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Elue et future maman, Johanna Gapany «ne veut pas être une exception»

Johanna Gapany: «Je m’inquiète pour les jeunes générations»

A 32 ans, elle est la plus jeune sénatrice du pays et la première du canton de Fribourg. Et désormais la deuxième Romande à attendre un bébé pendant la législature: le sien doit naître en début d'année prochaine. L’élue PLR revient sur les mois écoulés, ses priorités, et explique pourquoi elle défend le congé paternité.

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Blaise Kormann

- Votre enfant va naître début 2021, un peu plus d’une année après votre arrivée au Conseil des Etats. Cela vous a-t-il fait hésiter, vous inspire-t-il des craintes quant au fait de concilier maternité et engagement politique?
- Johanna Gapany: Des craintes? Non, parce que j’aime ce que je fais et que je garde la même motivation et la même passion pour mon travail politique. Les questions que nous nous sommes posées avec mon mari sont les mêmes que celles que se posent la plupart des couples actifs professionnellement. Il faut trouver des solutions pour concilier la vie à la maison et la vie au travail. Aujourd’hui, elles existent, autant pour les hommes que pour les femmes. C’est dans l’intérêt de la société et de l’économie. Et j’espère que notre expérience permettra à chacune et à chacun d’imaginer que la conciliation est possible!

- Trouvez-vous problématique que je vous pose la question?
- Non, mais quand les deux parents travaillent, la réponse se trouve auprès des deux parents. Et s’il faut du temps, je crois que nous allons dans la bonne direction. Un enfant a autant besoin de son papa que de sa maman et donner aux papas la place qu’ils méritent ne fera qu’apporter un meilleur équilibre dans notre société.

- Votre collègue aux Etats Céline Vara (Verts/NE), qui doit donner naissance à la fin de l’année, a dit se sentir comme un «modèle». C’est votre cas?

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Elue et future maman, Johanna Gapany «ne veut pas être une exception». Blaise Kormann

- J’aimerais surtout ne pas être une exception (elle sourit). Mais ce ne sera pas le cas. De plus en plus de politiciennes et politiciens concilient travail et famille, et je suis reconnaissante envers celles et ceux qui l’ont fait avant moi et qui ont prouvé que c’était possible.

- Le 27 septembre, les Suisses se prononceront sur un congé paternité de deux semaines. Pensez-vous qu’il va être accepté?
- C’est une décision importante qui permettrait de faire un pas vers une politique familiale plus proche de la réalité. Aujourd’hui, les papas s’impliquent dès la naissance de l’enfant et ont toute leur place à ses côtés. Cette implication apporte davantage d’égalité au sein d’un couple et, au-delà, dans l’ensemble de la société.

J’ai l’impression que le monde politique est plus lisse qu’à une certaine époque

- Votre mari va-t-il prendre un congé paternité?
- Nous avons fait le choix d’avoir un enfant ensemble et nous allons l’assumer ensemble, en prenant le temps nécessaire pour accueillir ce nouveau membre de la famille et organiser notre vie future. Pour ce qui est de mon activité parlementaire, si tout se passe bien, je pourrai participer à la session de décembre et puis à celle de mars. Quant aux séances de commission, nous pouvons nous faire remplacer par des collègues de parti.

- Les grandes entreprises sont de plus en plus nombreuses à offrir un congé paternité à leurs employés. La politique suisse est-elle à la traîne?
- La politique suisse est à la traîne dans la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle de manière générale. Les chiffres le prouvent: 6 femmes sur 10 travaillent à temps partiel, pour une proportion de 1,8 sur 10 chez les hommes. Nous avons clairement, en tant que politiciens, notre responsabilité et devons adapter le cadre légal pour éviter les mauvaises incitations à l’avenir.

- Vous dites ne pas être féministe. Pourquoi?

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Portrait de Johanna Gapany dans les jardins du château de Bulle. Blaise Kormann

- Je reconnais des inégalités dans la société actuelle. Mais je ne comprends pas, par exemple, le rejet par certaines de la hausse de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Nous avons obtenu un âge de la retraite plus bas sous prétexte que nous étions le sexe faible. C’est une insulte envers les femmes de ce pays, qui sont tout aussi capables de travailler que les hommes.

- Ne pensez-vous pas qu’être jeune et femme vous a aidée à entrer au Conseil des Etats?
- Ma jeunesse m’a également été reprochée. Ce n’est ni un atout ni un inconvénient, c’est un fait. La personnalité joue sans doute un grand rôle dans une telle élection mais ce qui compte par la suite, c’est ce qu’on est capable de faire, qu’on soit homme, femme, jeune ou âgé.

- Depuis bientôt une année que vous siégez à la Chambre haute, quel est votre bilan?
- La culture du débat est très présente, mais cela se fait dans la nuance. Par exemple, dans le cadre des ordonnances liées au Covid-19, on ne parle pas de verser les demandes pour la réduction de l’horaire de travail (RHT) ou pas, mais de la durée des versements. Cela permet de sortir de l’idéologie partisane et rend les décisions plus acceptables. J’adore me plonger dans les dossiers, comprendre le processus des décisions, c’est génial! En ce qui concerne mon bilan personnel, en plus des interpellations déposées dans le cadre de la crise, notamment pour demander une meilleure égalité de traitement entre les différents secteurs, j’ai pu faire passer une motion, via la Commission de la santé, pour encourager la digitalisation des données médicales et une meilleure centralisation.

- Comment vous est venu le goût de la politique?
- J’ai toujours été curieuse du fonctionnement de la société. Et puis, mon père (il est décédé en 2018, ndlr) était membre (radical) de l’exécutif communal de La Tour-de-Trême. Pour lui, ce qui comptait, c’étaient les discussions avec les gens sur des réalités et les mesures locales, plus qu’un débat gauche-droite. A 17 ans, j’ai décidé de rejoindre un parti. Je suis allée assister à plusieurs assemblées générales, y compris de l’UDC et du PDC.

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«J’ai grandi en Gruyère dans une famille d’agriculteurs, entourée de champs et d’animaux. Une belle enfance», confie Johanna Gapany. DR

- Vous avez envisagé d’entrer à l’UDC?
- Oui, j’y ai suivi des débats très intéressants, tout comme au PDC. Et puis je suis arrivée chez les Jeunes PLR, où la culture du débat était très, très libérale. Cela m’a plu. Quand je suis entrée chez les Jeunes PLR, en 2007, le Conseil fédéral comptait des membres qui craignaient peu le débat, comme Pascal Couchepin ou Micheline Calmy-Rey. J’ai apprécié ces politiciens.

- Le monde politique est-il trop lisse aujourd’hui?
- J’ai l’impression qu’on est plus lisse qu’à une certaine époque, oui. Il y a de bons côtés, comme une certaine sérénité dans les débats. Mais c’est important de préserver une diversité des opinions et de l’exprimer pour que chacune et chacun se sente représenté.

J’ai dû apprendre à sauter dans l’arène pour parler aux gens. Aujourd’hui, j’aime ça!

- Votre père serait-il fier de vous?
- (Elle hésite.) Il ne me l’a pas dit directement, mais je sais qu’il était très fier de savoir que chacun de ses enfants suivait la voie qui lui plaisait. Nous avons tous choisi des voies différentes. Mon frère est mécanicien poids lourds, ma sœur assistante médicale. On s’entend très bien. Ma famille et mon mari m’ont toujours soutenue. Ils acceptent que je n’aie pas des horaires de travail standard et que je sois parfois sur le devant de la scène. Je suis de nature plutôt réservée et j’ai dû apprendre à sauter dans l’arène pour parler aux gens. Aujourd’hui, j’aime ça!

- Quand vous repensez aux mois écoulés, quel sentiment domine?

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«Je suis de nature plutôt réservée et j’ai dû apprendre à sauter dans l’arène pour parler aux gens. Aujourd’hui, j’aime ça!» Blaise Kormann

- C’était particulier! En Suisse, on a toujours l’impression d’être préparés, mais le virus est arrivé très vite, la session de printemps a été annulée… J’ai été de ceux qui ont demandé la tenue d’une session (extraordinaire, en mai, ndlr) pour en débattre. C’était important de reprendre rapidement notre activité parlementaire.

- Quel regard portez-vous sur l’état de situation extraordinaire qui a permis au Conseil fédéral de prendre la main?
- J’ai été confrontée, comme mes collègues, à de nombreuses questions de la population sur notre responsabilité et notre marge d’action. Je crois que les cantons attendaient des prises de position claires de la Confédération et qu’ils en ont été soulagés, en tout cas dans un premier temps. Comme je suis membre de commissions liées de près à cette crise (finances, santé publique, éducation et culture), cela a été intense.

>> Lire aussil'entretien avec Rebecca Ruiz, ministre vaudoise de la Santé

- Et sur le plan personnel?
- A part le fait de participer à de nombreuses séances depuis chez moi où il fallait sagement attendre son tour pour prendre la parole, cela n’a pas changé grand-chose. Si, quand même, je me suis mise à cuisiner!

- C’était étrange de se marier en mai?
- Nous avons annulé la fête et le voyage, mais au final, je crois que mon mari (Olivier Fantino, directeur de Routesuisse – Fédération routière suisse, ndlr) et moi, on ne se souviendra même pas du covid, mais bien de la cérémonie, du repas et de la sortie en montagne avec nos témoins.

- Quels sont pour vous les grands défis à venir de la législature?
- Je m’inquiète pour les jeunes générations, qui vont subir de plein fouet les répercussions économiques alors qu’elles ont été considérées comme les plus épargnées par le virus. Et puis, cette crise a rappelé à quel point la santé est une thématique majeure. Il est plus que jamais évident que la télémédecine et le dossier électronique du patient doivent être accélérés et que le système doit être mieux organisé pour réduire les coûts. Enfin, la prévoyance vieillesse est un énorme enjeu de cette législature. Si on arrive à se mettre d’accord sur la réforme AVS 21, ce sera un déblocage fort.

- Vous êtes membre du FC Helvetia, la première équipe de football féminine du parlement. Vous êtes à l’aise sur des crampons?
- Je pratique plutôt la course à pied, le ski et j’aime particulièrement les sports en montagne. Mais j’apprécie aussi un bon match de foot, et si je ne suis pas particulièrement à l’aise avec les crampons, ça s’apprend! Surtout, c’est l’occasion de renforcer les liens et de parler politique en dehors des débats.


L'éditorial: La Suisse d’hier en guise d’avenir

Par Michel Jeanneret

Sommes-nous tous prisonniers d’une bulle spatiotemporelle? A bien observer ce sur quoi les citoyens suisses sont appelés à se prononcer dimanche prochain, la question n’est malheureusement pas si loufoque que ça. Ce qui réunit tous les objets soumis à la votation du 27septembre, c’est qu’ils nous questionnent sur la Suisse dont nous aurions envie pour… hier. Comme si l’avenir de notre pays résidait dans des interrogations du passé, parachutées en 2020 par une ellipse énigmatique.

Par ici les vieilleries. L’«Initiative de limitation» de l’UDC nous demande pour la énième fois, contre tout bon sens économique, de mettre un frein à une migration dont nous avons pourtant besoin pour assurer notre prospérité, en agitant ce vieil épouvantail décati qu’est l’Union européenne. On se prononce sur l’achat d’avions de combat alors que c’est l’ensemble de notre armée qu’il faudrait réformer autour d’une menace contemporaine et d’une stratégie de défense réaliste. On votera une modification de la loi sur la chasse, alors que nous aurions besoin de toute urgence d’une loi sur la nature. Accrochons-nous pour ne pas choper le blues…

Malheureusement, le congé paternité est tout aussi dérisoire que ce qui précède. «Prends ton susucre, deux semaines pour soulager maman, créer un lien avec bébé, et retourne gagner l’argent du ménage»: voilà la vision d’un autre temps défendue mollement par un Etat qui s’immisce dans nos sphères individuelles pour nous prescrire ce qu’il croit être bon pour nous. Nos autorités seraient bien inspirées de réfléchir à un cadre suffisamment souple pour que les couples, qui n’ont pas tous la même histoire ni les mêmes attentes, puissent décider indépendamment de ce qui leur est profitable. Ça s’appelle le congé parental et ça aurait le mérite de mettre en valeur une vision moderne de la famille et de tordre le cou au frein à l’embauche dont sont victimes les femmes. Soutenir le congé paternité, c’est l’assurance d’attendre la saint-glinglin pour qu’une solution appropriée soit offerte aux familles.


 

Par Albertine Bourget publié le 24 septembre 2020 - 08:55, modifié 18 janvier 2021 - 21:14