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Pierre Monnard: «Il faut encourager la production suisse avec la Lex Netflix!»

Le réalisateur fribourgeois Pierre Monnard a voulu revenir avec «L’illustré» en Valais, lieu du tournage de «Hors saison», pour soutenir le oui à la Lex Netflix le 15 mai prochain. Plaidoyer et explications passionnées.

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Pierre Monnard

Le 23 mars, sur la terrasse de leur hôtel à Champéry, au pied des Dents-du-Midi, Lara (g.) et Camillia Berra retrouvent le réalisateur de «Platzspitzbaby» et de «Hors saison», Pierre Monnard.

Sedrik Nemeth

Ces temps-ci, Pierre Monnard est partout. La veille de notre rencontre, le réalisateur revenait du prestigieux festival Séries Mania, à Lille, où il avait présenté avec son équipe, en première mondiale, son dernier bébé, «Hors saison». Le lendemain, il filait au Festival international de films de Fribourg pour l’avant-première helvétique de la série policière. Entre deux, le Fribourgeois n’a pas hésité à faire l’aller-retour entre Zurich, où il vit, et le val d’Illiez pour plaider la cause de la Lex Netflix, qu’un référendum appelle à rejeter le 15 mai prochain.

Car c’est autour de Champéry que s’est tenu, l’année dernière, le tournage de la série, coproduite par la RTS à 55% et France Télévisions à 45%, pour un budget global qui avoisine les 8 millions de francs. Le coquet Hôtel Suisse, tenu par Lara et Camillia Berra, a servi de camp de base à l’équipe. L’aventure a laissé des étoiles dans les yeux des deux sœurs, très vite enchantées par le chaos organisé de la «grande famille» de dizaines de personnes, comédiens, techniciens et autres, arrivées d’ailleurs en Suisse, de France ou de Belgique et travaillant nuit et jour. «On ne savait pas trop à quoi s’attendre, puisque nous n’avions jamais accueilli d’équipe de tournage. On avait cette image un peu hollywoodienne, on se demandait si les gens allaient respecter l’endroit. Et, au final, ça a été fantastique, vraiment super!» salue Lara Berra. Le coup de foudre a été réciproque. Des membres de l’équipe sont depuis revenus profiter, de manière plus détendue, de l’ambiance chaleureuse de l’établissement et de la région, comme Pierre Monnard avec sa famille.

Au-delà des liens noués, l’aventure a constitué une aubaine pour l’hôtel, qui a vu débouler de 40 à 60 personnes deux mois durant, en basse saison et en plein covid. Une aubaine également pour les restaurateurs du village et les gens du coin, appelés à collaborer sur le tournage. «Des professeurs de ski ont travaillé pour la régie, certains ont rejoint l’équipe de «catering», d’autres ont servi de chauffeurs, sont venus prêter main-forte sur la mise en place de décors…

Un tournage, ce ne sont pas seulement des acteurs, mais aussi des techniciens, les décors, les installations, égrène le réalisateur. Nous avons travaillé avec les remontées mécaniques ou une société d’hélicoptères sur Monthey. Bref, nous avons été beaucoup aidés par les différents acteurs de la région. Un exemple? On leur a demandé de nous créer une avalanche, et ils l’ont fait!» Enfin, avec le covid, la majorité de l’équipe restait sur place lors des jours de congé. «Les gens qui viennent à Champéry, ils se rendent aussi aux salines de Bex, partent découvrir la région, se baignent dans tous les bains du coin…» embraie de nouveau le réalisateur.

Pierre Monnard

De jolis liens se sont noués entre Pierre Monnard et Lara et Camillia Berra (à dr.), ex-championne de ski acrobatique.

Sedrik Nemeth

«Si je raconte tout ça, c’est pour montrer qu’investir dans des productions helvétiques, c’est avant tout une belle vitrine, mais cela rapporte, surtout.» Il cite cette étude de la Fondation romande pour le cinéma, Cinéforom, selon laquelle, pour chaque franc investi dans la culture, c’est 3 francs qui sortent du porte-monnaie pour aller à l’économie réelle. «D’ailleurs, la Région Dents du Midi a décidé de se doter d’une structure visant à promouvoir ses atouts pour attirer d’autres tournages.» En effet, «suite aux retombées économiques et médiatiques» engendrées par le tournage de la série policière, l’organe de promotion touristique annonçait début avril la création d’un bureau d’accueil de tournages.

Aux manettes, le Valaisan Yannick Ducrot, actif dans l’organisation d’événements, qui a aidé aux repérages des lieux de tournage de la série policière avant de travailler comme régisseur pour «Hors saison». «Un autre déclencheur a été la mise en place de la Valais/Wallis Film Commission il y a un an», indique ce dernier. L’objectif de ce projet pilote, lancé sur quatre ans: attirer des tournages de films en Valais. A Yannick Ducrot désormais de faire la prospection, en approchant les chaînes de télévision et autres agences de communication. «On se donne le temps. Une série, un long métrage, cela n’arrive évidemment pas si souvent. Mais nous pouvons attirer des équipes de pub, de documentaires, de clips sportifs… Les possibilités sont grandes.»

Pierre Monnard

Le tournage de «Hors saison» s’est tenu au printemps 2021, pendant deux mois, autour de Champéry. De nombreux habitants du coin ont rejoint l’équipe de production.

DR

Et la Lex Netflix, alors? Pour rappel, l’appellation fait référence à une modification de la loi sur le cinéma, validée par le parlement fédéral l’année dernière, selon laquelle les plateformes de streaming devraient réinvestir 4% de leurs recettes réalisées en Suisse dans la production nationale et proposer 30% de films et séries d’Europe. Une modification combattue par un référendum lancé par les Jeunes UDC, PLR et Vert’libéraux, qui agitent le spectre d’une augmentation des tarifs des plateformes et voient dans la modification de la loi une volonté de l’Etat «de nous dicter ce que nous devons regarder». C’est donc désormais à la population de trancher.

Pierre Monnard

Pierre Monnard (au centre) sur le tournage. Une deuxième saison est actuellement à l’étude, indique la RTS. Décision sera prise lorsque la première aura été diffusée en France, en automne prochain.

Laurent BLEUZE/RTS

«Les plateformes n’ont pas augmenté leur abonnement à l’étranger dans des pays où elles sont tenues de réinvestir jusqu’à plus de 20% de leur chiffre d’affaires», rétorque Pierre Monnard. Ajoutons ici que Netflix, qui compte quelque 2,8 millions d’abonnés en Suisse, n’a pas attendu une loi pour faire gonfler ses tarifs: selon la «SonntagsZeitung», l’abonnement au service de streaming coûte 40% plus cher pour les abonnés en Suisse que dans d’autres pays européens.

Au-delà, Pierre Monnard a du mal à comprendre les réticences des opposants. «Réinvestir un pourcentage extrêmement modeste, pour ne pas dire ridicule, dans des productions maison me paraît une évidence, et c’est tout bénéfice pour tout le monde: ceux qui créent, les diffuseurs, l’économie locale, et les spectateurs», plaide-t-il. Lui voit dans ce refus de soutenir la production helvétique «un complexe idiot, plus romand qu’alémanique d’ailleurs: outre-Sarine, la fierté envers les productions maison est plus grande. La Suisse est, c’est vrai, un pays de cinéma encore jeune, encore artisanal, mais pourquoi ne pas vouloir encourager une professionnalisation, une industrialisation? Regardez la cuvée 2022, «Olga», «Azor», «La Mif», autant de films extraordinaires: c’est le résultat d’un travail engagé il y a vingt ans! On assiste aujourd’hui à l’arrivée massive de nouveaux talents et il faut les encourager. Toutes ces graines commencent à éclore, on peut se réjouir d’un supplément d’investissement au lieu d’essayer de nous priver de cette petite manne!»

De quoi donner de l’eau à son moulin: la série «Neumatt», qui a fait un carton en Suisse alémanique, vient d’être achetée par… Netflix pour être diffusée dans 190 pays et doublée en 30 langues. Parmi ses réalisateurs, eh oui, Pierre Monnard. «Un tel rayonnement, c’est génial. C’est la preuve que les productions suisses peuvent rivaliser avec les productions des plateformes, et qu’investir dans nos productions locales est aussi payant à l’international.»

Par Albertine Bourget publié le 20 avril 2022 - 09:02