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Dossier Covid-19

Covid-19: Rebecca Ruiz explique le tour de vis vaudois

Plutôt permissif, le canton de Vaud a pris des mesures plus restrictives ce mardi contre la propagation du coronavirus. La conseillère d’Etat chargée de la Santé, Rebecca Ruiz, explique les raisons de ce tour de vis.

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La conseillère d'Etat vaudoise en charge de la Santé, Rebecca Ruiz, explique les raisons du renforcement des mesures contre le coronavirus. Julie de Tribolet

- Port du masque obligatoire élargi à tous les lieux publics fermés et aux restaurants, fermeture des discothèques, rassemblements limités à 100 personnes au lieu de 300… Le Conseil d’Etat prend visiblement très au sérieux l’augmentation des cas d’infection.
- Rebecca Ruiz: Tout à fait. Nous observons cette augmentation et nous y répondons en appliquant des mesures d’ailleurs déjà en vigueur dans d’autres cantons. Tant que la situation épidémiologique le permettait, nous avons tenté de les limiter au maximum. Aujourd’hui, la situation nous oblige à prendre des mesures beaucoup plus strictes. Car, même si c’est essentiellement une population jeune et active qui est concernée, la courbe de contamination des personnes âgées augmente elle aussi, ainsi que celle des hospitalisations. Ce dernier signe me préoccupe beaucoup, car, contrairement au printemps, les hôpitaux fonctionnent aujourd’hui à plein régime et sont remplis. En mars, toutes les opérations non urgentes avaient été interdites par le Conseil fédéral. Ce que je veux éviter à tout prix, c’est que toute personne qui aurait besoin d’être soignée ne puisse pas être prise en charge comme elle le devrait en raison d’une saturation. Si les hospitalisations augmentent trop en raison du covid, cette surcharge pourrait se produire.

- Quel message voulez-vous transmettre dans ce contexte, hormis les nouvelles mesures que vous venez d’annoncer?
- Sans vouloir effrayer la population, parmi laquelle des voix s'élèvent pour dénoncer un climat anxiogène, il m’importe de rappeler que ce sont les efforts colossaux que nous avons toutes et tous faits pendant des mois qui ont permis de maîtriser l’épidémie. On voit aujourd'hui que la distance physique n’est plus appliquée et que la conséquence est immédiate: le virus circule de nouveau plus intensément. Alors je répète une fois de plus qu’il faut respecter à la lettre les gestes barrières, aussi fastidieux soient-ils.

- Vos espoirs par rapport à cette crise?
- Comme tout le monde, j'en ai marre de ce virus. Je suis lasse de ne pas pouvoir embrasser mes parents. Mon espoir d’en finir enfin avec ces limitations, je le place soit dans la découverte d’un vaccin, même s'il n'est pas question d'obliger les gens à se vacciner, soit dans le développement d’un traitement soignant les malades sans devoir recourir à une hospitalisation. Je suis confiante, vu le nombre de chercheurs dans le monde qui sont à l’œuvre.

- Que répondez-vous à ceux qui relativisent, voire qui contestent le regain de cette épidémie dans certaines régions du pays, comme la région lémanique?
- Le changement de situation est bien réel depuis trois semaines dans le canton de Vaud, dans certains autres cantons, comme en France voisine. Mais je comprends que les messages des autorités puissent paraître disparates vu que nous avons des situations et des règles différentes en fonction des cantons. Cette situation dictée par la loi sur les épidémies nous impose de donner des messages aussi clairs que possible à la population. Mais je suis catégorique, la situation actuelle doit être prise très au sérieux.

- Auriez-vous préféré que la Confédération garde la haute main sur la gestion de la crise, notamment pour éviter les différences de mesures entre cantons, qui brouillent le message?
- Non, parce que du point de vue épidémiologique, cela ne se justifierait pas. Dans certains cantons, il n’y a pas eu une seule contamination et il est juste que chaque canton puisse adapter ses mesures en fonction de sa courbe épidémique.

- Qui décide de quoi, au fond, aujourd’hui, entre les cantons, la Confédération, les scientifiques, les milieux économiques?
- Les gouvernements cantonaux décident des mesures à prendre sur leur territoire, de manière collégiale. Ce ne sont pas les ministres de la Santé qui décident seuls, ni les ministres de l’Economie, mais bien les collèges. Par ailleurs, nous nous coordonnons au maximum entre cantons voisins. Depuis des mois, chaque jeudi matin, nous avons une vidéoconférence entre ministres de la Santé romands. Tous les vendredis, j’ai une conférence téléphonique avec la Conférence des directeurs de la Santé (CDS) au niveau suisse, conférence dont je suis vice-présidente. Enfin, cette CDS se réunit fréquemment avec le Conseil fédéral et l’OFSP. Nous sommes étroitement interconnectés. A défaut d’homogénéité dans nos mesures, nous assurons ainsi un maximum de cohérence dans nos choix au niveau national.

Je crois que la crainte, et donc la prudence, vis-à-vis du covid demeure majoritaire

- Ce ne sont donc pas les médecins qui gouvernent?
- Les scientifiques donnent leur avis au sein de la task force fédérale et chaque canton a ses propres spécialistes. Nous les écoutons attentivement, mais ce ne sont pas eux qui prennent les décisions. Les autorités politiques n’ont pas forcément les mêmes priorités et ne font pas toujours les mêmes constats qu’eux. Je suis persuadée que les mesures doivent être décidées par des personnes élues, car nous sommes là pour faire les arbitrages permanents et délicats qu’une telle crise sanitaire nous impose, en particulier entre la santé publique et l’économie, deux domaines qui, à mon sens, ne s’opposent pas et qui sont même étroitement imbriqués. Comme ministre chargée des Affaires sociales également, je suis bien placée pour voir les conséquences sociales que certaines décisions peuvent avoir et l’imbrication de tous ces domaines.

- Reste que les mises en quarantaine par centaines actuellement ne font pas du bien aux entreprises.
- Absolument. C’est pour cela qu’avec les collègues romands nous essayons de trouver des solutions pragmatiques pour réduire leur durée. Ces quarantaines de dix jours sont souvent mal vécues, ce qui augmente le risque qu’elles ne soient pas respectées. Il me semble indispensable que nous obtenions des données plus précises sur le risque de contagiosité après cinq ou sept jours par exemple, pour savoir si nous pourrions les écourter.

- La tension entre les partisans de mesures sanitaires drastiques et ceux qui estiment qu’on en fait trop au détriment de la liberté et de l’économie, la ressentez-vous plus vivement que jamais?
- Oui, mais je crois que la crainte, et donc la prudence, vis-à-vis du covid demeure majoritaire, mais s’exprime moins que la posture inverse. On observe cette prudence par exemple au niveau de la fréquentation des consultations ambulatoires dans les cabinets médicaux ou à l’hôpital, où l’activité n’a pas encore repris partout au rythme habituel, car des patients craignent de s’exposer au virus.

- Selon certains, seulement 12% des décès attribués au coronavirus sont vraiment dus à celui-ci. Les 88% des cas restants seraient de toute façon morts.
- Qu'est-ce que signifie précisément ce type de théorie? Qu’un parent octogénaire décédé du covid qui aurait vécu une, deux ou trois années de plus sans ce virus n’avait déjà plus de valeur pour sa famille? Ce n’est pas ma conception de la vie.

Je rappelle que le virus tue les personnes vulnérables de manière très violente

- Et que répondez-vous à ceux qui estiment que ce virus n’a pas induit de surmortalité dans les statistiques?
- Il y a eu des pics de mortalité dans certains cantons. Et puis le semi-confinement a permis de réduire les cas d'autres maladies infectieuses potentiellement mortelles et les décès par accident. Il faut tenir compte de ces vases communicants. Et face à cette tendance actuelle qui consiste à minimiser la gravité du virus, je rappelle qu’il tue les personnes vulnérables de manière très violente et que, quand il ne tue pas, la personne qui sort de plusieurs semaines en soins intensifs est durablement marquée par cette expérience extrêmement pénible.

- Avec le traçage actuel, on peut considérer que l’Etat frôle les limites du respect de la sphère privée. Comment gérez-vous cet autre sujet de tension, de méfiance?
- Je ne ressens pas cette méfiance. Il y a certes des citoyens testés positifs qui n'ont pas envie de donner à nos équipes de traceurs l’identité des personnes qu’ils ont fréquentées, mais je précise que nos équipes ne posent pas de questions intimes. De plus, aujourd’hui, notre seule solution pour gérer cette épidémie, c’est de tester puis de tracer les contacts pour briser les chaînes de transmission.

- Encouragez-vous les gens à télécharger l’application SwissCovid?
- Oui, absolument. C’est un outil précieux, complémentaire au traçage et aux tests, qui respecte totalement l’anonymat.

- Avez-vous reçu des insultes de la part des anti-masques ou de complotistes?
- Je reçois parfois des e-mails désagréables. Sur les mises en quarantaine, le type de mesures prises. Mais c’est surtout en mars, avant que le Conseil fédéral ne décrète le semi-confinement, que j’ai reçu les messages les plus virulents. A l’époque, on nous reprochait de ne pas prendre des mesures drastiques, alors que seule la Confédération pouvait le faire. Et puis je reçois aussi des messages de personnes qui approuvent le travail que nous faisons.


L'éditorial: Un besoin de clarté

Par Michel Jeanneret

Un masque pour accompagner junior dans la cour de l’école, en plein air; un masque encore pour circuler brièvement dans les restaurants; des statistiques de décès dont personne ne semble vraiment savoir ce qu’elles reflètent exactement; des quarantaines ingérables; des autorités qui ne placent pas les zones frontalières comme «à risque» alors qu’on y trouve des clusters… On pourrait poursuivre longtemps la liste de ce qui crée cet étonnant paradoxe: alors que la situation sanitaire semble plutôt bien maîtrisée, les décisions de nos autorités et leur communication semblent l’être moins que jamais. Si vous ajoutez à cela des experts qui ne sont d’accord sur rien et s’écharpent en public, vous obtenez la grande confusion qui règne à l’heure actuelle. Une confusion qui fait place au doute. Un doute qui fait planer la plus grande menace en termes de santé publique: le relâchement, puis finalement l’opposition.

Extrêmement dommageable, cette cacophonie est étroitement liée au fait que les cantons ont repris la main dans le dossier sanitaire. La décision était juste, car censée permettre des mesures plus fines, reflétant avec cohérence la situation qui prévaut dans chaque région. Mais la population manque désormais de repères, une personne qui incarne le Covid-19 et ses effets à l’échelle locale, comme le faisait Daniel Koch pour la Confédération. Problème: face à des autorités cantonales qui semblent incapables de mettre sur pied une communication de crise performante, la population perd peu à peu confiance.

La confiance sera toutefois centrale pour espérer vaincre ce virus. Dans les mesures qui seront prises et dans un éventuel vaccin. A l’heure actuelle, compte tenu de tout ce qui précède et des enjeux politiques et économiques au cœur de la course au vaccin, un rejet massif de ce dernier semble d’ores et déjà programmé. C’est pourtant probablement par ce biais que l’humanité pourra tourner la page du Covid-19.


Par Clot Philippe publié le 15 septembre 2020 - 13:04, modifié 18 janvier 2021 - 21:14