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Sport et confinement

Champions à domicile

Avec le printemps et les beaux jours, nos athlètes d’élite devraient courir, gagner, se qualifier. Privés de Jeux olympiques, repoussés en 2021, ils se retrouvent à l’arrêt, reclus. Comment vivent-ils cette étrange situation? Six Romands se confi(n)ent.

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Le cycliste travaille chaque jour dans le jardin en permaculture de son frère, à Bramois (VS). Nicolas Righetti/Lundi13

«J’ai pris la décision de ne plus sortir à vélo»

Sébastien Reichenbach, 30 ans, cycliste professionnel.

Grimpeur d’école, le champion de Suisse sur route devrait être en train de dompter le col de la Croix ou de repérer l’étape du Tour de Romandie qui finissait à Thyon et lui allait comme un gant. Il se retrouve sur son home trainer, seul chez lui, à Vétroz (VS). «Dès le début, j’ai pris la décision de ne plus sortir à vélo, par respect pour l’urgence de la situation. On voit beaucoup de cyclistes sur les routes, or ce n’est pas le moment d’avoir un accident. Le vélo reste un sport à risque.» Il s’entretient comme il peut, de la musculation pour le haut du corps et jamais plus d’une heure sur le home trainer précité, «car il génère une transpiration intense, pas saine, qui peut provoquer des carences».

Le report des Jeux lui semble logique, tant les équipes ont cessé de s’entraîner. Certains coureurs de son équipe, Groupama-FDJ, ont même connu deux quarantaines, d’abord à Dubaï, puis en rentrant en Europe. Lui, il pense aux superbes Mondiaux d’Aigle-Martigny, en septembre, à la maison. «Les organisateurs s’interrogent, ils doivent entamer de gros investissements. Tout dépendra de la reprise de la saison. Il faudrait qu’un grand Tour puisse se disputer avant.»

Heureusement, le pro du mollet a la main verte. «J’ai la chance d’avoir un jardin à 10 kilomètres, chez mon frère. J’y vais chaque jour, c’est ma seule occupation. J’aime; j’y allais déjà pour déconnecter de la compétition.» Il apprécie les légumes frais, les salades, les tomates. Mais serre les poings: «A cette époque de l’année, nous sommes tellement pleins d’énergie, quasi au top de notre forme.»


«J’aimerais me rendre utile!»

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Eloignée des terrains, semi-confinement oblige, la joueuse de tennis entretient sa forme physique avec les moyens du bord, comme ici des bouteilles d’eau qu’elle utilise comme des haltères, devant chez elle, dans les hauts de Lausanne. Nicolas Righetti/Lundi13

Timea Bacsinszky, 30 ans, joueuse de tennis.

Elle devait faire son retour sur les courts ces prochains jours, après six mois d’absence dus à des blessures. «J’ai recommencé à jouer au tennis début mars», explique Timea Bacsinszky au téléphone. En ligne de mire, la rencontre de Fed Cup à Budapest, Roland-Garros et Wimbledon. Et pourquoi pas les JO, même si la Vaudoise, médaillée d’argent en double à Rio il y a quatre ans avec Martina Hingis, était encore loin de décrocher son billet pour Tokyo. «Le report des Jeux était la seule solution», reconnaît-elle.

Timea Bacsinszky a été stoppée dans son élan. «Je ne pouvais plus jouer tout en respectant les règles de sécurité. Un privé m’a gentiment proposé de me mettre son terrain à disposition. On verra. Pour l’instant, je me limite au physique. Je cours six fois par semaine, je fais de la corde à sauter et des sprints dans mon jardin. J’utilise des bouteilles d’eau comme haltères. Je deviens créative», s’amuse la joueuse. Elle occupe ses journées grâce aux séries et à la lecture (et glisse en passant sa déception pour son ami Joël Dicker de n’avoir juste pas pu sortir son livre à temps) et profite de cette pause forcée pour ralentir. «Je fais du jardinage et je prévois de réaliser un potager si j’arrive à trouver des graines. Revenir à l’essentiel, ça fait du bien.» Avec une petite inquiétude, pour elle qui est déjà sans revenus depuis plusieurs mois. «J’ai la chance d’avoir bien gagné ma vie, mais si cette situation devait durer, cela deviendrait compliqué.»

Elle fait chaque semaine les courses pour sa mère et souhaiterait faire plus. «J’aimerais me rendre utile. Je n’ai pas de diplôme, je ne suis ni médecin ni infirmière, juste joueuse de tennis. Mais si je peux aider qui que ce soit, je suis là.» L’appel est lancé.


«J’ai tout sacrifié pour les Jeux»

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Le plongeur a rejoint la terre ferme. Guillaume Dutoit, ici sur un ergomètre, vit confiné avec sa copine et la famille de celle-ci, à Pont-la-Ville (FR), avec vue sur le lac de la Gruyère. Nicolas Righetti/Lundi13

Guillaume Dutoit, 24 ans, plongeur, 57 fois champion de Suisse.

Le report des Jeux cause le malheur des sports moins connus, ceux que les médias négligent hors olympiades. Exemple: le plongeon, la discipline ô combien exigeante du Vaudois Guillaume Dutoit. «Participer à des Jeux est la finalisation du travail de toute ma vie. J’y pense depuis mes débuts, depuis quinze ans. Même si, surtout après avoir manqué Rio, j’essaie de les considérer comme la cerise sur le gâteau.» Pour lui, tout se serait décidé fin avril, dans la piscine olympique de Tokyo. Vingt-deuxième des derniers Mondiaux, il avait une réelle chance de valider son ticket.

Depuis un an, il avait consenti tous les sacrifices. Optimiste, il avait quitté son travail accessoire et ses études, un brevet de masseur médical, et pris le risque de devenir professionnel, pour la première fois de sa vie. Et maintenant? «Je n’en sais rien. J’espère que j’aurai encore des arrangements l’an prochain. Je parle avec mon école, jusqu’ici très compréhensive. A bientôt 25 ans, je dois penser à gagner mon pain.» Normalement, il s’entraîne chaque jour deux heures et demie matin et soir; être pro signifie pour lui une immense différence: «Pour la récupération, c’est le jour et la nuit.» Financièrement, il doute. «Je reçois des aides du canton et d’associations. Avec la chute des budgets, que décideront-ils?»

Au quotidien, il a quitté la piscine lausannoise de Mon-Repos dès le début des restrictions et décidé de vivre dans la maison de son amie, en Gruyère. «Je ne sors plus du tout, à part dans le jardin. Je prends les règles à cœur, j’ai envie que cela passe vite. La difficulté, ce n’est pas le physique, c’est le maintien de la technique. Il me faut une piscine, de l’eau.»

>> Voir le portrait en vidéo de Guillaume Dutoit

Vidéo

Guillaume Dutoit, 23 ans et 56 fois champion de Suisse

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56 fois auréolé du titre de champion de Suisse de plongeon, Guillaume Dutoit possède, à 23 ans, un immense palmarès. Bourreau de travail, le plongeur du Gros-de-Vaud s’entraîne 25 heures par semaine sans gagner la moindre prime. Mais avec un rêve: une participation aux Jeux olympiques de Tokyo 2020. Johan Perruchoud

«Les agriculteurs sont bien plus utiles que nous»

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Depuis la fermeture des salles de sport, l’athlète valaisanne pédale sur son vélo d’appartement dans le jardin familial, à Sierre. Nicolas Righetti/Lundi13

Lore Hoffmann, 23 ans, athlète spécialiste du 800 m et étudiante à l’EPFL.

On l’attrape au bout du fil, entre une session d’entraînement en solo et une vidéoconférence pour ses cours. A 23 ans, la Sierroise Lore Hoffmann ne chôme pas. Etudiante de master en génie mécanique à l’EPFL et spécialiste du 800 m, elle continue de mener ses deux activités de front, malgré la situation de semi-confinement. «Je ne peux plus accéder au stade de Sierre, mais je m’entraîne seule sur la route et dans la nature, en respectant les distances et mesures de sécurité. Certaines personnes me regardent de travers, mais, en tant que sportifs, si on ne s’entraîne pas, on régresse», se défend la Valaisanne.

Comme les autres, elle a accueilli la nouvelle du report des Jeux avec philosophie. «C’est une bonne nouvelle. Les athlètes n’avaient de toute façon plus la possibilité de se qualifier. Et ceux qui le sont déjà ne peuvent pas s’entraîner.»

Son nouvel emploi du temps, dit-elle, ne change pas beaucoup de l’ordinaire. Souvent à l’étranger, son père est rentré à la maison, tout comme sa sœur, étudiante à Genève. «Le vrai changement, c’est que la famille est de nouveau réunie au quotidien, poursuit Lore Hoffmann, qui tente de rester sereine malgré le contexte. On voit défiler des chiffres, on se fait bombarder de messages anxiogènes, il faut arriver à garder la tête froide.»

Pour elle, la période est surtout propice à la réflexion. «Cela permet de prendre un peu de recul et de se questionner sur notre place. De se rendre compte qu’au fond, les sportifs d’élite ne servent à rien. Et que les agriculteurs sont bien plus utiles que nous dans la société.»


«Je ne suis pas déçu. La conscience de la vie passe avant»

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Le marathonien dans la forêt à côté de chez lui, à Confignon (GE). Virus ou pas, il court encore comme il respire. Nicolas Righetti/Lundi13

Tadesse Abraham, 37 ans, marathonien, champion d’Europe de semi-marathon en 2016.

Ce mardi-là, Tadesse Abraham rentrait de l’entraînement quand il a lu notre message qui lui annonçait le report des Jeux olympiques. Il n’a pas été si catastrophé qu’on aurait pu le penser. «Non, je ne suis pas déçu. La conscience de la vie passe avant. Je suis reconnaissant envers le CIO d’avoir décidé assez tôt, quatre mois avant l’événement. Cela me permet de m’organiser. A part que j’aurai presque 39 ans, cela ne change pas beaucoup.» Il craignait surtout que ces Jeux soient placés en octobre, une période riche en courses dans nos villes. Tokyo, pourtant, il y pensait depuis si longtemps: «Mentalement, depuis Rio! Je voulais m’améliorer (il a fini 7e en 2016, ndlr), j’étais ravi d’y aller.»

Pour ce combattant qui a connu la solitude, la vraie, en fuyant l’Erythrée en 2004 sans connaître la moindre personne en Europe, le virus reste «un choc». «Je suis rentré le 24 mars d’Afrique, où je m’entraînais depuis janvier. Voir Genève ainsi m’a fait peur.» Il habite heureusement à côté d’une forêt; il a continué à s’entraîner, moins sérieusement qu’avant. Il se relâche davantage, repose son corps. Ce matin-là, il est quand même sorti à 8 h du matin et a couru 1 h 15. Impossible de l’en empêcher. Il court sans arrêt, Tadesse. Enfant, il faisait pareil, à l’étonnement de tout son village.

Il passe plus de temps avec sa famille. Son épouse, comptable, travaille à la maison. Son fils de 9 ans étudie aussi là. «C’est pour lui que j’ai peur, pas pour moi. Moi, j’ai déjà eu une vie pleine de belles choses.»


«Je travaille ma motivation pour éviter le spleen»

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Entre cuisine et jardinage, l’athlète de Gingins (VD) tente de profiter au mieux de ce repos forcé loin des stades. Nicolas Righetti/Lundi13

Lea Sprunger, 30 ans, athlète spécialiste du 400 m haies.

Désormais installée en Hollande, où elle a suivi son coach, Laurent Meuwly, parti entraîner l’équipe des Pays-Bas au printemps 2019, la spécialiste du 400 m haies est rentrée en Suisse il y a quelques jours. «J’ai très mal vécu le confinement là-bas. Je passais mon temps au téléphone. Ici, je peux traverser cette période avec mon compagnon et voir mes parents au moins de loin sur leur terrasse.»

Le report des JO, Lea Sprunger s’y attendait. «Le Comité olympique était sous pression depuis plusieurs jours», lâche-t-elle, fataliste. «Je suis soulagée qu’une décision ait été prise, même s’il y a forcément une immense déception. Je préparais cet événement depuis quatre ans», poursuit celle qui avait d’ores et déjà prévu de mettre un terme à sa carrière en 2021.

Limitée dans ses entraînements, elle se réjouit d’avoir installé l’automne dernier du matériel de musculation dans son appartement de Gingins (VD). Mais l’athlète sait déjà que tout le travail qui n’aura pas été accompli aura des conséquences sur les premières compétitions. Alors elle s’entretient une fois par semaine avec sa coach mentale. «On essaie de travailler certains aspects, comme le manque de motivation, pour éviter de tomber dans une forme de spleen. Je me dis que cette période peut être prise comme une chance. C’est du temps pour moi que je n’ai pas d’habitude. J’en profite notamment pour cuisiner. J’aime beaucoup ça.» Elle pense aussi à Ellen, sa sœur, ancienne athlète devenue maman début mars d’un petit Felix. «Depuis qu’il est né, je ne l’ai vu qu’à travers Skype. J’ai hâte de pouvoir le rencontrer en vrai!»


Par Jaquet Aurélie et Marc David publié le 1 avril 2020 - 08:33, modifié 18 janvier 2021 - 21:09