Alors qu’on s’attendait à tomber sur un étudiant obsédé par les selfies et déconnecté de la réalité, Malwyn Burkhalter en impose par sa maturité et son état d’esprit. Du haut de ses 18 ans, le jeune Vaudois est un entrepreneur ambitieux. «Je dépose aujourd’hui une lettre à la direction de mon école de commerce pour arrêter mes études. J’ai décidé de me consacrer à 100% à ma carrière d’influenceur, ainsi qu’à ma marque de vêtements», révèle d’entrée de jeu le prince romand de TikTok, réseau ultra-populaire auprès des 12-25 ans. «J’ai dû convaincre ma mère, mais après que je lui ai exposé mon business plan, elle m’a soutenu», ajoute-t-il avec le sourire charmeur dont raffolent la plupart de ses followers sur le fameux réseau social chinois.
En novembre, après 590 vidéos, Naswyn (son surnom en ligne) est suivi par 3 millions de personnes. Mais comment, en moins d’un an, ce pro des écrans s’est-il construit une si grande communauté sur l’application la plus prisée de 2020? Grâce à sa dégaine de mannequin, d’abord, mais aussi avec ses imitations de personnages de jeux vidéo. Car le Suisso-Ivoirien captive les internautes avec sa tessiture basse profonde héritée de son père. «Tout le monde commente en pensant que ce n’est pas ma vraie voix», rigole-t-il. Il faut dire que l’une des activités phares de TikTok, c’est le lip sync – ou play-back – sur les tubes du moment. «J’ai aussi testé au début des petits numéros d’humour, mais j’ai vite abandonné pour aller dans la niche plus esthétique et vie quotidienne.» Bonne stratégie car l’une de ses micropublications a été vue 45,3 millions de fois. C’est presque comme si l’ensemble de la population espagnole avait découvert les frasques de Malwyn dans son salon.
Une visibilité qui lui a permis d’attirer de grandes marques qui l’ont suivi sur Instagram pour le sponsoriser. «En Suisse, sur TikTok, il n’y a pas encore de monétisation des posts comme aux Etats-Unis, où les influenceurs gagnent pas mal d’argent.» Les plus en vogue sont aujourd’hui millionnaires. Ils ont appris à générer ce qu’ils appellent de l’engagement, jouant entre des contenus attirants et des hashtags stratégiques. «L’algorithme de TikTok est complexe car aléatoire, contrairement à d’autres réseaux où tu apparais sur les flux de tes abonnés dès que tu as publié une nouveauté», précise Malwyn.
Depuis le début de la pandémie, il n’est de loin pas le seul à vouer une véritable passion aux challenges décalés, marque de fabrique de l’application à succès. L’engouement autour de TikTok ne va pas en s’amenuisant. Une étude menée par Unicef Suisse/Liechtenstein avec Academic Alpha – une société de conseil et d’études de marché étroitement liée à l’Université de Berne – a analysé les contenus de 54 jeunes influenceurs suisses de mars à mai 2020 (sur différentes plateformes). L’objectif était de comprendre comment les moins de 20 ans géraient leurs émotions avec les restrictions liées à la crise. Constat? Alors que seuls 25% des influenceurs utilisaient TikTok en 2019, ils étaient 69% le printemps passé.
TikTok est-il un remède digital anti-blues pour la génération Z confinée? Tous partagent des vidéos ultra-courtes sur leurs coups de gueule, leur désarroi, leur ennui… tout en n’oubliant pas d’épater la galerie avec des défis divertissants (et parfois stupides). «TikTok, c’est pour le fun! L’été passé, je voulais sensibiliser les gens sur le mouvement contre le racisme #BlackLivesMatter, mais ça ne marche pas du tout, ce type de contenu», regrette le jeune métis.
J’ai une aura qui combat les haters
Alerte, il est tout à fait conscient des dangers et risques de dépendance. «C’est une application tellement chronophage, je me suis aussi perdu dans le flux de vidéos plusieurs heures par jour et j’ai réalisé que je devais reprendre ma vie en main.» Il retourne alors sur les terrains de foot, nage et traîne avec ses potes (quand le covid le permet). Pour lui, TikTok peut être potentiellement toxique, un terrain numérique propice à la banalisation des insultes. «J’ai de la chance car je n’ai reçu que très peu de commentaires négatifs sur mon compte! J’ai une aura qui combat les haters (haineux, ndlr)», sourit le jeune homme. «Mais par contre, on te juge très vite alors que tu te mets en scène, ce n’est pas ta personnalité! Moi, on me perçoit comme arrogant sur TikTok. Heureusement, mes proches me connaissent», ajoute Malwyn, qui finit en critiquant le côté un peu superficiel du swipe, l’action de faire défiler rapidement les contenus. «Cette dopamine n’est pas forcément celle dont on a besoin!»
Pour la fin de l’année, l’as de TikTok a d’autres projets plus «stimulants». Jeune businessman chevronné, il vient de lancer une marque de vêtements. Depuis qu’il est petit garçon, il rêvait aussi d’être youtubeur professionnel. Encadré par son manager Max Perrin – qui l’a poussé à rentabiliser sa présence en ligne –, il décide de lancer sa chaîne en décembre pour partager des vidéos «positives». Il faut préciser que l’influenceur vit déjà bien de ses interventions numériques. On ne saura pas son salaire exact, mais il est «confortable», dans une fourchette de 5000 francs (voire plus) par mois. Pas mal pour un premier job quand on a 18 ans!
Dans cinq ans, Malwyn Burkhalter se voit vivre aux Etats-Unis, car il y a plus d’opportunités pour évoluer dans les métiers du web. En Suisse, le précurseur se sent parfois incompris. «Mais d’abord, je dois conquérir l’Europe», conclut-il avec un grand smile.