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Vous reprendrez 
bien une bouffée d’air pur?

Une start-up valaisanne veut soulager les personnes victimes de la pollution 
en leur fournissant un vaporisateur rempli d’air pur des Alpes. Histoire rocambolesque de deux entrepreneurs qui ne manquent pas d’air.

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Par peur d'être copiés, Christian Buser (à g.), le père de Florent, cofondateur de la start-up valaisanne avec Cyrill May (à d.), ne veulent pas montrer l'outillage de capture de l'ai, ici au barrage d'Emosson, avec le Mont-Blanc en toile de fond. Sedrik Nemeth

«Nous commençons comme Steve Jobs*, au fond d’un garage. Mais attendez une année ou deux et vous allez voir.» Lancée à la cantonade, la formule pourrait sonner comme une boutade, déclencher un bel éclat de rire. Sauf que Cyrill May et Florent Buser n’ont pas du tout envie de plaisanter. A respectivement 25 et 24 ans, les deux jeunes entrepreneurs de Finhaut et Martigny sont bien décidés à prouver que leur projet n’est pas seulement viable, mais aussi promis à un bel avenir. Leur idée? Mettre l’air pur des Alpes en vaporisateur et commercialiser ce dernier dans les mégapoles souffrant de pollution chronique. «Nous visons le marché asiatique, indien et moyen-oriental», martèlent les deux compères, affairés autour de leur machine à «encanetter» qui s’apprête à «cracher» les 1500 premiers flacons en alu. L’aboutissement d’une aventure qui a débuté il y a deux ans, lors de vacances en Thaïlande. «Après quelques jours passés à Bangkok, on s’est mis à tousser comme des malades, à cause du smog. On s’est dit qu’on avait une sacrée chance de vivre au cœur des Alpes, où l’air est de grande qualité. A force de se le répéter, ça a fini par nous faire tilt», s’enthousiasment les deux potes qui, dès leur retour au pays, planchent sur diverses variantes techniques pour emprisonner l’air et commandent une étude de marché.

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Fabriquée en Chine, la machine est prête à remplir les 1500 canettes destinées à l'Asie. Sedrik Nemeth

Plutôt saugrenue, l’idée n’est de loin pas révolutionnaire. «Une vingtaine de firmes à travers le monde proposent déjà ce type de produit, la plus connue étant une canadienne qui vend l’air des Montagnes-Rocheuses», confirme Cyrill May. Air du Mont-Blanc Sàrl, nom de la petite entreprise bas-valaisanne, a même un concurrent basé en Suisse centrale, Swissbreeze, fondé il y a trois ans déjà. «Nous misons sur une politique de prix agressive et sur la qualité de l’air des Alpes, reconnue dans le monde entier, pour nous imposer», détaille Florent Buser. En clair, le cylindre certifié ISO contenant 5 litres d’air compressé, l’équivalent de 120 inhalations, sera vendu au prix de 14 fr. 90. Soit 25 à 50% moins cher que ses principaux concurrents.

Il y a un hic cependant. Une récente étude de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, met à mal le mythe de l’air pur helvétique. En cause, le taux de particules fines présentes dans l’air, mesuré à 14,5 microgrammes/m3, soit largement au-dessus du seuil des 10 microgrammes/m3 recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un résultat qui, selon l’institut en question, placerait notre pays au 22e rang (sur 38) des nations étudiées derrière le Brésil, l’Allemagne et le Japon. Des chiffres contestés avec véhémence par l’Office fédéral de l’environnement, lequel affirme que la moyenne nationale respecte totalement la recommandation de l’OMS.

Un produit de bien-être

Une mini-polémique qui n’empêche pas les deux jeunes entrepreneurs de dormir. «Même si nous ne l’avons jamais fait analyser, nous savons que l’air que nous capturons à 2000 mètres d’altitude et plus est d’excellente qualité. Si tel n’était pas le cas, alors il faudrait fermer tous les sanatoriums et autres instituts de santé installés dans les stations de montagne, là où les malades viennent chercher le soleil et l’air pur pour se retaper», ironise Cyrill May. A ce propos, le spray valaisan n’a pas la prétention de posséder des vertus thérapeutiques. «C’est un produit de bien-être, pas un médicament. C’est précisé sur le flacon», souligne Florent Buser, qui a mené à bien le long et ingrat processus administratif pour obtenir les multiples autorisations nécessaires à la commercialisation du produit.

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120 inhalations, c'est ce qu'un vaporisateur de 5L d'air pur comprimé vendu 14 fr.90 offre à son propriétaire. Sedrik Nemeth

Pneumologue à Martigny, Francine Besse parle d’un gadget qui, s’il ne peut pas faire de mal, n’apporte aucun bénéfice à des personnes atteintes de maladies ou d’infections respiratoires. «A ma connaissance, ce procédé n’a fait l’objet d’aucune étude scientifique et n’apparaît dans aucune littérature. Ce n’est pas non plus un sujet que nous abordons dans les congrès», commente la spécialiste octodurienne.

Délire ou idée de génie?

Quoi qu’on en dise, rien ne tempérera l’enthousiasme des deux amis, qui ambitionnent de vendre 10 000 canettes spécialement étudiées pour être rangées dans un sac à main de dame, d’ici à juillet 2019. «Nous sommes à bout touchant avec la plus importante chaîne de magasins de sport de Corée du Sud ainsi qu’avec un distributeur chinois, rapporte Cyrill May, responsable marketing de l’affaire. Techniquement, nous sommes prêts à répondre à la demande. Fabriquée en Chine, la machine à «encanetter» nous a donné pas mal de fil à retordre.

Quant à la technologie de capture de l’air, notre secret de fabrication si l’on peut dire, elle est désormais totalement opérationnelle.» Dans leur plan marketing, les deux pionniers, qui ont investi une vingtaine de milliers de francs dans leur business, n’oublient pas le marché local. «Actuellement, nous capturons l’air de la région d’Emosson, dans l’espace Mont-Blanc. Mais nous prévoyons de nous déplacer au Cervin, à la Dent-Blanche ou ailleurs, afin de diversifier notre offre et proposer le produit ainsi régionalisé aux stations de chez nous.» Alors, simple délire de deux jeunes rêveurs ou idée de génie? «Le premier qui a mis de l’eau en bouteilles a aussi été traité d’original. On connaît la suite.» Alors, après un verre d’eau, vous reprendrez bien une bouffée d’air pur? ▪

* Le fondateur d’Apple.

Par Rappaz Christian publié le 29 juin 2018 - 08:52, modifié 18 janvier 2021 - 20:59