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Patrimoine

Le miracle de Notre-Dame de Paris

La cathédrale a failli s’écrouler dans un enfer de feu le lundi 15 avril, mais elle a été sauvée par une mobilisation de tout le peuple de France, croyants et non-croyants.

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Le peintre Jacques-Louis David immortalise le sacre de Napoléon 1er, le 2 décembre 1804, en la cathédrale Notre-Dame de Paris, en présence du pape Pie VII. Après s’être couronné lui-même, Bonaparte sacre sa femme, Joséphine de Beauharnais, à genoux. Dukas
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Canada, Australie, Chine, Russie… L’émoi a été mondial, comme ici en Une de i, journal brésilien.

On est passé à deux doigts de la tragédie absolue, à savoir l’effondrement de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui est depuis plus de huit siècles le cœur et l’âme de la France, le signe et le symbole vivant de son histoire unique et de sa vocation spirituelle.

Mais l’on a aussi assisté, dans ces heures d’angoisse et d’émotion extrême, à un formidable sursaut du cœur et de la foi, à une prière immense et déchirante, un cri muet de confiance et d’espérance. Minée depuis si longtemps par le doute et par une sorte de désespoir triste et calme, comme le clochard de Prévert assis immobile sur son banc, la France a soudain redécouvert au bord du gouffre, par le hasard mystérieux d’un incendie cruel, qu’elle était toujours la France. C’est-à-dire un pays à la mémoire longue et souvent douloureuse, mais toujours résilient et toujours renaissant; un pays qui, malgré l’Union européenne qui s’en méfie comme la peste et refuse même qu’on les mentionne, vit et vibre toujours au rythme de ses racines chrétiennes.

Communion

Au-delà des seuls croyants qui ne constituent après tout, comme partout, qu’une minorité plus ou moins agissante, ce sont tous les Français et les Françaises qui ont tremblé et espéré ensemble, le lundi 15 avril, pour que la cathédrale Notre-Dame de Paris échappe à la destruction et à la mort. Des citoyens ordinaires, des dirigeants politiques, des écrivains, des people, des artistes de partout, des hommes d’affaires, des sportifs...

Fabrice Luchini l’artiste-né, Jean-Luc Mélenchon qui n’aime pas trop les curés, Anne Hidalgo la gardienne socialiste de la laïcité, Garou le chanteur débarqué du Québec... Et c’est toute la France, désormais, qui se mobilise pour restaurer la cathédrale ravagée: plus d’un milliard d’euros de dons, en quelques heures, pour rendre toute sa beauté à ce chef-d’œuvre qui n’a cessé – on vient de s’en rendre compte – de veiller à sa manière, silencieusement, discrètement, sur les vivants. François Pinault offre 100 millions d’euros, Bernard Arnault 200 millions, le groupe Total 100 millions, la Ville de Paris 50 millions…

Une journée comme les autres

C’était le lundi 15 avril, en fin d’après-midi, après une journée de printemps plutôt froide et ensoleillée, une journée comme toutes les autres, banale et rassurante, comme le matin du 11 septembre 2001 à New York. Le premier jour aussi de la Semaine sainte qui, après le mal absolu de la crucifixion du Christ le Vendredi-Saint, devait déboucher le dimanche de Pâques sur la joie de la Résurrection. Une journée à peine animée par l’attente de l’allocution télévisée, à 20 heures, du président français, Emmanuel Macron, qui devait répondre aux «gilets jaunes» et clore la séquence (ratée) du grand débat.

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Australie, Chine, Russie… L’émoi a été mondial, comme ici en Une du Journal de Montréal, au Canada.

Que s’est-il passé exactement dans cette cathédrale Notre-Dame qui, du sacre de Napoléon le 2 décembre 1804 au Te Deum de la victoire avec le général de Gaulle en 1944 et à la conversion de Paul Claudel le jour de Noël 1886, a toujours accompagné les grands moments de l’histoire de France? Que s’est-il passé ce lundi 15 avril dans cet édifice somptueux où d’importants travaux de rénovation avaient commencé quelques mois plus tôt, en juillet 2018, et qui bénéficiait d’un protocole de lutte contre le feu particulièrement rigoureux, avec deux pompiers présents sur place en permanence, jour et nuit?

Mobilisés 24 heures sur 24 depuis des jours, les enquêteurs s’efforcent de reconstituer l’origine et le déroulement de l’incendie qui a failli emporter le bâtiment le plus sacré de France, visité chaque année par quelque 14 millions de touristes. Mais ils n’en sont encore, plusieurs jours plus tard, qu’à des constatations floues et incertaines.

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Canada, Australie, Russie… L’émoi a été mondial, comme ici en Une de Shanghai Daily, en Chine.

«La forêt» qui cache le feu

Ce qui est certain, c’est que les premières flammes apparaissent à 18h30. Elles ont pris naissance sous le toit, derrière les deux célèbres tours, dans la charpente qui constitue ce que l’on appelle «la forêt»: un enchevêtrement très ordonné de poutres provenant chacune d’un chêne différent. C’est un immense espace qui court sur plus de 100 mètres de longueur, 13 mètres de largeur dans la nef et 10 mètres de hauteur.

Très difficile d’accès, l’endroit est devenu en outre un gigantesque chantier avec des échafaudages un peu partout et des dizaines d’ouvriers qui bourdonnent en permanence, aucun d’entre eux n’étant présent sur les lieux, semble-t-il, quand l’incendie démarre.

Les enquêteurs imaginent aujourd’hui que le feu a pu couver longuement, «de longues heures», sans que personne ne le remarque. Le procureur de Paris, Rémy Heitz, a ainsi révélé l’existence d’une «première alerte à 18h20», suivie «d’une procédure de levée de doute», aucun départ de feu n’ayant été constaté. «Il y a eu une deuxième alerte à 18h43 et là, des flammes ont été vues au niveau de la charpente. Entre-temps, l’église avait été évacuée.»

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Couverture, avec une gravure de Quasimodo, de la revue «Les Bons Romans», du 30 octobre 1860. L’œuvre «Notre-Dame de Paris» de Victor Hugo y était publiée en feuilleton. ©Lee/Leemage

Incendie foudroyant

Ce que les spécialistes n’arrivent pas à comprendre, c’est la rapidité foudroyante de l’incendie. Car la cathédrale Notre-Dame va s’embraser massivement, en quelques minutes à peine. «C’est inimaginable, l’incendie s’est propagé de manière absolument stupéfiante», constate Benjamin Mouton, architecte en chef des monuments historiques et responsable d’un protocole de prévention à Notre-Dame de 2000 à 2013.

Accourus aussitôt sur les lieux, plus de 400 pompiers de la capitale vont lutter pendant des heures pour sauver ce monument, qui est aussi un haut lieu de leur histoire personnelle et de leur foi, qu’ils soient croyants ou pas. On repense bien sûr à Clovis, le roi des Francs et premier roi de France, au Ve siècle, qui frémissait et souffrait en entendant le récit de la passion du Christ: «Si j’avais été là, avec mes légionnaires…» Sous les coulées de plomb en fusion et malgré les risques de chutes de pierres, les pompiers de Paris étaient là et ils ont sauvé Notre-Dame.

Il y a donc les pompiers, mais ils ne sont pas seuls. Il y a aussi tout le peuple des croyants qui s’est levé spontanément: des centaines de gens qui, comme dirait l’Evangile, ont tout quitté pour le Christ. Ils prient à genoux, dans la rue, aux abords de la cathédrale, et ils vont y rester des heures. Une dévotion d’un autre temps qui pourrait redevenir le nôtre, des larmes irrépressibles, une douleur transfigurée, une foi aussi vibrante que poignante. Le sentiment insupportable et effroyable que la France risque de perdre, avec sa cathédrale, sa mémoire et son âme.

Fracas de fin du monde

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Canada, Australie, Chine… L’émoi a été mondial, comme ici en Une d'un journal russe. 

Peu avant 20 heures, la flèche de la cathédrale, dévorée par les flammes, s’effondre dans un fracas de fin du monde. Recteur de Notre-Dame, Mgr Patrick Chauvet est alors sur le parvis et il se tourne vers les soldats du feu. «A ce moment-là, confie-t-il, la tour nord était gagnée par les flammes. Le général des pompiers nous a expliqué la technique qu’il comptait mettre en œuvre. Il nous a aussi clairement dit que s’ils ne parvenaient pas à éteindre le feu dans ce beffroi, il tomberait et entraînerait l’autre, la tour sud. Les pompiers étaient clairs. Ils nous ont dit: «Il reste encore une demi-heure de combat. Vers 23 heures, on saura si on a gagné.»

Retransmis en direct sur toutes les chaînes de télévision, l’incendie semble incontrôlable. Une violence monstrueuse, un enfer de feu qui projette ses flammes de mort dans le ciel de Paris. Que faire? Qu’espérer? «J’ai prié Notre-Dame, reprend Mgr Chauvet. J’ai dit des "Je vous salue Marie". Je lui ai parlé aussi. Vous savez, c’est ma maman du Ciel. Je lui ai dit: "Tu ne m’as jamais abandonné. Fais quelque chose. Là, je m’abandonne à toi.»

Quand le président Emmanuel Macron pénètre avec Mgr Chauvet sur le seuil de la nef, vers minuit, après avoir évidemment reporté son allocution télévisée, les pompiers viennent de rendre leur verdict: la cathédrale est sauvée. Dévastée, meurtrie, saccagée, mais sauvée. Il n’y a plus de toit, tout est calciné, l’odeur est épouvantable, il y a des cendres partout… «A ce moment, raconte Mgr Chauvet, on s’est donné la main avec le président. Je ne sais pas pourquoi. C’était très naturel bien qu’on ne se connaisse pas, qu’on ne se soit jamais rencontrés. Peut-être a-t-il simplement senti combien j’étais touché.»

«Le vieux coq gaulois s’est réveillé»

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Canada, Chine, Russie… L’émoi a été mondial, comme ici en Une d'un journal australien.

Emmanuel Macron a annoncé mercredi 17 avril au soir qu’il allait restaurer Notre-Dame. «Au cours de notre histoire, nous avons bâti des villes, des ports, des églises. Beaucoup ont brûlé. A chaque fois, nous les avons reconstruits. L’incendie de Notre-Dame nous rappelle que notre histoire ne s’arrête jamais. Nous aurons toujours des épreuves à surmonter. (…) Nous rebâtirons Notre-Dame plus belle encore. Je veux que ce soit achevé d’ici à cinq années.»

Notre-Dame ne s’est pas écroulée, et la France s’est rendu compte, dans l’épreuve, qu’elle existait encore avec sa sensibilité, son sens du sacré, son art de vivre, ses valeurs. Comme l’a dit le père Guillaume de la Menthière, qui avait prêché le carême à Notre-Dame, «au cours de ces heures d’angoisse, il m’a semblé sentir le vieux coq gaulois se réveiller de sa torpeur».


L'éditorial: En attendant Louis Vuitton

Par Michel Jeanneret, rédacteur en  chef

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Une enfant souffrant de malnutrition dans un hôpital de la province de Hajjah, au Yémen, en octobre 2018. AFP

Attention! Ce qui suit risque de donner de l’urticaire à celles et ceux qui sont allergiques à ce que l’on nomme «les bons sentiments», le «politiquement correct»… ou même une certaine forme de «populisme».

Paris, le 15 avril 2019, 19h51. Capitulant devant les flammes, la flèche s’écroule sur la nef de Notre-Dame. Médusé, le monde entier observe les images apocalyptiques qui racontent l’effondrement d’un symbole majeur de la chrétienté. Bouleversés, des milliers de citoyens sont en larmes. L’incendie est à peine maîtrisé que la famille Arnault, propriétaire du groupe de luxe Louis Vuitton, promet 200 millions d’euros pour reconstruire le phare de Paris. De partout, les dons affluent tant et si bien que la France dispose désormais de 1 milliard d’euros. En un claquement de doigts, le sauvetage est assuré. La renaissance est programmée.

Cette mobilisation générale a de quoi redonner foi en l’humanité. Lorsque celle-ci arrive à s’émouvoir de la destruction de son ciment culturel, on prend acte du fait qu’elle ne s’est pas totalement perdue. Mais ce baume au cœur s’estompe assez rapidement pour laisser la place à un vague malaise. Difficile de ne pas se dire qu’il est indécent que la majorité des problèmes de la planète, autrement plus graves qu’une série de poutres qui partent en fumée, ne trouvent jamais d’issue faute de réelle mobilisation.

C’est bien sûr assez stérile et plutôt convenu de mettre en «compétition» les différentes formes de solidarité. Mais le fait que l’humanité se mobilise davantage pour son passé que pour son avenir en dit long sur son état, sur son incapacité à percevoir que l’incendie qui couve derrière les inégalités qui minent la planète aura à terme des conséquences autrement plus dévastatrices que l’agonie de Notre-Dame.


Par Habel Robert publié le 25 avril 2019 - 07:20, modifié 18 janvier 2021 - 21:04