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Décryptage

Volcans en éruption: faut-il craindre le pire?

Le 11 novembre, la ville de Grindavík, en Islande, a dû être évacuée. Le lendemain, c’est l’Etna qui entrait en éruption en Sicile. Près de Naples, un autre volcan se fâche, ainsi qu’au Japon et en Russie. Entrons-nous dans une inquiétante période de volcanisme global? Les explications en sept points du géologue genevois Thierry Basset.

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Image de l'éruption du Fagradalsfjall, en Islande, de 2022

Image de l’éruption du Fagradalsfjall, en Islande, de 2022, prise par Thierry Basset, qui suit de très près les volcans en Islande. Une «éruption à touristes», comme il le dit, qui n’avait fait aucun dégât. Mais celle qui pourrait avoir lieu ces prochains temps pourrait être une véritable catastrophe naturelle pour les Islandais.

Thierry Basset

Géologue et volcanologue de formation, Thierry Basset est un professionnel de la vulgarisation scientifique en sciences de la Terre. Ce Genevois de 60 ans, qui organise des voyages à thèmes volcanologiques dans le monde entier, nous livre son analyse de la situation actuelle.

1. L’activité volcanique simultanée dans plusieurs régions du globe est-elle bien un concours de circonstances? 


Il n’y a en effet aucun lien entre ce qui se passe actuellement en Islande, en Italie, que ce soit dans les champs Phlégréens, près de Naples, ou sur l’Etna, ou ailleurs dans le monde. Ces zones volcaniques sont non seulement très éloignées les unes des autres, mais leurs contextes géologiques et donc leurs types de volcanisme sont très différents. Les magmas qui alimentent ces régions ne sont pas identiques. D’une manière plus générale sur Terre, au moment où on se parle, il y a entre 15 et 20 volcans en éruption. Sur une année, une soixantaine de volcans environ font éruption de manière indépendante les uns des autres.

2. Quelle est la spécificité de la situation actuelle, très tendue, en Islande par rapport aux précédentes éruptions que vous aviez observées sur place? 


L’éruption n’a pas encore débuté en Islande, mais si elle démarre, elle sera du même type que les trois précédentes de 2021, 2022 et 2023. Il s’agira d’une longue fissure qui émettra de la lave basaltique très chaude et très fluide et qui produira des fontaines et des coulées de lave. Il s’agira donc d’une éruption peu explosive. Ce qui change avec les éruptions précédentes, c’est la très importante phase de distension de la croûte terrestre qui a déjà débuté et qui a provoqué de forts séismes, des ouvertures de fissures et des affaissements de terrain spectaculaires. La ville de Grindavík a été durement touchée et ses 4000 habitants ont été évacués. Si l’éruption démarre, on craint que les coulées de lave ne touchent rapidement la ville. Elles pourraient aussi toucher le site le plus touristique d’Islande, Blue Lagoon, fermé depuis plusieurs jours, ainsi qu’une centrale géothermique. En cas d’éruption, ce ne sera plus une «éruption à touristes» comme les trois précédentes, qui n’avaient fait aucun dégât et aucune victime, et qui avaient été observées par des dizaines de milliers de personnes. Ce sera une vraie catastrophe naturelle pour des milliers d’Islandais.

Image d'une faille apparue dans un croisement près de la ville de Grindavík

Image prise par drone le 16 novembre dernier d’une faille apparue dans un croisement près de la ville de Grindavík, dont les 4000 habitants ont été évacués. La petite ville se trouve à 40 km de Reykjavík, la capitale.

Bjorn Steinbekk/AP/Keystone

3. Si l’éruption démarre, est-il possible de prévoir son évolution, sa durée, son intensité? 


Pas vraiment. Cela reste un exercice très difficile pour les volcanologues islandais. On sait néanmoins quel type d’éruption se produira et où elle se produira, approximativement. Dès qu’elle aura démarré, les volcanologues pourront déterminer plus précisément dans quelles zones les coulées de lave s’épancheront. Mais des surprises sont toujours possibles: si la fissure se propage dans l’océan et que le magma entre en contact avec l’eau, l’activité peut devenir explosive, avec émissions de cendres, et là d’autres problèmes surgiront... Concernant sa durée, difficile de l’estimer. Si on se réfère aux éruptions historiques de ce type en Islande, elle peut durer d’une à deux semaines jusqu’à plus d’une année.

4. Dans le cas d’un pays comme l’Islande, posé sur une faille tectonique, l’ensemble de son territoire est-il en danger? 


Non. L’Islande est effectivement traversée par une énorme faille, la dorsale océanique médio-atlantique, qui marque la frontière entre les plaques tectoniques européenne et nord-américaine. Mais l’activité volcanique est concentrée le long de cette faille, et au niveau d’un point chaud situé sous le grand glacier Vatnajökull. Ce qui signifie que les éruptions ne peuvent avoir lieu que dans certaines zones bien définies qui ne représentent que 10 à 15% du territoire islandais. Et pour la crise actuelle qui nous intéresse, la zone menacée par l’éventuelle future éruption est très localisée à l’extrémité sud-ouest de la péninsule de Reykjanes. Cela représente moins de 0,1% de la superficie du pays.

5. Cela fait treize siècles que l’Islande est habitée. Ce peuple a-t-il appris à vivre avec ce danger récurrent? 


Oui, bien sûr. Dès le début de la colonisation, à la fin du IXe siècle, les Vikings ont été rapidement confrontés aux éruptions volcaniques, qu’ils ne connaissaient pas en Norvège. La plus grande éruption effusive de notre planète de ces 2000 dernières années s’est produite en Islande quelques décennies seulement après leur arrivée; il s’agit de l’éruption d’Eldgjá. Ensuite, tout au long de leur histoire, ils ont vécu d’innombrables éruptions, comme celles de l’Hekla, du Katla et du Grímsvötn, pour ne citer que les volcans les plus connus et les plus actifs. En 1783, l’éruption du Laki a provoqué une famine qui a tué le quart de la population de l’époque, soit environ 10 000 personnes. C’est la plus grande catastrophe naturelle de l’histoire islandaise. L’éruption qui s’annonce ne sera pas aussi dramatique: il y aura des dégâts peut-être importants, mais très probablement aucune victime. Les autorités de ce pays, avec l’aide de la protection civile et des volcanologues islandais, sont très compétentes et ont l’habitude de gérer ce type de crise.

le volcanologue genevois Thierry Basset sur le terrain.

Le volcanologue genevois Thierry Basset sur le terrain.

Collection Thierry Basset

6. Est-il possible que l’activité volcanique terrestre devienne si forte qu’elle constitue un danger pour la vie sur toute la planète? 


Non. Les volcans sont certes parfois capables de produire des éruptions gigantesques qui dépassent l’entendement humain et qui feraient passer l’éruption du Vésuve de 79 après J.-C. pour du «pipi de minet». On en connaît plusieurs exemples dans la longue histoire géologique de notre planète. On peut en citer un: la série d’éruptions d’il y a environ 250 millions d’années et dont on retrouve des traces en Sibérie. Elle a provoqué la plus grande extinction de masse connue: plus de 90% de tout ce qui vivait sur notre planète a été décimé. Mais ces éruptions-là sont très, très rares. Elles sont si rares que la probabilité de subir un tel événement durant notre vie ou même à l’échelle de notre civilisation est quasi nulle. En fait, comme pour les autres phénomènes naturels (séismes, inondations, tsunamis, ouragans...), il y a beaucoup d’événements volcaniques de faible amplitude, mais plus les événements sont importants, moins ils sont fréquents. Ça, c’est plutôt une bonne nouvelle!

7. La volcanologie continue-t-elle de faire des progrès en matière de prévision d’éruptions et d’adaptation à ce type de risque? 


Oui, depuis l’avènement de la volcanologie moderne, au début du XXe siècle, il y a eu beaucoup de progrès réalisés, en parallèle avec les progrès technologiques. On a maintenant des instruments très sensibles capables de mesurer les séismes, les déformations de terrain, les variations d’émissions de gaz qui précèdent très souvent une éruption volcanique. J’aime bien citer cet exemple: en 1902, la montagne Pelée, en Martinique, explosait et la ville de Saint-Pierre et ses 28 000 habitants disparaissaient dans la plus grande catastrophe volcanique du XXe siècle. Presque un siècle plus tard, dans la même région du monde, à Montserrat, avec le même type de volcan et les mêmes phénomènes volcaniques, une ville a été détruite, mais pratiquement sans aucune victime! La population avait été évacuée à temps grâce aux progrès de la volcanologie. Mais le tableau n’est pas aussi rose qu’il en a l’air, car prédire une éruption reste pour les volcanologues un exercice difficile. D’autant plus que tous les volcans potentiellement dangereux de la planète ne sont pas surveillés. Et n’oublions pas qu’avec l’augmentation de la population mondiale il y a de plus en plus de personnes soumises aux risques volcaniques.

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Par Philippe Clot publié le 29 novembre 2023 - 10:39