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Le cheval, une thérapie vivante

Des femmes et des hommes cabossés par la vie retrouvent le sourire grâce à un lien privilégié avec l’animal. Quatre d’entre eux ont accepté de nous accueillir en marge d’une séance d’équithérapie, où ils soignent leur cœur, avec tendresse.

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reportage équithérapie
Magali Girardin

«Si je pleure, il sent ma tristesse»

Emilie avec Horus, 37 ans, traumatisme cérébral, Corserey (FR)

«De la gaieté. De la joie. De la satisfaction.» Ce sont les trois éléments principaux qu’Emilie, 37 ans, retire de ses séances avec Horus, un cheval franches-montagnes de 19 ans avec lequel elle s’est sentie en confiance dès la première rencontre, en avril 2021. Aujourd’hui, elle est suivie par Christelle Charrière, enseignante en classe relais et équimotricienne depuis 2019, au centre Equi-Liberté, à Corserey (FR).

La complicité entre Horus et Emilie commence dès le brossage de l’animal. Entre deux coups de brosse, Emilie profite de faire un bisou au cheval. Elle lui parle, il tourne la tête, elle rit. Si elle apprécie ces instants, ce qu’elle préfère par-dessus tout, c’est monter à cheval. Après quelques mouvements d’échauffement, la voilà sur le dos d’Horus. «C’est valorisant d’être sur le cheval et de le diriger.» Mais n’est-ce pas parfois le cheval qui dirige sa cavalière? Christelle Charrière rappelle par exemple un travail pendant lequel Emilie devait arrêter Horus devant différentes affiches d’émotions accrochées aux parois. Elle choisissait systématiquement les ressentis négatifs, tels que «je me sens vide». «Au bout d’un moment, le cheval ne voulait plus collaborer, il continuait d’avancer comme pour lui dire de cesser d’être négative», relate l’équimotricienne.

Emilie et son cheval Horus, reportage équithérapie

Une complicité de tous les instants entre Emilie, 37 ans, et Horus, cheval franches-montagnes de 19 ans qu’elle vient voir une fois par semaine depuis avril 2021, dans la campagne fribourgeoise.

Magali Girardin

Les émotions sont d’ailleurs au centre de sa thérapie. A l’âge de 9 ans, alors qu’elle traversait la route devant chez elle, Emilie a été fauchée par une voiture. Le choc a causé un traumatisme crânio-cérébral. Elle a passé quatre mois au CHUV pour une longue phase de réveil. «J’ai des problèmes à gérer mes émotions et on m’a conseillé le cheval pour essayer d’améliorer cela.» Aujourd’hui à 100% à l’AI, elle a essayé d’autres formes de thérapie, mais les séances avec le cheval lui conviennent mieux. «Oui, parce que c’est un être vivant. Ça a un cœur, un cœur qui bat. Quand je pleure, il sent ma tristesse et il vient vers moi tout câlin. Ça m’apporte du réconfort.» Apaisée, elle peut lâcher les rênes et faire de petites tresses dans la crinière d’Horus.


«J’aime ces exercices variés»

Frédéric avec Waterloo, 55 ans, troubles psychiatriques, Fondation Domus, La Tzoumaz (VS)

D’abord le nettoyage du paddock, puis le brossage du cheval. Résident de la Fondation Domus, à La Tzoumaz, Frédéric, 55 ans, guide Waterloo, un cheval franches-montagnes de 6 ans, à travers le parcours d’obstacles. Un slalom entre les cônes, un virage au fond du paddock et, enfin, le franchissement d’une barre à quelques centimètres du sol. Calme et concentré, Frédéric gratifie Waterloo d’une friandise que le cheval happe goulûment. «J’aime bien ces exercices parce que c’est varié», sourit-il en évoquant les quelques fois où il est monté à cheval, activité qu’il préfère pratiquer avec Waterloo plutôt qu’avec Venise ou Tendresse, deux juments de trait ardennaises à l’allure massive et imposante. «Je suis monté une fois sur l’une des grandes, ça m’a fait drôle.» 

A ses côtés, Shani Masserey, l’une des deux thérapeutes de la fondation, veille au bon déroulement de la séance en distillant ses conseils: «Ne le laisse pas venir trop près, tu as droit à ton espace.» Frédéric apprécie le contact avec l’animal surtout lorsque, un brin taquin, celui-ci s’appuie sur son bras à la recherche d’une friandise supplémentaire. Toutefois, la thérapeute souligne qu’une certaine distance de sécurité doit être respectée.

Frédéric avec son cheval Waterloo, reportage équithérapie

Frédéric, 55 ans, donne du foin ou des bonbons à Waterloo, cheval de 6 ans. Il se rend aux séances au sein de la Fondation Domus, en Valais, une fois par semaine.

Magali Girardin

Autre activité appréciée par le quinquagénaire: l’atelier d’agrotourisme organisé chaque été par la Fondation Domus. A cette occasion, les personnes accompagnées sont amenées à échanger avec des enfants autour de l’équithérapie. «Ils brossaient chacun un cheval et j’étais à côté d’eux pour répondre à leurs questions.» Cette situation lui apporte du réconfort, car les enfants ne font pas la différence entre les personnes extérieures et les résidents de la fondation, qui accueille une cinquantaine d’adultes nécessitant une prise en charge socio-éducative et infirmière au quotidien. Malgré cela, les personnes accompagnées ont un programme bien rempli, à l’instar de Frédéric, qui s’occupe également de couper et livrer du bois de feu grâce à un autre atelier à La Tzoumaz.


«Je serais foutue sans les chevaux»

Laetitia avec Bobby, la soixantaine, insomniaque, Fondation Domus, La Tzoumaz (VS)

Il se dit qu’elle a une mémoire d’éléphant. Laetitia, la soixantaine, se souvient de sa première rencontre avec Bobby, un cheval de trait de 11 ans. «Je l’ai coiffé. Et j’ai tout de suite aimé ce cheval parce qu’il est carré et fort comme moi. Je serais foutue sans les chevaux.» Après avoir longtemps souffert d’insomnies et traversé 11 opérations, dont certaines vitales, elle garde une impressionnante force de caractère. En lisant la lettre qu’elle a écrite pour l’interview, elle mentionne ses «anges gardiens», sur lesquels elle s’appuie. Ce frère qu’elle a perdu, cette fausse couche qu’elle a subie.

Laetitia a rejoint la Fondation Domus, à La Tzoumaz (VS), il y a treize ans. «Ici, tout le monde est gentil et tout le monde se respecte», souligne-t-elle en évoquant l’engagement de Philippe Besse, directeur de la fondation depuis 2003, pour alléger la souffrance des personnes accompagnées. Laetitia, elle, trouve son réconfort surtout au contact des animaux. Tout d’abord les cinq chevaux et deux poneys qu’elle côtoie lors des séances avec Shani Masserey, thérapeute au sein de la fondation. Mais aussi Ronron, le chat roux qui a élu domicile au foyer de La Tzoumaz, ou encore les ânes, les chèvres naines et les poules de l’animalerie. «Tous les jours, je monte voir les chèvres. J’aime aussi simplement marcher dans la nature, parce que c’est magnifique surtout quand on voit les astres, le soleil et la lune.» 

Laetitia avec son cheval Bobby, reportage équithérapie

Laetitia brosse soigneusement la queue de Bobby, geste qu’elle répète chaque semaine depuis sa première rencontre avec ce cheval de trait de 11 ans. La Fondation Domus abrite cinq chevaux et deux poneys à La Tzoumaz. Pour les encadrer, une équipe de deux thérapeutes et une écuyère.

Magali Girardin

Pourtant, celui avec lequel elle entretient le lien le plus fort reste Bobby. «Au début, j’avais peur. Mais, maintenant, les chevaux sont comme des enfants pour moi.» Avec sa stature robuste, Bobby lui a inspiré un poème qui est épinglé à un mur dans la sellerie. «La vie est courte et belle, il faut garder l’humour et le sourire», lance-t-elle avant de répéter ce premier geste: coiffer les crins et la queue de Bobby avec application.


«Ça guérit le cœur!»

Tim avec Espoir, 27 ans, dépressif, Oleyres (VD)

Magique. Un mot prononcé plusieurs fois pour décrire la complicité entre Tim et Espoir. «La connexion que j’ai avec ce cheval, je n’arrive même pas à l’expliquer», révèle Tim, 27 ans. Il est suivi par Joëlle Berchtold, thérapeute avec le cheval depuis 2020 et éducatrice sociale HES. Dans sa ferme à Oleyres (VD), elle possède deux chevaux franches-montagnes et deux poneys shetlands formés pour la thérapie.

Ce jour-là, c’est avec Espoir, cheval imposant de 13 ans, que la séance se déroule. Au début de l’heure, Joëlle Berchtold remarque le stress de son patient, ressenti également par l’animal. «Ça va aller», assure Tim en caressant Espoir. Comme un miroir, le cheval lui renvoie l’émotion. Petit à petit, le jeune homme se détend. «Quand je suis avec lui, c’est comme si tout ce qui est extérieur était en pause. C’est comme quand on rentre chez soi et que le chat vient vers nous, on se sent à la maison. J’ai cette même impression quand je viens ici.» Un lâcher-prise que Tim savoure après sa profonde dépression.

Tim avec son cheval Espoir, reportage équithérapie

Chaque semaine, Tim, 27 ans, vient courir d’une même foulée avec Espoir, cheval de 13 ans, dans une ferme à Oleyres, non loin d’Avenches. De quoi redonner confiance au jeune homme.

Magali Girardin

«J’ai un passé assez lourd», confie-t-il en évoquant son adoption à Bangkok à l’âge de 1 an. «J’ai compris que j’avais été adopté quand je suis entré dans l’adolescence. C’était très dur pour moi de penser que ma vie avait commencé par une séparation. Je le porte encore aujourd’hui. Je sens qu’il y a du chemin à faire dans ma guérison.» Après une scolarité spécialisée, il effectue un préapprentissage de mécanicien, mais, au moment d’entamer la formation, il fait un burn-out et se retrouve en incapacité de travail. Aujourd’hui à l’AI, il gère ses émotions par la thérapie avec le cheval. «Pour créer un espace de confiance et que ces instants magiques puissent avoir lieu, il y a toute une réflexion et une analyse de la part du thérapeute», précise Joëlle Berchtold. Pour Tim, qui a toujours eu «un bon feeling avec les animaux», le choix de l’équithérapie était une évidence. «Ça guérit le cœur. Je sors de là et j’ai le sourire.»

Par Sandrine Spycher publié le 19 novembre 2023 - 00:27