse des millions de personnes souffrir alors qu’on pourrait les aider, si on laisse la guerre, la corruption et le manque de droits pourrir les vies aux quatre coins de la planète, alors notre avenir sera sombre, en effet. La vie politique permet d’essayer d’influencer les décisions pour qu’elles aillent dans une meilleure direction. La vie d’écrivain permet aussi de tenter d’allumer des lumières le long du chemin.

Pensez-vous que la mécanique sur laquelle repose notre système est condamnée?

Non, elle n’est pas condamnée, car nous portons en nous, en notre humanité, toutes les énergies pour tracer les perspectives d’un beau chemin de vie pour les prochaines générations. Mais il faut être conscient que nous avons aussi créé une société qui dispose des moyens guerriers et technologiques de détruire notre espace de vie, d’éteindre nos lumières, si nous les laissons être utilisés à mauvais escient et si nous prenons les mauvaises décisions, ou encore si nous attendons trop longtemps avant de prendre les bonnes décisions.

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Burkina Faso/2 chapitres du livre «Enfance de terre» intitulés «Mahamadi» et «Mariam».  Kapilan Selvanayagam/AP, DFAE, Anthony Anex/Keystone

Le meilleur endroit pour repenser le monde, ce que vous identifiez comme une priorité, n’était-ce pas le Conseil fédéral?

Le meilleur endroit est dans le cœur de chaque être humain et la meilleure manière d’apporter sa contribution est d’agir avec sincérité chaque jour dans la vie qui est la nôtre, quelle que soit cette vie. Le Conseil fédéral est un endroit parmi d’autres, donc. Avec la réalité du pouvoir, dont il faut d’ailleurs savoir se méfier, et celle de la collégialité, qui est une force institutionnelle ainsi qu’un carcan personnel.

Vous dites que la clé de l’avenir réside dans la capacité de conjuguer les différences. Le lac et la montagne. Selon vous, le monde ne prend-il pas en ce moment même le chemin inverse?

Il prend en effet souvent un chemin inverse. Mais pas toujours. L’accord sur le climat ou encore l’Agenda 2030 pour le développement durable montrent la voie. Il reste toutefois à réussir une véritable mobilisation de tous les acteurs de la planète – et non seulement les Etats – pour transformer ces nécessaires intentions en réalités.

Quelles différences devons-nous parvenir à conjuguer en priorité?

Au niveau international, il faut accepter que les visions de l’histoire et des responsabilités puissent être parfois très différentes mais que cela n’empêche pas forcément de pouvoir construire un avenir commun. Ainsi, il ne sert à rien de jeter de l’huile sur le feu entre l’Est et l’Ouest, aux cultures si différentes, mais il faut faire en sorte que l’on consolide la sécurité des deux côtés à la fois, que l’on remplace les murs par des ponts bien posés sur chaque bord.

Et sur le plan national?

Au niveau national, il faut admettre que l’on ne construit pas un pays uniquement avec un seul courant d’idées ou avec des dogmes, mais avec la capacité de conjuguer les avis divergents et de promouvoir le respect des autres, en particulier des minorités. Par exemple dans les relations avec notre continent. Au niveau humain, il faut reconnaître que l’on ne saurait développer une société basée uniquement sur l’égoïsme de la réussite individuelle et que tout acte de solidarité devrait être davantage valorisé. En particulier dans la lutte contre la pauvreté.

Se déchirer autour de nos différences, n’est-ce pas constitutif de l’être humain?

Débattre des différences, se battre pour faire valoir son point de vue, oui. Se déchirer, non. L’idéal de société que nous visons ne doit pas être basé sur l’écrasement de l’autre, mais bien sur l’addition des points de vue et le respect des différences.

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Ukraine, Marioupol, à proximité de la «ligne de contact» à l’est de l’Ukraine/3 chapitres du livre «Enfance de terre» intitulés «Sasha», «Ilia» et «Tanya et Dasha». ANTHONY ANEX

Peut-on vraiment conjuguer nos différences, dans un monde basé sur la compétition et sur la croissance?

Oui. Rien n’empêche de se rendre compte, par exemple, que nous avons besoin de l’enthousiasme des jeunes personnes malgré leur manque d’expérience et de l’expérience des travailleurs plus tout jeunes malgré leur âge. Et de s’apercevoir ensuite qu’une société capable de donner de telles chances – et secondes chances –, de telles perspectives pour chacun(e) est bien plus solide (et donc compétitive) qu’une société méprisante créant des foules d’amertume, donc de violence latente.

Où placez-vous votre confiance en l’avenir?

Je crois dans les valeurs humanistes, autrement dit dans la réaction de l’homme en tant qu’individu visant un idéal.

Dans votre livre, il y a ce très beau passage où Amo parvient à dompter un loup apeuré car, contrairement à sa sœur, «sa sensibilité est orientée sur les impressions des autres plutôt que sur les siennes». Amo, c’est vous?

J’aime beaucoup créer des personnages, les faire vivre pleinement, avec leur caractère jaillissant, leurs espoirs triomphants ou déçus. Au fond, écrire, c’est imaginer la vie telle qu’on la voit, un peu, et aussi telle qu’on la voudrait, beaucoup. En ce sens, je pense qu’il n’est pas important de savoir si je me trouve plus particulièrement dans un personnage mais qu’il est essentiel de comprendre que je ressens beaucoup en moi-même les personnages que je crée. En d’autres termes, je crois qu’il faut donner de soi pour mieux décrire.

Ne serait-ce pas dans la capacité à adopter cette posture, cette écoute, que réside la clé de tous les problèmes du monde?

Si. Et c’est précisément ce qui peut permettre au lac et à la montagne de se parler et de se comprendre…

La fin de notre balade printanière approche. On ne peut s’empêcher de songer à Orao, cet autre personnage du roman de Didier Burkhalter. «Rassasié, il s’arrêtera de marcher dans ce champ de fleurs, y reposera, comme un pétale, son corps tant fatigué, et y rejoindra la plus belle des lumières, celle à laquelle on reste fidèle, au-delà du temps.»

Etes-vous croyant, Monsieur Burkhalter?

Oui, et je prie souvent. Avec tout ce que j’ai vu et vécu durant ces dernières années, j’ai peut-être encore aiguisé ma conscience de la condition humaine dans notre monde. Ce qui m’a amené à attendre encore davantage de la relation personnelle avec Dieu.

Par L'illustré publié le 24 avril 2018 - 00:00, modifié 15 mai 2018 - 17:13