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FIFA, les combinazioni de Gianni Infantino

A peine élu en 2016, il avait promis: «Le monde entier nous applaudira pour ce que nous ferons de la FIFA.» Mais aujourd’hui le navire prend l’eau de toutes parts: le tout-puissant patron du football mondial, Gianni Infantino, désormais au cœur d’une enquête pénale, se retrouve dans une position critique. C’est le polar de l’été: tiendra, tiendra pas?

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Gianni Infantino, grand patron du foot mondial, dans le viseur de la justice. @Andreas Gefe


L’ARTICLE QUI A FAIT PEUR à LA FIFA

Voici ci-dessous l’article paru dans L'illustré, en vente dans les kiosques depuis très tôt ce 19 août.

Peu après, ce même matin, à 9h36, l’Agence France Presse (AFP) a diffusé une dépêche relayant les propos de Me Jean-Pierre Méan, un des avocats de la FIFA, annonçant de manière péremptoire que la procédure pénale ouverte par le procureur fédéral extraordinaire Stefan Keller contre Gianni Infantino serait classée sans suite.

Ensuite, dans l'après-midi, la FIFA a communiqué que la Colombienne Maria Claudia Rojas, présidente de la commission d’éthique, blanchissait le président Infantino de «toute violation présumée du code d’éthique de la FIFA».

En communiquant coup sur coup le 19 août que la procédure pénale le visant serait classée et ensuite en indiquant que la commission d'éthique l'avait blanchi et donc ne prononcerait pas une suspension, Gianni Infantino a gagné ces dernières heures la bataille de la communication. Reste à savoir si de telles manoeuvres seront de nature à influencer le procureur extraordinaire dans sa recherche de la vérité.

Au lecteur maintenant de se forger sa propre conviction en lisant cet article qui a suscité ces deux répliques foudroyantes d'Infantino et de la FIFA dans la même journée.



C'est le nouveau chapitre d’un polar sans fin venu déchirer le calme du creux de l’été. Une bombe, dont le souffle a fait le tour de la planète le 30 juillet dernier: le patron de la Fédération internationale de football (FIFA), Giovanni Vincenzo Infantino, surnommé Gianni, 50 ans, est visé par une procédure pénale, soupçonné d’instigation à abus d’autorité et à violation du secret de fonction, ainsi que d’entrave à l’action pénale.

Dans le viseur de la justice, les fameuses réunions du Schweizerhof à Berne, en 2016 et 2017, entre Infantino et le désormais ex-procureur général de la Confédération Michael Lauber, organisées par le premier procureur du Haut-Valais, Rinaldo Arnold, un ami d’enfance du numéro un de la FIFA.

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Que se sont donc dit le patron du football, le procureur de la Confédération Michael Lauber, André Marty son porte-parole, et le procureur Rinaldo Arnold, l'ami d’enfance d'Infantino?

Andreas Gefe

Rencontres auxquelles ont également participé André Marty, le très proche porte-parole de Lauber, et un mystérieux cinquième homme non identifié à ce jour. Deux noms circulent avec insistance, celui du procureur Joël Pahud, mais surtout celui de Cédric Remund, chargé de l’enquête sur l’UEFA (la fédération européenne de football) et les fameux droits TV – affaire qu’il va classer sans suite. En juillet 2016, procureurs et avocats de la FIFA se téléphonèrent plus de 20 fois! Sans qu’aucun résumé de ces conversations ne soient versé au dossier. En lieu et place, quelques synthèses anodines de discussions avec… la Commission d’éthique de la FIFA!

Théoriquement, si les faits sont avérés, Infantino risque jusqu’à 7 ans et demi de prison. Désormais dans l’œil du cyclone, il tente d’allumer d’inlassables contre-feux, qualifiant de «farce» l’enquête ouverte par le procureur extraordinaire Stefan Keller, 44 ans. Il fait ensuite intervenir la FIFA, pour qu’elle vole à son secours, qui attaquera de manière frontale le magistrat obwaldien. Pour elle, «il n’y a aucune raison d’ouvrir une enquête», «rien n’indique de près ou de loin qu’un délit ou un acte répréhensible ait été commis. Il n’y a absolument rien d’illégal dans le fait de rencontrer un procureur.» Tout en avouant n’avoir pas accès au dossier, la FIFA claironne que le procureur n’a présenté «ni une preuve irréfutable ni une base légale justifiant sa décision de l’ouverture d’une enquête», soutenant avec aplomb que «l’enquête a été ouverte sans même consulter le président de la FIFA au préalable», comme s’il s’agissait là d’un crime de lèse-majesté.

Pas besoin d’être l’inspecteur Columbo pour flairer qu’Infantino et Lauber ont pris quelques libertés avec la vérité, qu’ils entendaient dissimuler, avant de contraindre les autres participants à ces réunions à une règle stricte: l’omerta. «De manière invraisemblable», insiste le Tribunal administratif fédéral dans un jugement confirmant des sanctions contre Michael Lauber. «Selon l’expérience générale de la vie, un tel cas d’amnésie collective relève de l’aberration», affirme-t-il encore.

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Le procureur Stefan Keller en charge de l’enquête.

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Personne donc ne doit se souvenir de rien, personne ne doit parler, encore moins devant un procureur… Avant l’une de ces rencontres, Infantino écrivait cet e-mail révélateur à Rinaldo Arnold: «Je vais essayer de l’expliquer au procureur fédéral, car il est également dans mon intérêt que tout soit clarifié au plus vite et qu’il soit clairement indiqué que je n’ai rien à voir avec cela.» La collusion saute aux yeux de n’importe quel profane. Infantino réussira-t-il à convaincre le procureur Keller que ses interventions étaient désintéressées et ne s’apparentaient pas à la demande d’une faveur? Cherchait-il à se mettre définitivement à l’abri d’une enquête gênante pouvant le contraindre à la démission, celle d’une sombre histoire de droits TV et de comptes offshore lorsqu’il était secrétaire général de l’UEFA? Resterait à connaître la contrepartie proposée par Infantino à Lauber en échange de tel ou tel avantage.

Il apparaît en effet dans différents documents judiciaires auxquels nous avons pu avoir accès que Lauber s’est imaginé entrer dans le monde du football mondial par la grande porte, un poste honorifique hautement rémunéré à la tête de la fondation de la FIFA. La boucle est-elle bouclée? C’est tout l’objet de l’enquête en cours, mais on semble mieux comprendre pourquoi plus personne ne se souvient de rien…

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«C’est encore plus grave, parce que ça veut dire qu’ils se sont mis d’accord pour un faux témoignage.» (Carla Del Ponte, ancienne procureure de la Confédération).

Eddy Mottaz

Face à cette histoire cousue de fil blanc, l’ex-procureure de la Confédération Carla Del Ponte, une experte rompue aux affaires criminelles de haut vol, n’est pas tombée dans le panneau. Invitée de la RTS le 31 juillet dernier, elle posait ce diagnostic brutal et sans équivoque: «C’est incroyable. Ce n’est pas crédible. Il y avait, je crois, trois autres personnes qui étaient là à cette réunion. Ce n’est pas acceptable. C’est encore plus grave, parce que ça veut dire qu’ils se sont mis d’accord pour un faux témoignage.»

«Le président de la FIFA se bat pour son poste. Jour après jour», observe la NZZ, le célèbre quotidien de Zurich, aux premières loges pour témoigner du climat de plus en plus irrespirable qui semble régner sur les hauteurs de la ville. Retranché dans l’immeuble d’acier et de verre de la FIFA, Infantino est désormais un homme traqué. Mais qui peut compter sur une garde rapprochée fidèle et soumise qu’il a mise en place dès son arrivée au sommet de l’Olympe du ballon rond, faisant le ménage sans états d’âme, licenciant par dizaines les personnes qui ne lui paraissaient pas totalement dévouées ou qui ne correspondaient pas à son mode de fonctionnement autocratique.

Malgré ces garde-fous déployés autour de lui, Infantino a aujourd’hui toutes les raisons de craindre pour son poste. Sentant le vent tourner, la FIFA a nommé une armada d’avocats renommés qui mettront tout en œuvre pour faire traîner l’affaire le plus longtemps possible. Parmi eux, le Lausannois Jean-Pierre Méan, hier avocat anti-corruption – ou qui aimait en tout cas se présenter ainsi dans les médias – mais qui n’aura visiblement pas su résister aux sirènes d’une nouvelle renommée.

En parallèle, la FIFA n’hésite pas non plus à se constituer partie civile pour protéger Infantino contre ses concurrents d’hier; ainsi dans cette procédure bizarrement réactivée il y a quelques mois contre Michel Platini et Sepp Blatter, où la FIFA tente de dicter le tempo à la justice. Et où son interventionnisme laisse pantois. Ainsi, dans un document daté du 30 juillet 2020 que s’est procuré L’illustré, une des avocates de la FIFA, Me Catherine Chirazi, écrit à un autre procureur de l’équipe Lauber, un certain Hildebrand (que la FIFA traite avec condescendance), en lui indiquant avec aplomb les documents à transmettre à la défense: «Au vu de ce qui précède, la FIFA n’est pas en mesure de vous donner aujourd’hui l’autorisation générale d’exploiter les pièces de la section V que vous souhaitez.» Surréaliste. Un peu comme si un criminel expliquait à un juge les dossiers qu’il souhaite ou ne souhaite pas transmettre à l’avocat de sa victime…

Ne relâchant jamais la garde, en permanence à l’affût de tout ce qui se rapporte à lui, Infantino plonge aussi quotidiennement dans les articles de presse le concernant. Et il n’hésite pas, là aussi, si les vents lui sont contraires, à attaquer, exerçant s’il le peut pressions et intimidations contre certains médias un peu trop pugnaces – les journalistes travaillant sur ce dossier l’avouent d’ailleurs pour certains d’entre eux à demi-mot. Il téléphone, ou charge sa garde prétorienne de le faire, aux éditeurs et directeurs des publications. Ou alors, quand il ne parvient pas à ses fins, il mandate un avocat pour envoyer des courriers comminatoires aux rédactions.

Ainsi, par exemple, après notre article «FIFA: l’affaire de trop» paru dans L'illustré du 6 mai dernier, la FIFA et Gianni Infantino lui-même ont tenté, de manière conjointe, sans paraître craindre le conflit d’intérêts, d’exercer ensemble une forme de pression contre notre journal. Ils ont en effet essayé d’obtenir un droit de réponse dans nos colonnes, qui leur a bien entendu été refusé, les conditions légales n’étant pas remplies: les faits sont les faits.

Par cette démarche infondée, Infantino et la FIFA ont tenté de déformer à leur profit des passages entiers de notre enquête, «cherchant à travestir une réalité certes pour le moins embarrassante mais établie par des pièces émanant de la FIFA elle-même», comme l’observait alors avec verve Me Giorgio Campa, avocat de L’illustré.

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A Bogota, Claudia Maria Rojas, présidente de la Commission d’éthique de la FIFA, tient le destin de Gianni Infantino entre ses mains. Mais il peut compter sur son allégeance totale.

Andreas Gefe

Mais Infantino sait que son plus grand ennemi est d’abord à l’intérieur de sa propre maison. Son combat actuel se résume à un seul but: tout faire pour éviter d’être suspendu de sa présidence par la Commission d’éthique de son organisation, ce qui signifierait à coup sûr la fin de son règne. Mais le boss du foot, qui a plus d’un tour dans son sac, avait déjà anticipé le problème dès le début de sa présidence. Le premier à faire les frais de son courroux fut alors le président de la Commission d’éthique de l’époque, Cornel Borbély, limogé lors du congrès de Bahreïn de mai 2017. Sa remplaçante au même poste est une avocate colombienne dont le CV n’est pas particulièrement marquant, ne parlant ni anglais ni français, langues officielles de la FIFA: une certaine Claudia Maria Rojas, dont le salaire annuel mirobolant qu’elle perçoit chez elle à Bogota paraît être le gage de son allégeance totale à son chef (voir notre article du 6 mai dernier sur le dossier Pavelko). Mais les digues tiendront-elles? La dévouée Sud-Américaine osera-t-elle enfouir la tête dans le sable sans perdre sa crédibilité, au risque d’être la risée de toute la planète football?

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«Pour moi, la situation est claire: la Commission d’éthique de la FIFA doit ouvrir une procédure contre M. Infantino et doit donc le suspendre» (Sepp Blatter, ancien président de la FIFA).

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«Pour moi, la situation est claire: la Commission d’éthique de la FIFA doit ouvrir une procédure contre M. Infantino et doit donc le suspendre», a lâché l’ancien président de la FIFA Sepp Blatter. Avec un certain bon sens, il demande l’égalité de traitement: il y a cinq ans, après l’ouverture d’une enquête du Ministère public de la Confédération contre lui, il n’avait pas eu le choix et avait dû tourner les talons. Mais son successeur Gianni Infantino, qui exigeait de tous la «tolérance zéro» à son arrivée au pouvoir en février 2016, ne compte visiblement pas appliquer cette règle à lui-même et semble s’asseoir sur l’article 13 du code d’éthique de sa propre organisation, stipulant que les dirigeants de la FIFA «doivent se comporter de manière digne et éthique et faire preuve en tout temps d’une totale crédibilité et intégrité».

D’autres affaires lui collent encore à la peau et empoisonnent sa présidence, comme son goût immodéré pour les avions d’affaires. «D’ordinaire, je prends des vols réguliers», assurait-il. Mais ça, c’était avant. Dans certains mails issus des Football Leaks, l’agence de voyages de la FIFA se plaint même du fait qu’Infantino sollicite sans cesse des jets privés. Sa plus grosse épine dans le pied: un jet privé dans lequel il grimpe un soir au Surinam, ce qu’il justifiera ensuite par un rendez-vous urgent le lendemain avec le patron du football européen à Nyon. Hélas pour Infantino, le président de l’UEFA, Aleksander Ceferin, a démenti depuis: non, ce jour-là, il n’était pas dans le canton de Vaud, mais en voyage en… Arménie! L’enquête de la zélée Claudia Maria Rojas n’aboutira à rien, la Colombienne s’empressant de ne pas éclaircir les faits pour éviter de devoir sanctionner son patron.

Mises au parfum de ces méthodes peu banales, les relations d’Infantino avec les confédérations d’Europe et d’Amérique du Sud se sont tendues. Avec Aleksander Ceferin, les différends se multiplient. Mais aussi avec Alejandro Dominguez, l’homme fort du football sud-américain, qui l’avait accusé en février dernier de «discrimination» et d’«abus de pouvoir».

L’horizon s’est assombri pour Infantino, contraint de réagir encore. Depuis l’ouverture de l’enquête du Ministère public de la Confédération, il s’est dépêché d’écrire une lettre aux présidents de ses 211 fédérations membres à travers le monde pour solliciter leur appui inconditionnel. «Croyez-moi», supplie-t-il. Il se met désormais à les appeler, les uns après les autres, au téléphone. Après les avoir longtemps snobés, il a maintenant besoin d’eux. Infantino a compris que c’était sa seule planche de salut, que sans leur soutien il n’existerait plus. Sa suspension entraînerait sa mise à l’écart, le hors-jeu total, avant un intérim qui serait assuré par le vice-président de la FIFA, les démêlés judiciaires du président entraînant nécessairement des élections anticipées. Game over.

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La dernière apparition de Gianni Infantino, plutôt pensif dans la loge VIP, lors du match Young Boys-Saint-Gall disputé au Wankdorf à Berne le 3 août.

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Dos au mur, mû par un dernier instinct de survie, Gianni Infantino a d’ores et déjà préparé la parade pour renforcer son image et sa légitimité: tout indique qu’il pourrait organiser un vote de confiance lors du prochain congrès de la FIFA, le 18 septembre prochain, pour contrecarrer toute velléité éventuelle de sa Commission d’éthique de le suspendre – on ne sait jamais, si le vent tournait mal.

Covid-19 oblige, le congrès aura lieu cette année par téléconférence avec toutes les fédérations dans le monde. Un vote virtuel, tactique aussi, qui évitera d’éventuelles manœuvres en coulisses dans des couloirs d’hôtel, comme ce fut toujours le cas les veilles de scrutin dans l’histoire récente de la FIFA. La semaine dernière, l’Uncaf (Union centraméricaine de football) a déjà ouvert les hostilités et a diffusé un communiqué pour «exprimer son soutien» au président de la FIFA… Infantino entend rester le maître du football mondial. Mais s’en sortira-t-il une fois de plus?


Le journaliste Arnaud Bédat a été reçu par Paris Match suite à la publication de cet article.


Par Mdb et Arnaud Bédat publié le 19 août 2020 - 21:05