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Pénurie: «Un bon black-out ferait du bien»

Docteur en management de l’énergie, Stéphane Genoud se désole d’en arriver à souhaiter le pire pour faire prendre conscience de l’urgence de la situation énergétique de la Suisse. Le professeur de la HES-SO Valais en appelle à la solidarité pour éviter de nous retrouver dans le noir. Coup de gueule.

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Pénurie

«Cela fait bientôt un siècle que nous vivons sur les réalisations de nos aïeux et que nous nous reposons sur les énergies fossiles», dénonce Stéphane Genoud.

Alessandro Della Bella/Keystone

C’est du Danemark, où il a emmené ses 40 étudiants en voyage d’études, qu’il nous répond au téléphone. Ironie de l’histoire, l’interview se déroulera pendant que Stéphane Genoud attend le dépanneur de son vélo électrique, tombé en rade. Un incident ennuyeux au moment où la pluie arrive mais qui n’altère en rien sa bonne humeur et sa détermination. «Je me passe le temps en regardant la ronde des éoliennes qui m’entourent. Ici, elles se construisent en une année alors que chez nous, il faut en moyenne vingt ans.» Le ton est donné. Quelques plaisanteries plus tard, on a compris que le professeur de la Haute Ecole d’ingénierie de Sierre n’était ni l’ami des lobbys nucléaires, ni celui des pétroliers. Pour lui, la Suisse ne peut plus attendre pour entamer sa reconversion vers les énergies renouvelables. La seule possible et raisonnable à ses yeux pour éviter la catastrophe annoncée. A condition de commencer tout de suite. «Si on s’y met toutes et tous, on peut encore y arriver.»


- Vous faites donc partie de ceux qui prennent l’avertissement de Guy Parmelin au sérieux?
- Stéphane Genoud: Clairement, oui. Le black-out n’arrivera peut-être pas cet hiver, mais si on ne réagit pas, il arrivera tôt ou tard, c’est certain.

- Comment pouvez-vous être si affirmatif?
- C’est simple. L’Allemagne, de qui nous dépendons depuis une vingtaine d’hivers, arrêtera ses centrales nucléaires en 2023 puis, petit à petit, ses 120 centrales à charbon d’ici à 2035. Quant à la France, une autre roue de secours, elle ne renouvellera pas ses contrats après 2025 et devra changer la moitié de ses 56 réacteurs nucléaires dans les décennies à venir. Comme nous produisons un peu plus de 30 000 gigawattheures en hiver et que nous en consommons plus de 34 000, la coupure est programmée. Au fond, c’est peut-être ce qui peut nous arriver de mieux.

- On a bien compris. Vous souhaitez un black-out?
- C’est triste d’en arriver là, mais si c’est la seule solution pour faire prendre conscience aux gens et à la classe politique de l’urgence de la situation, pourquoi pas. Un bon black-out, le jour de Noël ou de la finale de la Coupe du monde de football peut provoquer cet électrochoc qui nous fera enfin avancer.

- Comment en est-on arrivé à pareille situation?
- Cela fait bientôt un siècle que nous vivons sur les réalisations de nos aïeux et que nous nous reposons sur les énergies fossiles. Qu’a-t-on fait durant tout ce temps pour assurer notre autosuffisance énergétique? Rien. Ou pas grand-chose. On croit qu’avec notre argent on trouvera toujours des pigeons pour nous vendre de l’électricité. Aujourd’hui, on découvre que ce n’est plus le cas et, en plus, on a le culot de tomber de haut. Je dis souvent à mes étudiants: «On peut certes sortir un cœur de la poitrine et continuer à le faire battre, mais il ne fonctionnera jamais aussi bien que lorsqu’il est à sa place.»

- C’est quoi votre solution?
- Il faut changer les lois et contraindre le parlement et le Conseil fédéral à passer à l’action. On ne peut plus attendre. Il a suffi de quelques semaines, voire de quelques jours au gouvernement pour mettre en place les aides et les mesures anti-covid. Il n’y a aucune raison de ne pas faire la même chose pour l’urgence énergétique et climatique. On a assez perdu de temps. A cette heure, tous les toits du pays devraient être équipés de panneaux photovoltaïques et les cantons de parcs éoliens. Ce faisant, l’idée même d’un black-out n’existerait pas.

- Mais comment inciter les gens à installer des panneaux? J’ai moi-même fait ce pas, mon installation produit 2000 kW/h de plus que je ne consomme pas et le service public dont je suis captif me rachète le surplus pour des clopinettes…
- Il ne faut pas voir les choses ainsi. Je concède que les communes pourraient racheter le surplus de courant à un meilleur prix. Mais, grâce aux subsides, votre installation, opérationnelle durant une bonne trentaine d’années, vous permet de faire fondre votre facture d’électricité, d’abaisser votre facture fiscale et sera amortie en douze ans. J’ajoute, et c’est là le plus important, qu’elle apporte 2000 kW/h à la collectivité. Votre effort de solidarité est donc des plus louables. Le jour où tout le monde y adhérera, l’autosuffisance deviendra réalité. Idem pour l’éolien.

- C’est-à-dire?
- A ce jour, il n’y a par exemple qu’un parc éolien en construction dans le canton de Vaud, à Sainte-Croix, alors que le canton possède les conditions requises pour ce type d’installation. Par comparaison, la petite île où nous nous trouvons au Danemark vend sur le continent 70% de l’électricité qu’elle produit grâce à ses éoliennes et à ses installations photovoltaïques. Des coopératives citoyennes se sont créées, qui obtiennent des prêts bancaires pour financer ces opérations.

- Ce n’est pas possible en Suisse?
- Non. En Suisse, on peut faire des leasings pour à peu près tout mais pas pour des panneaux solaires ou des éoliennes, qui coûtent 2 millions de francs l’unité et rapportent 4 à 5% de rendement. La loi ne permet pas non plus de vendre à votre voisin vos 2000 kW/h de surplus. En même temps que les mentalités, c’est toute cette législation qu’il faut changer le plus vite possible. Comment voulez-vous gagner la confiance des gens et éviter des oppositions quand, par exemple, des Genevois veulent installer une éolienne sur territoire vaudois avec des fonds allemands? Pas jouable.

- Le choc provoqué par l’éventualité d’un black-out a également permis aux partisans du nucléaire de se faire de nouveau entendre. Une bonne idée?
- Je donnerai à dessein une réponse de Normand: quand on veut un bébé, on sait qu’on devra forcément acheter des couches. S’agissant d’une centrale nucléaire, les couches sont de deux natures. D’une, avons-nous une solution pour régler le problème des déchets? La réponse est clairement non. On voit bien qu’aucune commune n’en veut sur son territoire. Et de deux, posons aux habitants résidant dans un périmètre de 50 km autour de la centrale la question suivante: êtes-vous prêts à quitter votre domicile d’une heure à l’autre et pendant mille ans si un accident du type Fukushima survient? Je pense que la réponse est contenue dans la question.

- On oublie le nucléaire du coup?
- Totalement. Il est vrai que le risque d’accident est faible. Mais pas nul. La catastrophe du Japon, un pays comparable au nôtre en termes d’innovation et de moyens, l’atteste. Qui aujourd’hui veut mettre sa vie et son patrimoine en danger pour un peu d’électricité? Pas moi qui, comme tout le monde, sais que le soleil produit mille fois l’énergie que nous consommons. Il suffit de la convertir en kilowattheures. Le pire, c’est qu’on sait comment faire mais qu’on ne le fait pas.

- Il faut juste décider de le faire?
- Exact. Pas demain ou après-demain, tout de suite. Car, au-delà de l’autosuffisance, il y a l’état de la planète. On dirait que la classe politique ne lit pas les rapports du GIEC, qu’elle n’a pas conscience que des milliards de personnes vont mourir ou être déplacées à cause du réchauffement. Voyez-vous, les jeunes militants qui manifestent ou font des actions coups-de-poing ne se mobilisent pas juste pour la galerie. Ils nourrissent de réelles inquiétudes et ressentent de vraies frustrations. L’heure est venue de les écouter.

- Vous êtes exagérément pessimiste, peut-être…
- Pas du tout. Réaliste. J’espère simplement qu’une prise de conscience intervienne et qu’un déclic se produise. Tous ensemble, on peut y arriver. C’est comme ça que j’interprète l’appel de Guy Parmelin. Décrypté, son message disait: «Chers concitoyennes et concitoyens de tout le pays, on a besoin de vous. L’heure est grave. Serrons-nous les coudes, soyons solidaires, retroussons-nous les manches pendant qu’il en est temps.» Je regrette juste que le président ne l’ait pas exprimé clairement.

Par Christian Rappaz publié le 27 octobre 2021 - 07:45