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Claude-Inga Barbey: «Ma petite-fille ose de nouveau m’embrasser»

Elle nous a émus dans une chronique où elle racontait comment sa petite-fille de 7 ans avait intégré, malgré son jeune âge, la réalité du virus et les gestes barrières qui vont avec. L’occasion de retrouver la comédienne et auteure genevoise en famille. Aujourd’hui, Charlotte embrasse de nouveau sa grand-mère!

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Complicité retrouvée entre Claude-Inga Barbey et sa petite-fille Charlotte, 7 ans. Julie de Tribolet

- Comment allez-vous Claude-Inga Barbey?
- Claude-Inga Barbey: Je vais bien. Cette parenthèse de confinement, bien que très triste, m’a permis de me reposer. Juste avant, j’alignais les boulots non-stop, j’étais en pleine tournée, assise, debout, à quatre pattes, deux fois par jour dans le spectacle des trois petits cochons que j’ai écrit et mis en scène. Avec mes 59 balais, j’étais la plus jeune, pourtant je prenais tous les jours du Dafalgan à cause des douleurs. Le confinement a sauvé mon dos!

- Vous nous avez émus dans une de vos chroniques du Matin Dimanche où vous évoquiez votre petite-fille qui a si bien enregistré le danger lié au virus qu’elle tend les mains à tout moment pour que vous les désinfectiez. Le coronavirus lui a-t-il volé son insouciance?
- Oui, c’était très étrange, ça m’a beaucoup frappée, elle a pris au pied de la lettre les consignes des maîtresses, de ses parents, si elle dessinait à table, il fallait que je garde mes distances, sinon elle me grondait. C’est vrai que c’est assez terrible, mais en même temps, à cet âge-là, ils sont très malléables. Aujourd’hui, elle ose m’embrasser de nouveau. Mais je sens bien qu’elle a pris sur elle durant cette pandémie, son caractère a changé, elle qui n’était pas capricieuse l’est devenue un peu, s’il y a un petit truc qui la contrarie, elle éclate en sanglots, comme si elle devait évacuer maintenant toute cette angoisse emmagasinée…

- Quand elle rentre dans le magasin de jouets sans rien toucher mais en désignant du doigt les objets, on se dit que c’est le monde à l’envers, non?
- Là, c’était plutôt bien, cela m’évitait de dire à tout moment: «Ne touche pas ça!» (Rires.) J’en ai beaucoup parlé avec elle de ce virus, elle l’a dessiné aussi. Des rigolos avec des capes de superman, ou des modes d’emploi: «Comment tuer le Covid». Bon, cela dit, j’espère qu’elle retrouvera très vite cette insouciance, il faut aussi relativiser, deux mois dans la vie d’un enfant, ce n’est pas grand-chose.

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Trois générations: Claude-Inga Barbey (à dr.) avec sa fille Lydie (à g.) et Charlotte. Julie de Tribolet

- Les enfants ont parfois des angoisses de mort, le virus les a-t-il accentuées?
- Chez Charlotte, ce n’était pas lié à la peur de la mort mais plutôt aux consignes à respecter. La mort, elle y a déjà été confrontée il y a deux ans avec celle de son grand-père dans un accident de voiture. Mon ex-mari, le père de ma fille Lydie, la maman de Charlotte, a été fauché par une voiture dans la vieille-ville de Genève à cause d’un gars qui avait perdu la maîtrise de son véhicule. Nous étions séparés, mais il était resté mon décorateur et mon éclairagiste depuis vingt ans. Charlotte a connu la police qui vient frapper à la porte, le chagrin de sa maman… Bon, mais pour revenir au coronavirus, il faut relativiser, deux mois dans la vie d’un enfant, c’est rien. Non, ce qui était le plus frappant, c’était justement cette adaptabilité des gosses. Au parc, c’était fou de la voir monter sur le toboggan sans se tenir à la rambarde, jouer avec sa camarade sans la toucher comme s’il y avait un mur invisible entre elles.

- On donne beaucoup de baisers dans votre milieu. Vous avez peur de ne plus jamais pouvoir embrasser vos amis?
- Au contraire, je serais ravie que la bise disparaisse, je n’aime pas ça. Juste pour ça, le Covid-19 a été une bénédiction pour moi qui ne suis pas très physique. Hier, je suis allée manger chez deux copines et on s’est fait un hug en prenant bien soin de tourner notre visage à l’extérieur.

- Votre dernier fils, qui vit encore à la maison, ose vous embrasser?
- En famille, c’est différent bien sûr, mais il a fait gaffe malgré tout lui aussi. Je crois qu’il a souffert de la solitude durant ce confinement. Il vient de fêter ses 18 ans, je suis enfin arrivée au bout de l’éducation de mes quatre enfants et cela me rend folle de bonheur. J’ai eu ma fille à l’âge de 19 ans, trois garçons ont suivi. Aujourd’hui, je peux enfin penser à moi, aller m’inscrire sur Tinder (rires). Surtout que mon dernier, quand il était petit, avait le chic pour éloigner les prétendants. A deux reprises, du haut de ses 5 ans, il leur avait lancé: «Vous gagnez combien parce que maman et moi, nous avons de très gros besoins.» Je me rappelle d’un type que je raccompagnais en voiture après un mariage et qui me draguait un peu, mon fils était caché à l’arrière derrière des ballons à hydrogène quand soudain il a écarté les ballons et lui a dit ça. Le gars a voulu que je le dépose tout de suite sur le trottoir! (Rires.)

- Il vous fait peur, ce virus?
- Le virus non, mais l’étouffement oui. Ce moment où on ne pourrait plus respirer me panique. Par contre, je n’ai peur ni de la maladie ni de la mort, j’ai confiance dans les soins palliatifs et leurs traitements antidouleur. En plus j’adore la morphine, les rares fois où j’en ai pris, j’ai trouvé ça génial!

- Qu’est-ce qui a frappé l’observatrice du quotidien que vous êtes durant ce confinement?
- Les hommes sont plus inquiets, c’est ce que j’ai observé dans mon entourage. Est-ce dû au fait que cela touche au corps et qu’ils sont plus facilement hypocondriaques? Ou parce que le virus est invisible, on ne peut pas du tout le contrôler. L’animal humain masculin, qui est formidable, et nous sauve souvent la vie, semble atteint. Ce n’est pas une guerre où il peut partir au front. Les femmes sont plus dans le lâcher-prise.

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Charlotte recommence à embrasser sa comédienne de grand-mère. Qui lui fait un peu peur quand elle joue une femme de ménage espagnole. Julie de Tribolet

- Quoi d’autre?
- Vous connaissez la différence entre la peur et l’angoisse? La peur, c’est de marcher dans la jungle et avoir peur de croiser un lion. L’angoisse, c’est de marcher dans un centre commercial et avoir peur de croiser un lion. Il me semble qu’avec le coronavirus, c’est un doux mélange des deux. Le plus terrible à mes yeux avec cette peur de la pandémie, c’est qu’elle appelle à la délation qui est pour moi la pire chose de l’humanité. Vouloir appeler la gendarmerie pour dénoncer un groupe de 30 personnes parce qu’on se dit, les salauds, nous, on est confinés et eux, ils font ça… La peur fait surgir nos plus bas instincts.

- Manuela Rodriguez, la femme de ménage espagnole que vous incarnez dans une série web sur les sites de Tamedia, s’est aussi emparée du virus. Quand elle jette ses crucifix aux orties pour les remplacer par le dieu Pittet et saint Rochebin, on rigole franchement. Quel retour avez-vous du public?
- Je n’ai pas de retour sur les chiffres et c’est dommage. Mais je sais qu’un épisode posté sur YouTube, celui sur les profs, a atteint 3 millions de vues. Beaucoup de gens m’abordent dans la rue, notamment les personnes âgées qui ont aimé la vidéo avec Adrienne, cette vieille dame qui affirme à Manuela qu’on n’a pas confiné les vieux pour les protéger, mais pour ne pas engorger les services d’urgence des hôpitaux. C’est ce que je pense aussi. J’ai aussi été abordée par une dame qui nettoie depuis des années le parking près de chez moi. Elle m’a demandé si j’avais une sœur… Je me suis dit: «Là, Barbey, si tu arrives avec tes vidéos à toucher cette tranche de la population, c’est que ça marche vraiment!»

- Charlotte regarde vos vidéos?

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Avec Monk, son corgi. La reine de l’humour en Suisse romande a un chien de la même race que ceux de la reine d’Angleterre. Julie de Tribolet

- Elle regarde tous les épisodes, mais je ne la fais pas rigoler. Elle me trouve un peu effrayante, je lui fais peur. Pour l’anecdote, son autre grand-mère, c’est Doris Ittig, qui joue souvent avec moi, ma fille et le fils de Doris sont les parents de Charlotte. Nous avons joué un conte de Noël au théâtre où j’étais une vieille méchante qui tapait sa bonne, interprétée par Doris, avec un bâton. A la fin de la représentation, Charlotte m’a dit qu’elle me détestait, que je n’avais pas le droit de faire du mal à sa Mamido, comme elle appelle Doris. Il a fallu lui réexpliquer que c’était une fiction…

- Vous auriez pu jouer dans une salle vide, comme l’a fait l’humoriste français Christophe Alévêque avec retransmission sur les réseaux sociaux?
- Non, ce qui fait la force d’un spectacle, c’est le lien entre le spectateur et l’acteur. Mais de toute façon, je pense que le théâtre va disparaître, c’est un art qui va s’effacer et la crise du coronavirus n’a fait que précipiter encore plus cette disparition. C’est triste mais inévitable.

- Pourtant, si vous reveniez sur scène avec Patrick Lapp pour un «Bergamote» sur le thème du couple face au coronavirus, la salle serait pleine, non?
- Oui mais uniquement avec des quinquas et plus dans la salle! C’est le théâtre classique qui va mourir, il y aura d’autres formes de spectacles, ils existent déjà, plus participatifs, mélangeant les genres, la danse, la musique. Ce sera plus festif, la fête peut devenir un nouveau théâtre, mais ce ne sera plus celui que j’ai connu. Aujourd’hui, un jeune qui veut être acteur ne veut plus aller dans une école, se confronter aux grandes œuvres classiques. Il va sur internet regarder des tutos pour jouer comme DiCaprio.

- Pourtant, ça y est! Les théâtres vont rouvrir. On dit quoi, merci M. Berset?
- Non. On va rouvrir alors que c’est la fin de la saison. J’imagine qu’on le fait pour ne plus avoir à donner des indemnités chômage aux acteurs et aux techniciens. Ils ne se rendent même pas compte de notre réalité, on n’est pas rentables.

- Vous avez quand même des projets pour les semaines à venir?
- J’ai accepté une série théâtrale dont je dois écrire le premier épisode sur le thème de la collapsologie. J’écris aussi un stand-up, pour Manuela, qui portera son nom, à partir du 22 novembre au Théâtre de la Grenette à Vevey. Mais j’ai beaucoup de peine à écrire dans ces circonstances. Je me dis: à quoi ça sert avec tout ce qui se passe autour de soi.

- Qu’est-ce qui va changer de bien dans nos vies après ce virus?
- Nos rapports aux animaux. Je ne suis pas une mémère à chien-chien, je n’aime pas particulièrement plus les animaux que les humains, mais notre relation à l’animal va changer après cette pandémie et c’est très bien. S’il y a un endroit où l’humain se comporte mal, c’est avec les animaux, la façon dont on les traite, dont on les consomme. Du fait que la trouille de la maladie est désormais liée à eux, j’espère que cela nous fera réfléchir et changer nos rapports aux animaux. Ce serait la plus belle qui chose qui puisse arriver.


Par Baumann Patrick publié le 4 juin 2020 - 09:30, modifié 18 janvier 2021 - 21:11