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Le reportage

Kacey & Maktoub, duo gagnant

Pour les besoins d’un film, sélectionné à l’actuelle Mostra de Venise, Kacey Mottet Klein a appris l’équitation auprès du roi du dressage de chevaux de cinéma, près de Paris. Le courant a si bien passé avec son cheval qu’il l’a ramené en Suisse.

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Kacey avec Mario Luraschi, cascadeur et dresseur de chevaux de cinéma mondialement connu. Laurine Mottet

«Tu l’emmènes au galop avec ton bassin, Kacey! Sers-toi de tes jambes pour tourner! Il y a une bonne osmose, vous allez bien ensemble!» L’homme qui s’exprime dans la sciure du manège, c’est Pascal Madura, dit Chino, un petit gars athlétique dont la silhouette ne trahit pas son statut de presque sexagénaire. Un cascadeur équestre qui tombe encore en plein galop et peut dire en une seconde ce que vaut un cheval et, surtout, ce que vaut celui qui est juché dessus. A l’en croire, Kacey Mottet Klein, qui galope devant nous, vaut de l’or.

L’acteur suisse de 19 ans est venu apprendre ici, dans ce domaine équestre à une heure de Paris, l’art de monter; un apprentissage express durant trois mois pour incarner à l’écran un cavalier confirmé dans le film de Joachim Lafosse Continuer, sélectionné aux Venice Days, la sélection parallèle de la Mostra de Venise qui se déroule ces jours-ci. L’histoire d’une mère, incarnée par Virginie Efira, qui emmène son fils à cheval sur les routes du Kirghizistan. Pour le remettre en selle, cette fois au sens figuré, le gamin file du mauvais coton.

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Le courant a passé entre Maktoub et le jeune acteur. Qui s’est rendu au domaine équestre de Mario Luraschi, près de Paris, pour l’acheter. Laurine Mottet

Kacey a monté jusqu’à huit heures par jour. Sans aucune pitié pour ses muscles fessiers et en s’investissant à fond dans ce nouveau rôle. En se découvrant aussi, au fil des jours et des galops dans ces forêts parcourues jadis par les rois de France, une vraie passion pour l’équitation.

Le film, pour des raisons pratiques, s’est tourné au Maroc l’hiver dernier, «une expérience intense et
extraordinaire», dit-il. «On a vécu des tempêtes de sable, on a même eu de la neige, des pannes d’électricité, on a dormi dans des hôtels de passe, c’était incroyable!» Et puis surtout, il est tombé amoureux de… son cheval dans le film. L’acteur est justement ici pour finaliser l’achat de Maktoub et prévoir le rapatriement en Suisse de ce petit cheval arabe gris-blanc au caractère bien trempé.

«Au début, c’était Virginie Efira qui devait être la cavalière expérimentée. Mais vu les qualités de Kacey, on a interverti les aptitudes des deux personnages.» Chino sourit de ses yeux malicieux. Ce garçon né d’un père indien et d’une mère vietnamienne est le bras droit de Mario Luraschi, le propriétaire du lieu, l’homme à qui on s’adresse dès qu’une scène à cheval dépasse la simple balade camarguaise. Ici, à deux galops de Fontaine-Chaalis, c’est Hollywood version équidés. Pas un de ces chevaux dans les box autour de nous qui n’ait connu son moment de gloire.

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Kacey dans la sellerie du domaine, où sont réalisées les selles de tous les films et séries. Sur le cheval blanc, la selle de Napoléon, interprété par Clavier. Laurine Mottet

Tout à l’heure, on a croisé Fenicio, le cheval monté par Virginie Efira mais aussi celui de Jean Dujardin dans Le revenant. Il y a également celui qui a fait tous les clips de Mylène Farmer (une amie de Mario); d’autres ont porté des céans célèbres comme ceux de Matt Damon (Les frères Grimm), Sophie Marceau (La fille de d’Artagnan), Jean Reno (Les visiteurs), Salma Hayek (Bandidas) ou encore Christian Clavier (Napoléon). Minos le noir a piaffé à notre passage le long de ces écuries en pierre du XIe siècle. Ce fier frison était la vedette de la série Versailles. «Avec une page Facebook à sa gloire», rigole Chino. Le mentor de Kacey vient de tourner lui-même deux clips publicitaires équestres, l’un avec Charlize Theron en Namibie, là même où elle a tourné le dernier Mad Max, l’autre avec Kendall Jenner sur la place Vendôme.

Sur le film Continuer, Kacey était doublé, pour les scènes dangereuses, par Marco, le fils de Mario Luraschi. Le jeune cascadeur est justement passé saluer le comédien, et les jeunes gens de s’amuser à monter à cru pour la photographe. «Maktoub, c’était la doublure de Boléro, le cheval que je montais au début du film, raconte l’acteur. Il a eu un accident dans une scène aquatique, il a fallu le remplacer.» L’apprentissage du jeune comédien ne s’est pas non plus déroulé sans bobos. Il nous montre la barrière où Boléro l’a envoyé valdinguer dans un excès de vitesse. Résultat: deux côtes cassées, une arcade sourcilière ouverte et un passage à l’hôpital qui n’est plus, heureusement, qu’un mauvais souvenir.

Une vie de star
Kacey a beaucoup appris au contact des chevaux mais aussi des cascadeurs, ces hommes et ces femmes qui passent leur vie à faire revivre les prouesses de chevaliers ou de gladiateurs romains vous faisant croire derrière l’écran que l’équitation est un jeu d’enfant. «Mais attention, dans le respect du cheval, avertit Mario Luraschi. Si on prend le risque de lui faire mal, on peut tout bonnement gâcher un animal qu’on a mis des années à dresser.» Le boss aimerait d’ailleurs se réincarner en cheval de cascade, la vie de cheval de cinéma, assure-t-il, est la même que celle des stars: «On est aux petits soins pour vous et on voyage en première classe en avion!»

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Avec Virginie Efira sur le tournage de «Continuer», au Maroc. Sortie en salle: premier trimestre 2019. DR

Chino renchérit: «Tu ne peux jamais faire exécuter quelque chose à un cheval qui est mauvais pour lui, il s’en souvient et ne le répétera pas.» L’homme sait de quoi il parle. Le gars qui se prend une poutre dans la figure lors d’une course équestre aux côtés de James Bond/Roger Moore dans Dangereusement vôtre, c’est lui! Avec Heath Ledger pour le film Chevalier, encore lui. Dans son salon trône un award américain sur la cheminée, l’équivalent des oscars pour cascadeurs, qui récompense un cabré retourné, une chute arrière sur sa monture, que peu de ses collègues osent tenter.

Ça se sent, une véritable amitié est née entre le jeune acteur vaudois et le cascadeur, malgré leur différence d’âge. Le soir de notre arrivée, Chino a emmené Kacey dans le restaurant de son fils, à Chantilly, capitale du cheval de course, un endroit chaleureux où jockeys et entraîneurs viennent déguster les pâtes au parmesan fondu dans la meule de pierre. Le lendemain, il faudra encore finaliser les papiers pour la vente de Maktoub. «Il appartenait à une écuyère de Mario qui a accepté de s’en séparer. C’est un cheval incroyable, il réagit au quart de tour, il a été dressé pour le cinéma, donc j’espère pouvoir le faire engager sur d’autres tournages avec moi si c’est possible», confie encore l’acteur.

Avec Catherine Deneuve
A l’heure où ces lignes paraissent, ce souhait s’est réalisé. Maktoub a été engagé sur le tournage du prochain film d’André Téchiné, L’adieu à la nuit, qui s’est tourné du côté de Perpignan. Kacey y incarne le petit-fils de Catherine Deneuve, un adolescent radicalisé, tenté par l’aventure syrienne, que sa grand-mère, directrice d’un centre équestre, va tenter de sauver. La thématique du cheval sauveur de nouveau et Maktoub partenaire de son jeune maître pour la deuxième fois. «On s’est vite rendu compte qu’on ne pouvait pas demander à un cheval ordinaire ce que lui, dressé spécialement pour le cinéma, peut faire», précise son cavalier. C’est la deuxième fois que le Vaudois tourne avec ce grand monsieur du cinéma français. Quand on a 17 ans, où il interprétait un adolescent tourmenté, lui avait valu une deuxième nomination aux oscars. «Kacey Mottet Klein, l’acteur du moment que l’on s’arrache», pouvait-on lire récemment dans Le Parisien.

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Maktoub vit désormais dans la campagne vaudoise. Kacey – qui partage depuis tout petit la passion des chevaux avec sa mère – le monte à chaque retour en Suisse. Avec Lulu le chien, c’est l’accord parfait. Laurine Mottet

C’est vrai qu’il est partout, notre Kacey. Comme des rois, où il incarne Micka, le fils de Kad Merad, complice de ses petites arnaques, connaît un joli succès. Il faut dire que ce garçon, malgré son âge, a déjà douze ans de carrière derrière lui et a déjà dit «maman» au cinéma à des femmes comme Isabelle Huppert, Laetitia Casta, Mathilde Seigner ou Sandrine Kiberlain. En langage hippique, on dirait qu’il a passé assez vite du petit trot au grand galop. Il nuance, façon vieux sage qui ne veut pas s’emballer. «Dans ce métier, tout peut s’arrêter demain», affirme-t-il. C’est vrai. N’empêche. Ce garçon est déjà bien en selle!

Par Baumann Patrick publié le 6 septembre 2018 - 09:59, modifié 18 janvier 2021 - 21:00