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Zoé Schellenberg: «La vie vaut plus qu’une paire de seins»

Sa maman, sa tante et sa sœur ont eu un cancer du sein. Après un dépistage génétique positif, l’actrice romande Zoé Schellenberg a choisi de subir une double mastectomie préventive. Elle témoigne pour aider d’autres femmes à faire un choix éclairé.

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La comédienne romande Zoé Schellenberg

La comédienne romande, porteuse d’une mutation génétique, a préféré subir une double mastectomie plutôt que de risquer une tumeur maligne aux seins.

Julie de Tribolet

«Bien sûr, j’aimais bien mes seins comme ils étaient avant. Mais ma féminité passe par tellement d’autres endroits. Et puis je ne vais pas risquer de mourir pour une paire de «boobs»!» La comédienne Zoé Schellenberg assume pleinement sa décision prise en 2021, celle de subir une double mastectomie préventive, et accepte d’en parler ouvertement à l'occasion du 19 octobre, journée internationale de sensibilisation au cancer du sein. Au fil de l’après-midi passé dans la maison qu’elle partage avec une joyeuse smala, elle évoque son enfance entre Lausanne, Bâle, Genève, Schaffhouse et Berne, les séries «La chance de ta vie» et «Irrésistible», le théâtre – elle a notamment joué dans «Small g – Une idylle d’été», d’après un roman de Patricia Highsmith, mise en scène par l’inspirante Anne Bisang – ou encore sa façon d’incarner un silure ou une abeille dans «Nos amis sauvages». Et, bien sûr, le cancer, cette «malédiction familiale», qui a frappé sa maman, sa tante et sa sœur Albertine.

Zoé Schellenberg se révèle une femme profondément libre, résolument moderne, ce qui ne l’empêche pas d’être une maman attentionnée. Pointilleuse, mais avec un grain de folie au point d’inviter des poules dans son salon. Un petit air indomptable pimente son élégance naturelle, un feu intérieur éclaire son aura. Son équilibre, elle donne l’impression de le trouver dans un certain déséquilibre, qui offre moins de risques de se laisser aller à somnoler. 

Elle vit en France voisine, entre le Grand et le Petit Salève, dans une maison datant de 1820 protégée par un monumental tilleul tricentenaire, où une conversation est parfois interrompue par le braiment des ânes du voisin. Une maison au plancher aussi vieux qu’elle, pleine de chaleur et de livres, baignée de rires et de lumière, de cris et de couleurs. Une maison où Tancrède fait de l’escalade sur la rampe d’escalier, Palmyre tournoie avec une poule dans les bras, Phèdre défile avec sa ravissante robe indienne, la petite Solika renverse un bol de céréales sur le tapis d’Orient du salon sans provoquer de crise de nerfs, même en plein shooting photo. Les quatre enfants, âgés de 20 mois à presque 6 ans, sont ceux de Zoé et d’Albertine qui vivent là avec leurs époux respectifs, Daniel et Adrien. Le grand-père, Markus, lui, habite la petite maison située à 20 mètres de là, à l’ombre du tilleul. 

La comédienne romande Zoé Schellenberg

Phèdre, en robe indienne, Palmyre, au premier plan, Tancrède, couché, en pyjama à bananes, et la petite Solika sur les genoux de son grand-père Markus font rire Albertine et Zoé Schellenberg ainsi que leurs maris, Adrien Mangili et Daniel Tschirley (assis par terre).

Julie de Tribolet

Une grande liberté d’action


Cette vie en communauté, les deux sœurs en ont longtemps rêvé avant d’acheter ensemble cette propriété il y a deux ans. «Nous avons toutes les deux de grands rêves, de grandes ambitions, et nous nous sommes rendu compte que l’union fait la force. Nous nous disputons énormément, mais il y a bien plus de positif que de négatif. Notre configuration de vie nous offre une grande liberté. Même avec quatre enfants en bas âge, n’importe lequel d’entre nous peut s’absenter pendant des jours, les autres assurent», explique Zoé, qui va d’ailleurs partir un mois en Nouvelle-Calédonie pour jouer dans la pièce «Une dernière fois le Sud».

La complicité affectueuse que Zoé et Albertine ressentent l’une pour l’autre a encore été étayée par l’épreuve que cette dernière a traversée à 29 ans. Elle allaitait sa deuxième fille, Palmyre, lorsqu’elle a senti une anomalie dans son sein. Après une première mammographie bâclée, ne révélant rien d’inquiétant, elle a insisté. Et elle a bien fait. Le diagnostic tombe enfin: cancer! Chimiothérapie, radiothérapie, double mastectomie, hormonothérapie rythmeront sa vie pendant un an. Lors d’un tel parcours du combattant, comme c’est une question de vie ou de mort, les patientes ont tendance à suivre religieusement les conseils du corps médical. Pas Albertine. «Je voulais aller à la mer avant l’opération, j’en avais vraiment besoin. Mais quand j’ai dit à la sénologue (médecin spécialisée dans les maladies du sein, ndlr) qu’il fallait la décaler, elle a pété une durite.» Idem lorsqu’il est question de lui enlever la chaîne ganglionnaire, alors que, désormais, des études tendent à prouver qu’en faisant une radiothérapie plus étendue, on a d’aussi bons résultats, avec moins d’effets secondaires. Et pareil pour l’hormonothérapie, dont elle ne supportait pas les effets. «Les médecins veulent tendre vers le risque zéro. Mais nous, nous sommes d’accord de prendre certains risques pour certaines choses», assurent les frangines de concert.

Sous étroite surveillance


Zoé a également voulu être partie prenante dans chaque décision de son parcours médical. Lorsque, après le diagnostic d’Albertine, elle va enfin chercher les résultats de son test génétique fait plus d’un an auparavant, elle apprend qu’elle est porteuse d’une mutation du gène BRCA2, augmentant très significativement le risque d’avoir un cancer du sein. «Je suis allée voir un spécialiste qui m’a expliqué qu’on allait me suivre de plus près; au lieu de me faire un examen par an, on m’en ferait deux. Je suis rentrée chez moi rassurée, en me disant qu’il n’était plus question de mastectomie, qu’une étroite surveillance était suffisante.» 

Mais, après réflexion, la comédienne se rend chez un autre médecin pour savoir ce qui se passerait précisément si on lui découvrait un cancer, ce qui est statistiquement probable tôt ou tard. «Il m’a expliqué que, grâce au suivi, on le détecterait sans doute précocement, mais que je devrais certainement subir une chimiothérapie. Donc, en fait, j’allais avoir le même parcours qu’Albertine. En plus, avant cela, on ne m’avait pas parlé des problèmes de fertilité. Après certains traitements tels que la chimiothérapie ou l’hormonothérapie, il peut être difficile, voire impossible d’avoir un enfant.» Ce que Zoé reproche aux médecins, c’est de ne pas lui avoir montré d’entrée de jeu l’entier du tableau, de ne pas lui avoir expliqué en détail ce que l’option «surveillance» impliquait. «Après avoir enfin eu toutes les cartes en main, je me suis dit: «Je n’ai absolument pas le temps d’avoir un cancer, de mettre ma vie entre parenthèses pendant un an. Avec le métier que je fais, je n’ai pas le temps de perdre mes cheveux et d’attendre qu’ils repoussent. Je n’ai pas le temps de me retrouver avec le cerveau ramolli par la chimio!» De plus, la maladie peut malgré tout être mortelle. Estimant que «la vie vaut plus qu’une paire de seins», elle opte pour une double mastectomie prophylactique. 

Zoé Schellenberg et sa soeur Albertine

Albertine et Zoé Schellenberg, qui ont toutes deux subi une double mastectomie, ont envie de dire à toutes les femmes d’être partie prenante dans leur existence, de ne pas être de simples passagères de leur vie.

Julie de Tribolet

A Pâques 2021, elle subit l’intervention avec reconstruction immédiate et pose de prothèses. «Le cancer, quand on a le gène, c’est comme une malédiction familiale. Or l’ablation de mes seins me permettait de la neutraliser, d’enlever l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de ma tête, de prendre mon destin en main, de servir d’exemple pour ma fille, pour mes nièces.» D’ailleurs, elle milite pour que l’on puisse faire le test génétique avant 25 ans, âge à partir duquel il peut habituellement être réalisé. «Après une double mastectomie, une femme ne peut pas allaiter; donc savoir assez tôt qu’elle a cette mutation héréditaire peut lui permettre de décider d’avoir des enfants rapidement, pour pouvoir les allaiter avant de subir l’ablation. Aucune patiente ne devrait se laisser dicter ses choix par la médecine, il faut parvenir à changer le rapport avec les spécialistes.» Après l’opération, Zoé, devenue maman, a demandé de leur lait à trois femmes du village ayant des enfants en bas âge. «Pendant neuf mois, j’ai donné ce lait qui n’était pas le mien à Solika. En fait, je peux dire que ma fille a été allaitée par trois femmes.»

Nos seins ne nous définissent pas


Zoé Schellenberg tient aussi à souligner une vérité essentielle: «Une femme n’est pas qu’une paire de «boobs»! Nos seins ne nous définissent pas. Et ils ne définissent pas non plus notre sensualité, ni notre sexualité. Au lieu de considérer cette ablation comme une perte d’une partie de la féminité, il faut la voir comme une porte ouverte au renouvellement de l’exploration sexuelle dans le couple.» Son mari, lui, n’a pas hésité une seconde. «Daniel a été formidable. C’est important que quelqu’un te dise: «Tu es une déesse, avec ou sans seins.» Quand je lui ai annoncé que j’envisageais l’amputation, il m’a tout de suite dit: «Evidemment que tu dois le faire. Je ne veux pas prendre le risque que tu puisses mourir parce qu’on a voulu garder tes seins.» Avec Albertine, il a même organisé une grande fête surprise avec tous leurs amis, pour dire adieu à la poitrine de Zoé autour d’un grand feu de joie. 

Cette volonté de ne pas se laisser dicter sa conduite, de ne pas se laisser enfermer dans des cases, la lumineuse comédienne l’exprime aussi dans son parcours professionnel. Lorsqu’on lui propose de collaborer à la quatrième saison de «Nos amis sauvages», l’émission de Julien Perrot sur la RTS, elle accepte à condition de ne pas juste être une animatrice-potiche. Elle écrit donc ses propres textes pour mieux se glisser dans la peau du silure, du pic noir, de l’hermine et de l’abeille sauvage. Pour la série «La chance de ta vie», elle est trop jeune pour le rôle de l’épouse du gagnant à la loterie, une énergique plombière, mais le réalisateur modifie son point de vue – «On dira qu’elle a eu ses enfants très jeune» – pour elle. «Je dois travailler pour être prise, mais ensuite je dois aussi travailler pour élever le rôle, pour l’emmener quelque part, pour lui donner plus de relief», explique celle qui prend très à cœur chacune de ses prestations. Elle fait des propositions aux metteurs en scène, défend son point de vue. Dans «Irrésistible», la toute nouvelle série de Disney+, elle incarne Solène, l’épouse de l’homme qui tombe amoureux fou d’une autre. «J’ai beaucoup discuté avec l’un des réalisateurs pour éviter d’en faire une bourgeoise en cachemire beige qui a un balai dans le cul, tellement chiante que son mari va forcément la tromper, une épouse dont tout le monde aurait envie qu’il la plaque. Nous avons pensé que ce serait tellement plus intéressant d’en faire une femme incroyable pour que les gens se disent: «Oh non, il ne faut pas qu’il la quitte!» Et, effectivement, Solène est terriblement attachante. En attendant une possible deuxième saison, on se réjouit de découvrir Zoé Schellenberg dès le 8 novembre sur RTS 1 dans la série «Les indociles», adaptation d’une BD jurassienne. Tiens, indocile, voilà un adjectif qui lui sied à merveille!

Zoe Schellenberg entourée de sa famille

Au sein du clan Schellenberg, on dialogue, on s’engueule et on rigole en français, mais aussi en allemand (le grand-père est Bâlois), en italien et en anglais. A noter que la poule sur le buffet vert est bien vivante.

Julie de Tribolet
Zoé Schellenberg dans la série «La chance de ta vie»

Zoé Schellenberg a cassé son image romantique en campant Loane, une plombière énergique, dans la série «La chance de ta vie». Elle excelle aussi dans la comédie.

Philippe Christin/RTS

L’effet Angelina Jolie 


En 2013, l’actrice a déclaré être porteuse de mutations sur le gène BRCA1 et avoir subi une double mastectomie préventive, incitant de nombreuses femmes à se faire dépister.

Pierre Chappuis, directeur de l’unité d’oncogénétique des Hôpitaux universitaires de Genève

Pierre Chappuis, directeur de l’unité d’oncogénétique des Hôpitaux universitaires de Genève.

Hug

Le Pr Pierre Chappuis, oncogénéticien, dirige l’unité d’oncogénétique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). «Toute personne concernée par ses antécédents personnels ou familiaux de maladies tumorales peut avoir accès à une évaluation oncogénétique, explique-t-il. Il existe de multiples situations médicales impliquant des prédispositions génétiques aux cancers qui peuvent parfois également impliquer les enfants. Les situations sont évaluées lors d’une consultation dite consensus; la place d’une analyse génétique constitutionnelle est alors discutée.» Si elle a lieu, le prélèvement se fait par prise de sang. Le dépistage, incluant plus de dix gènes de prédisposition, coûte d’environ 4000 francs et est habituellement pris en charge par l’assurance maladie de base. «Les risques les plus importants concernent les mutations dans les gènes BRCA1 et BRCA2, avec des risques sur l’ensemble de la vie de cancer du sein supérieur à 60% (ovaires: 40-60% pour BRCA1 et 15-30% pour BRCA2). En comparaison, les risques observés dans la population générale sont de 12% pour le cancer du sein et d’environ 1% pour celui des ovaires.»

Les annonces publiques faites par Angelina Jolie en 2013 «ont eu un écho remarquable et durable sur le nombre de consultations d’oncogénétique qui a très nettement augmenté partout dans le monde. Il a plus que doublé entre 2012 et 2014 aux HUG.» En 2022, 357 analyses constitutionnelles y ont eu lieu, permettant l’identification de 59 mutations. Cependant, moins de cinq femmes par année optent pour une mastectomie préventive bilatérale aux HUG. «Il s’agit toujours d’une option et non pas d’une recommandation médicale, l’alternative étant une surveillance très régulière par IRM et mammographie», précise le Pr Chappuis.

Par Olaya Gonzalez publié le 19 octobre 2023 - 08:48