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Santé

La thérapie assistée par psychédéliques du point de vue du corps médical

Le service d’addictologie des Hôpitaux universitaires de Genève propose une psychothérapie assistée par psychédéliques pour certains patients. Les accompagnants Sylvie Alaux et Daniel Pires Martins nous expliquent la mise en place et le déroulement d'une telle séance qui reste toujours ancrée dans le cadre d'une thérapie plus large. 

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thérapie LSD

Sylvie Alaux est infirmière spécialisée en addictologie et le docteur Daniel Pires Martins, psychiatre et psychothérapeute jungien: «L’expérience vécue doit rester celle de la personne elle-même.»

GABRIEL MONNET

Depuis deux ans, le service d’addictologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) propose aux patients qui répondent aux critères la possibilité d’une psychothérapie assistée par psychédéliques. Une équipe composée de deux psychiatres et de trois infirmiers encadre la démarche. Comment se passent ces séances? Deux thérapeutes, le docteur Daniel Pires Martins, psychiatre et psychothérapeute jungien, médecin chef de clinique aux HUG, et Sylvie Alaux, infirmière spécialisée en addictologie, détaillent le processus et parlent de leur rôle.

- Quel est le profil des patients que vous recevez?
- Daniel Pires Martins: Il s’agit de personnes suivies en psychothérapie et présentant une pathologie anxio-dépressive résistante, avec ou sans consommation d’alcool. Elles ont bien souvent essayé de nombreuses voies thérapeutiques, mais, même si elles arrivent à situer la problématique, voire à identifier un traumatisme, il y a quelque chose qui n’avance plus dans leur processus thérapeutique.

- Y a-t-il des démarches particulières à effectuer pour accéder au programme?
- D. P. M.: Après une ou plusieurs séances d’évaluation selon les situations, nous rédigeons un rapport qui est envoyé à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour obtenir une autorisation.

- Lorsqu’une autorisation est délivrée, comment se déroule une séance?
- Sylvie Alaux: Il y a d’abord une ou plusieurs séances de préparation lors desquelles la personne discute des problématiques qu’elle souhaite travailler, rencontre notre équipe et se familiarise avec le cadre de soins. Il y a ensuite la séance d’administration à proprement parler, qui est suivie le lendemain d’une autre séance dite d’intégration, où le thérapeute discute et revisite avec la personne l’expérience vécue sous psychédélique. Il peut y avoir aussi une séance d’amplification un mois après afin de consolider les acquis psychothérapeutiques. Cet ensemble forme un module qui peut être répété trois fois en une année lorsque l’OFSP a donné son autorisation.

- Comment se passe la séance d’administration elle-même?
. S. A.: Aux HUG, les dosages de LSD administrés sont importants, soit 100, soit 200 microgrammes. La séance débute à 9 heures du matin et finit vers 19 heures. Nous sommes toujours présents en salle d’administration. Nous effectuons le contrôle des constantes (la tension, notamment) et aidons si besoin la personne à vivre pleinement son expérience. Il y a un paravent entre nous, les soignants, et la personne, pour ne pas perturber le moment qu’elle vit. L’expérience vécue est extrêmement intense, avec des moments d’extase et de difficulté. L’expérience doit rester celle de la personne elle-même, le thérapeute n’intervient en principe que si la personne le demande ou si elle rencontre un «nœud» durant le moment qu’elle vit.

- A quoi ressemble le lieu où se déroule la séance?
- D. P. M.: Le «setting» est dans notre consultation neutre, une sorte de tableau blanc. Le but est de ne pas influencer le vécu de l’expérience. Nous essayons par le lien thérapeutique et le cadre humain authentiques de transmettre de la bienveillance et un sentiment de sécurité pour que la personne se sente bien. D’où l’importance du travail en amont, notamment lors des séances d’évaluation et de préparation. Mais après, l’idée lors de la séance d’administration est que les soignants disparaissent, tout comme l’environnement, afin que la personne puisse se centrer en elle.

- Les thérapeutes n’interviennent que très peu durant la séance  d’administration?
- D. P. M.: Le moins possible. Nous pouvons intervenir avec différentes techniques par exemple en cas d’angoisses intenses. Mais, dans l’idéal, nous souhaitons créer le moins d’interférences possible dans le vécu de la personne en état de conscience modifiée. Les personnes qui consultent sont fragiles. Il ne faut pas les influencer. Elles ont un matériel psychique à accueillir. L’immersion doit être le plus intense possible, mais elle est interne et propre à la personne. C’est son moment. Sur le plan psychothérapeutique, la substance psychédélique est une forme de clé qui permet d’accéder à des contenus inconscients pour les travailler par la suite. Lors de la séance d’administration du psychédélique, nous, les thérapeutes et les soignants, sommes une sorte de catalyseur rassurant, un arrière-plan qui doit faire en sorte que la séance se passe bien. Une relation asymétrique entre soignants et malades n’est pas souhaitable: il ne faudrait pas que les soignants influencent la personne qui suit la thérapie en projetant sur elle une philosophie de vie qui n’est pas la sienne.

- Ces modules font donc partie intégrante d’une thérapie plus large?
- D. P. M.: Oui. C’est un moment, presque chirurgical, au cours d’une psychothérapie plus globale. L’idée est de faire émerger dans ce court laps de temps du matériel psychique qui n’était pas accessible à la personne et de redonner vie au processus thérapeutique. C’est ce que nous appelons l’épiphanie thérapeutique. Il y avait quelque chose de sous-jacent que l’on permet de retravailler, et qui se révèle sous un jour nouveau à la personne. Il est important de ne pas idéaliser la psychothérapie assistée par psychédéliques comme une panacée. Mais la plupart du temps, les gens repartent avec le sentiment d’être transformés et de ne plus être déterminés par le quotidien qu’ils ont vécu jusqu’à ce moment extrêmement fort et intense.

 


 

«Dans un cadre médical bien défini, l’utilisation des psychédéliques devrait être légalisée»

 

Peter Gasser, pionnier des thérapies assistées par psychédéliques en Suisse.

thérapie LSD

«Les résultats étaient déjà bons dans les années 1960. On a repris là où on s’était arrêté.»

Daniel Auf der Mauer

Dans le milieu, c’est une icône. Initié à la psychothérapie assistée par psychédéliques entre 1988 et 1993 lors d’une courte période d’autorisation de la méthode, le psychiatre soleurois Peter Gasser est l’un des seuls médecins à pratiquer ce type de thérapie dans son cabinet, en médecine privée. En 2008, il a été l’un des premiers à reprendre des études cliniques sur le sujet. De quelle manière le président de la Société médicale suisse pour la thérapie psycholytique vit-il l’engouement retrouvé pour le LSD et la psilocybine? Et quels risques y voit-il? Ses réponses en trois points.

- Comment expliquer cette «renaissance» des psychédéliques en psychiatrie?
- Peter Gasser: Ces substances n’ont jamais été interdites pour des raisons scientifiques ou pour des questions de sécurité. C’est le politique, la guerre contre la drogue de Nixon, qui est à l’origine du ralentissement de la recherche. Les résultats étaient déjà bons dans les années 1960. On a repris là où on s’était arrêté. Il faut aussi dire que les entreprises pharmaceutiques actives dans le domaine psychiatrique n’ont plus rien dans le pipeline. Leur intérêt crée aussi l’engouement.

- Le fait que l’industrie s’intéresse à ces molécules est-il un problème?
- Les mécanismes d’action de ces substances doivent être testés sur un large éventail de population pour des questions de sécurité. Produire de la recherche sur le long terme qui pourra apporter la preuve de cette sécurité et amener sur le marché un produit légal va coûter entre 100 et 200 millions de dollars. De ce point de vue, l’industrie est nécessaire. Il faut toutefois faire attention au revers de la médaille. L’encadrement médical de la psychothérapie assistée par psychédéliques coûte cher, il ne faudrait pas négliger cet aspect humain de la prise en charge pour des questions économiques.

- Comment voyez-vous le futur de ces thérapies?
- L’engouement a un bon côté: il motive les jeunes médecins à se former à ces thérapies et ils pourront soigner légalement des patients dans une quinzaine d’années. Cela dit, le LSD ou la psilocybine ne sont pas des pilules miracles qui soigneront tous les troubles mentaux. C’est un peu le problème aujourd’hui. Il ne faudrait pas susciter des attentes trop grandes. Comme d’autres substances, les psychédéliques ont leur utilité dans des thérapies. Ils doivent être encadrés correctement. Mais il ne faudrait pas que l’intérêt scientifique actuel soit passager et qu’on retourne à une interdiction. Pour l’éviter, il me semble important que se mette en place une légalisation en milieu médical.

Par Michaël Balavoine publié le 29 novembre 2021 - 09:04