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Russell Coutts: «En SailGP, c’est clair: les meilleurs marins gagnent»

Russell Coutts est à la voile ce que Michael Schumacher, Jean Todt et Bernie Ecclestone réunis furent à la formule 1: un des plus grands pilotes, un des meilleurs chefs d’écurie et, depuis cinq ans, le boss du premier vrai championnat du monde de voile professionnelle.

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Russell Coutts

Russell Coutts, champion olympique, multiple vainqueur de la Coupe de l’America à bord ou comme patron d’équipe, et désormais inventeur d’un championnat passionnant. La classe absolue.

SailGP

Vingt ans après avoir gagné – notamment – la Coupe de lʼAmerica sous pavillon suisse, Russell Coutts reste un marin de légende. A Tarente, lors de la dernière étape en date de SailGP, les officiers de la marine italienne jouaient des coudes pour se prendre en selfie avec le Néo-Zélandais. A 61 ans, ce géant à la fois bienveillant et intimidant barre désormais un paquebot: SailGP, la compétition planétaire qui manquait à son sport.

- Quel bilan tirez-vous de SailGP cinq ans après son lancement?
- Russell Coutts: SailGP ne cesse de croître. Regardez la foule déjà présente, ici à Tarente, une heure avant la première course de la journée. En 2018, nous avions l’ambition de changer radicalement l’image de la voile de compétition auprès du grand public. Car les sports de voile et leurs meilleurs pratiquants professionnels n’avaient alors jamais pu s’exprimer dans le cadre d’un vrai championnat annuel, télévisé et médiatisé, contrairement à la plupart des autres sports. SailGP comble enfin ce vide.

- On a l’impression que ce championnat est déjà arrivé à maturité, aussi bien sur le plan sportif que sur le plan télévisuel.
- Merci du compliment, mais je pense au contraire que la marge d’amélioration reste énorme, que nous n’en sommes qu’au début. Nous devons mieux filmer et documenter les courses à l’écran. Avec dix bateaux en compétition, c’est par exemple impossible pour le réalisateur de garder un œil sur tout ce qui est en train de se passer. Prenez le bateau allemand, qui a connu hier une grosse casse matérielle. Il aurait fallu pouvoir montrer cela aussi vite que possible. Nous étudions comment incorporer de l’intelligence artificielle dans la production pour avertir le réalisateur, par exemple, que deux bateaux sont sur le point de se croiser. Des caméras seraient alors orientées vers ces deux bateaux et, mieux encore, ce serait le son sur ces deux bateaux qui serait diffusé automatiquement.

- Le défi consiste-t-il aussi à rendre ces courses passionnantes pour des gens qui ne connaissent rien à la voile?
- Absolument. Ce pari est déjà en partie réussi dans la mesure où une grande partie des gens qui suivent SailGP sur les écrans n’ont jamais posé le pied sur le pont d’un voilier! Ce sont en fait des fans de sports de course.

- L’équation à résoudre est classique: revendiquer la plus grande audience possible pour obtenir en retour plus de recettes publicitaires et de droits de retransmission?
- Oui, comme dans n’importe quelle autre ligue sportive professionnelle, il est important que les équipes en lice puissent gagner de l’argent. Car ces équipes ont chacune un – ou plusieurs – propriétaire. Et un propriétaire, comme c’est le cas avec des clubs de foot, voudra ou devra tôt ou tard revendre son team. Jusqu’à présent, dans les sports de voile, une équipe disparaissait purement et simplement quand son propriétaire cessait de la financer. C’était à chaque fois un gâchis, car c’était toute une valeur, tout un «brand equity» (capital de marque, ndlr) qui sombrait d’un coup avec elle. A mon propre étonnement, des changements de propriétaires ont déjà eu lieu alors que je pensais qu’il faudrait cinq ou six saisons d’existence pour générer de telles transactions. Et ces prochains mois, d’autres changements de propriétaires auront lieu.

- Allez-vous tôt ou tard proposer un tout nouveau bateau pour ce championnat?
- Nous avons déjà fait évoluer les foils et les gouvernails. Nous pourrions modifier ces F50 en les rendant plus étroits. Mais nous ne voulons pas changer le design général. En formule 1, par exemple, les voitures seraient plus rapides si elles étaient entièrement carrossées. Mais les dirigeants ne veulent pas le faire pour conserver l’identité de ce championnat automobile. C’est pareil pour SailGP. Le plus important, c’est de proposer des belles régates. La voile a longtemps fonctionné, de manière générale, sur le principe d’un nouveau bateau chaque année. Ce n’est pas durable, ni sur le plan financier, ni sur le plan environnemental. Ce n’est même pas nécessaire. La technologie seule n’est rien. Ce sont d’abord les marins, leur histoire personnelle et les courses qui assurent le spectacle et le suspense. En fait, il y a deux manières de faire croître l’intérêt pour un sport. Il y a d’abord les grandes vedettes planétaires, du genre Michael Jordan ou Tiger Woods. Et puis il y a la nationalité. Nous essayons donc de donner plus de visibilité aux navigateurs et de mettre en avant les nationalités des teams.

Il y a vingt ans, à Auckland: Russell Coutts gagnait avec et pour Ernesto Bertarelli (à dr.) le plus vieux trophée de l’histoire des sports, l’America’s Cup.

Il y a vingt ans, à Auckland: Russell Coutts gagnait avec et pour Ernesto Bertarelli (à dr.) le plus vieux trophée de l’histoire des sports, l’America’s Cup.

Panoramic/imago-images

- Votre analyse des performances encore modestes de l’équipage suisse?
- Ce team est talentueux. Son skipper, Sébastien Schneiter, a prouvé encore tout récemment qu’il était un crack en voile olympique. Mais le catamaran de SailGP est sans doute le voilier le plus difficile à barrer actuellement. A chaque manœuvre, il y a 32 actions à réaliser dans un timing parfait. En fait, il faut du temps à une nouvelle équipe pour prendre confiance en elle sur ce bateau qui frôle les 100 km/h au milieu de neuf concurrents. A bord, en pleine régate, quand les vents sont forts, je vous assure que c’est très stressant.

- Le défi de SailGP, cʼest aussi de permettre au meilleur équipage de se distinguer. Cʼest réussi?
- Oui, et cela m’enchante. Les bateaux sont identiques et sans assistance électronique. Les Australiens et leur barreur, Tom Slingsby, dominent actuellement. C’est parce qu’ils maîtrisent ce bateau mieux que les autres. Jamais dans la voile l’équité sur le plan matériel n’avait été si grande. En formule 1, en revanche, que se passerait-il si Verstappen et Hamilton échangeaient leurs voitures? En SailGP, c’est clair: les meilleurs marins gagnent, pas le meilleur bateau.

- Chaque étape de SailGP comprend aussi des compétitions pour les jeunes. Quelles sont les valeurs positives de votre sport?
- La voile est un sport tout simplement fantastique! Bien sûr, je ne suis pas objectif, mais cʼest bel et bien un sport qui réunit le côté athlétique, particulièrement sur un bateau comme le F50. Mais c’est aussi une discipline mentale, c’est savoir penser, anticiper et réagir sous la pression, c’est une course effrénée sur l’eau. Ce n’est pas seulement aller le plus vite possible, c’est de la stratégie, c’est un sport complet qui demande des talents variés. Et c’est enfin un sport intimement relié à la nature et qui dépend complètement d’elle. Sans oublier non plus l’importance centrale et le plaisir que procurent le travail et l’esprit d’équipe.

- Quel est lʼévénement le plus fort de votre carrière de marin, qui vous a donné le plus dʼendorphines en quelque sorte?
- Il y en a eu beaucoup. Mais le titre olympique à Los Angeles en 1984 quand j’avais 22 ans reste bien sûr un moment d’une grande intensité. Et il y a aussi eu mes années Alinghi, qui m’ont fait découvrir d’autres cultures en travaillant avec une équipe très internationale. Enfin, travailler ensuite avec Larry Ellison est une source d’inspiration incroyable. Et il le reste aujourd’hui à 79 ans. Il m’a tellement apporté sur le plan du management et de la technologie! Collaborer avec lui durant toutes ces années, c’était comme faire le plus pointu, le plus extrême, le plus précieux des MBA.

- Que referiez-vous différemment si cʼétait possible?
- Rien.

- Vos années suisses, un souvenir mitigé?
- Pas du tout. Au contraire. Honnêtement, je me souviens de cette période avec une incroyable affection. Sans la moindre amertume. Et trois de mes enfants sont nés en Suisse.

- Vous partirez à la retraite un jour, dans une belle maison sur une côte de NouvelleZélande, pour tirer quelques bords seul sur un petit monocoque au lever du soleil?
- Je le fais déjà. Mais pas seul: en famille ou avec des amis, avec qui je partage un voilier de plaisance. Il faut faire des breaks. Et cela m’arrive, c’est... comment dire... la paix!

- Le plus important dans la vie?
- La famille et les amis.

Par Philippe Clot publié le 23 octobre 2023 - 09:36