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La rencontre

Katia Pastori: «J’aimerais qu’on ne me juge plus»

Membre du trio infernal qui avait participé il y a plus de vingt ans au kidnapping d’un jeune avocat lausannois, Katia Pastori avait reçu L'illustré en août 2019 et raconté ce qu'elle était devenue. Nous republions cet article alors que l'un des deux autres membres du trio est à nouveau devant la justice, pour d'autres faits.

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Après un divorce douloureux, Katia Pastori vit aujourd’hui dans la campagne vaudoise, en compagnie de ses enfants et entourée d’animaux, «nécessaires à [son] équilibre». Sa maman (en arrière-plan derrière la barrière) la soutient au quotidien. Mais, depuis vingt ans, «rien n’a jamais été facile pour moi», dit-elle. Blaise Kormann

On s’est fixé rendez-vous sur la terrasse de l’Hôtel du Chemin de fer de Moudon, non loin de la gare. Quand elle arrive, peu avant midi, en robe jaune et pull rose clair, on la reconnaît aisément. Ce qui frappe d’abord, c’est qu’elle n’a guère changé, Katia Pastori, qui fêtera ses 47 ans le 28 août prochain. La voici donc, celle dont naguère la simple évocation du patronyme échauffait les esprits, fascinait, alimentait les conversations.

Folle cavale

Son nom, impliqué dans un fait divers retentissant, a marqué la mémoire collective en Suisse romande. Souvenez-vous, c’était il y a tout juste vingt ans, à Lausanne, l’enlèvement d'un jeune avocat stagiaire, libéré après une séquestration de plus de quarante heures d’angoisse et de souffrance.

Associée à jamais à l’affaire, Katia Pastori faisait partie du trio infernal s’évaporant avec les 300'000 francs de la rançon sur les plages du Brésil dans une folle cavale vers l’impossible. «J’ai mis des années à me pardonner à moi-même le mal que j’ai fait aux autres, mais aussi à ma famille et à mon entourage», glisse-t-elle d’entrée. Par deux fois, elle écrira à la famille de l’otage pour s’excuser, missives restées sans réponse.

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On la dépeignait volontiers naguère comme un personnage de roman. Aujourd’hui, Katia Pastori n’a qu’un seul souhait: être une femme comme les autres.

Blaise Kormann

C’était un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, comme le chantait Aznavour. La presse, les commentateurs d’alors, autant que son avocat genevois, Jacques Barillon, parlaient sans ménager les effets de style de cette pasionaria malgré elle. Chacun avait son intime conviction sur cette jeune délinquante de 26 ans. Katia Pastori envoûtait, tantôt dépeinte comme une Mata Hari inspiratrice du rapt, tantôt comme une sorte de nunuche influençable, fascinée par les concours de beauté, entraînée malgré elle dans une sordide histoire par un jeune prince des nuits lausannois, Christian Pidoux, fils de l’ancien conseiller d’Etat vaudois Philippe Pidoux.

Condamnée à 3 ans

Le procès, en mars 2001, avait relancé les spéculations. Apparaissant fragile et menue, Katia Pastori avait fait acte de contrition, demandé pardon, beaucoup pleuré aussi devant ses juges. Simple calcul ou repentance sincère laissant apparaître failles et immaturité? Condamnée à 3 ans de prison, elle finit de purger sa peine et disparut dans la nature, sans jamais plus faire parler d’elle. On l’imaginait ayant refait sa vie quelque part où elle se serait fait définitivement oublier. Mais le tableau était en partie inexact, car le rappel permanent du passé, ces vingt années, lui a collé à la peau, presque au quotidien, sans aucune chance de résilience possible.

Si elle accepte aujourd’hui d’apparaître au grand jour et de se raconter pour la toute première fois, c’est pour dire d’abord à quel point, à ses yeux, elle a payé peut-être un peu plus cher que les autres. Condamnée à vie par l’opinion, sans droit à l’oubli, sans pardon de la société qui l’entoure. Peut-être en partie pour ne s’être jamais exprimée dans les médias.

Silence coupable

Le silence rend souvent coupable dans l’opinion. «Je n’ai pas participé au kidnapping au pied de la tour Bel-Air, j’étais au CHUV à ce moment-là, et je n’étais pas au courant de l’enlèvement qui se préparait, même si je sentais que quelque chose de grave se passait autour de moi, détaille-t-elle. J’ai été ensuite retenue en otage par les Kosovars qui avaient kidnappé le jeune avocat, avant que Marc Pidoux, le frère de Christian, ne prenne ma place. J’ai vécu des heures infernales aussi. Ça n’enlève rien à ma faute, à mes erreurs, mais on ignore la plupart du temps le rôle exact que j’ai joué. Vous savez, j’étais jeune, influençable, j’ai été dépassée par tout ça», plaide-t-elle, passant sans cesse d’un regard embué à des yeux plissés d’amusement en se remémorant les moments insolites ou cocasses de son odyssée.

«Mais j’aimerais tellement qu’on me fiche la paix aujourd’hui, continue-t-elle. J’ai presque l’impression d’avoir plus d’emmerdements qu’avant, c’est un peu comme une bombe à retardement. Je ne suis pas une mauvaise personne, il me semble l’avoir prouvé depuis vingt ans. J’ai fait une grosse bêtise, mais j’ai payé ma dette.» Elle n’en peut plus d’être marquée au fer rouge, traitée toujours comme la criminelle, la kidnappeuse, la sorcière, celle qu’on montre du doigt ou qu’on insulte parfois dans la rue. «J’ai essayé d’être heureuse, de construire une vie après la prison», dit-elle encore.

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Des traces de sa cavale et de ses trois années de prison à Lonay (VD), papiers, magazines, coupures de presse, dossiers judiciaires, petites babioles sans valeur, Katia a tout gardé dans une grosse caisse en plastique conservée dans une vieille…

Blaise Kormann

Dès son retour au grand air, elle retrouve grâce à un ami un emploi comme secrétaire dans une petite entreprise d’électricité et tombe amoureuse du patron. Avant de partir quelques mois aux Etats-Unis, et traverser le pays d’est en ouest. Puis elle se mariera, aura deux enfants, âgés aujourd’hui de 13 et 12 ans. «Je suis fière d’avoir pu construire quelque chose, confesse-t-elle, même si l’échec de mon mariage restera à jamais une grande blessure.» Comme la mort de son papa, il y a sept ans. Et le lien qui s’est longtemps brisé avec sa sœur cadette avant de renaître tant bien que mal. «Heureusement, ma maman est toujours là. Elle est formidable et est un véritable soutien pour moi», souffle-t-elle.

Mais depuis son divorce, tout la ramène sans cesse à son passé: «Depuis que j’ai récupéré mon nom de jeune fille, je traverse un enfer. J’ai été victime sur la route d’une collision frontale dont je ne suis nullement responsable, on a fait une pétition pour me chasser du village où j’habitais. Jusqu’à retrouver un matin ce message affiché sur ma porte: «On ne veut pas de vous ici.» Même mon ex-mari a joué sur mon passé dans la procédure de divorce. Puis on a empêché mon fils et ma fille de fréquenter d’autres gamins parce qu’ils étaient les «enfants de», on a mis le feu à la bergerie de ma ferme. Une femme du voisinage m’a même dit: «Mme Pastori, je ne m’abaisserai pas à vous parler.» Je traînerai toujours mon passé comme un boulet…» Elle continue par ailleurs concrètement de régler, chaque mois, par bulletins de versement, sa dette à la justice vaudoise. «Je paierai jusqu’à la fin de mes jours», dévoile-t-elle.

Plus aucun contact

Depuis deux ans, Katia Pastori habite en pleine campagne vaudoise, dans un lieu perdu et isolé, sous la forêt, au bord d’une rivière, entourée d’animaux: des chèvres, des chiens, des poules, des coqs, des chats, un dindon… «Quand je suis avec mes enfants, en compagnie de mes animaux, je suis heureuse», assure-t-elle. Elle ne roule pas sur l’or au quotidien, vivant d’une pension de son ex-mari et d’allocations familiales pour ses deux enfants. «C’est difficile de trouver du travail avec le nom que je porte, murmure-t-elle, on me rappelle sans cesse ce que j’ai été.»

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Identifié par la police, Christian Pidoux fuit avec Katia et un complice au Brésil. A bout de nerfs, Katia se rend à la police après 27 jours, passe une dernière nuit à l’hôtel.

Blaise Kormann

Et puis il y a aussi cet ancien conflit de voisinage qui s’enlise dans le village précédent, toujours pendant devant les tribunaux, et une menace d’expulsion en raison de la non-conformité d’une arrivée d’eau. Pour ne rien arranger, la localité lui a refusé durant des mois l’inscription au contrôle des habitants – sous le prétexte presque kafkaïen que la maison qu’elle loue ne serait pas conforme aux prescriptions légales, ce qui n’avait pas été opposé aux locataires précédents… Katia Pastori paraît fatiguée, lassée. Mais entend garder la tête haute.

Reddition

De sa fameuse cavale de 27 jours au Brésil, il y a vingt ans, qui avait tenu le public en haleine, elle en parle aujourd’hui comme d’une aventure «un peu particulière», mêlée de moments d’angoisse et d’instants furtifs d’euphorie. «Je n’en pouvais plus, j’ai annoncé à mes deux amis que mon chemin s’arrêtait là et je me suis rendue à la justice de mon pays, au consulat de Suisse.» Qu’a-t-elle conservé aujourd’hui de tout ce passé sulfureux? Elle n’a plus aucun contact avec les protagonistes.

Elle se dirige vers une vieille remise attenante, sort une grosse caisse en plastique où est inscrit grossièrement au feutre noir «Katia, Lonay». «Je ne l’ai plus rouverte depuis longtemps», murmure-t-elle. A l’intérieur, le rappel matériel de sa vie d’avant. «Il y a les souvenirs de prison, à Lonay, mais aussi du Brésil, des petits bijoux sans valeur, des photos, des journaux et des coupures de presse que gardaient mes parents…»

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Après sa reddition à la police, Katia est placée dans un vol vers la Suisse.

Blaise Kormann

«Une fuite qui ne pouvait 
pas durer»

Elle tire au hasard quelques papiers. «Voilà la souche de la carte d’embarquement du vol dans 
lequel j’étais rentrée après ma reddition. Les policiers vaudois m’avaient fait confiance en me 
permettant de passer ma dernière nuit brésilienne à l’hôtel plutôt qu’en prison. J’avais apprécié…»

Une petite carte en atteste: chambre 503 du Trianon Park. Les souvenirs de son incroyable cavale remontent: «C’était un peu des vacances, même si je savais que c’était une fuite qui ne pourrait pas durer. J’ai vécu durant un petit mois une vie de princesse que je ne vivrai jamais plus. Je faisais du shopping et j’allais à la plage la journée, mais le soir je me morfondais dans ma chambre avec la boule au ventre.

Main tendue

Mais il y a aussi eu des moments fous: quand j’ai dormi dans la suite de Madonna au Caesar Park de São Paulo, j’avais mis sa musique à plein tube et j’avais dansé toute seule une partie de la nuit… On évacuait de façon différente, Pascal par des maux de ventre, Christian en faisant la fête en boîte…»

De quoi sera fait l’avenir de Katia Pastori? «Je suis dans une période difficile, mais bien entourée, je n’en reste pas moins pleine de vie, lâche-t-elle simplement, et je tends la main à chacun. Je ne vais pas me laisser faire. Mais je voudrais juste qu’on cesse de me juger en permanence…»


Par Arnaud Bédat publié le 23 août 2019 - 09:15, modifié 18 janvier 2021 - 21:05