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«Raël»: un demi-siècle de bobards

Cela fait cinquante ans que les raéliens flottent dans l’espace public et médiatique. Netflix vient de sortir un long documentaire sur ces adorateurs des ovnis et leur infatigable «prophète». «L’illustré» avait rencontré et interviewé Raël en 2000 à UFOland, son vaste domaine québécois de l’époque. Souvenirs d’une immersion dans l’univers tragicomique d’une secte encore active en Suisse.

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En 2005, Raël était venu retrouver ses fidèles suisses

A Miège (VS), en 2005, Raël était venu retrouver ses fidèles suisses dans les vignes d’un vigneron local converti. Le gourou souhaitait résider à temps partiel dans ce village perché au-dessus de Sierre. Refus des autorités valaisannes qui soupçonnaient cet hôte de «favoriser la propagation de messages contraires à l’ordre public suisse et à la protection de la morale».

 
 
Olivier Maire/Keystone

C’est l’histoire d’une brebis, de milliers de moutons et d’un berger menteur comme un arracheur de dents. La brebis, c’est Dolly, premier mammifère cloné. Les moutons, ce sont les milliers de disciples humains de Raël. Et Raël, c’est leur berger et prophète.

En 1996, l’irruption de Dolly, cette réplique de mouton made in Scotland, avait fait entrer le génie génétique dans l’imaginaire populaire. A quand le premier humain cloné? Pour Claude «Raël» Vorilhon, cet ovin bricolé représentait une promesse de nouvelle vache à lait. Cela faisait déjà plus de vingt ans que le gourou soucoupiste vivait grassement de ses délires extraterrestres grâce à la généreuse crédulité de ses adorateurs. Mais en cette fin de millénaire, les ovnis étaient passés de mode. Alors pouvoir soudain promettre, faisabilité scientifique à l’appui, à des parents ayant perdu un enfant de leur fabriquer un parfait jumeau de substitution, moyennant bien sûr finances, représentait une nouvelle source de revenus en harmonie avec la posture scientiste de la secte. Et la machine à mensonges raélienne de s’emballer de nouveau au tout début du nouveau millénaire. Et pourtant, ces clonesques prétentions n’étaient bien sûr qu’une escroquerie de plus.

Dans ce contexte agité, nous avions convaincu notre rédaction en chef de l’époque d’envoyer un tandem journaliste-photographe au Québec pour interviewer Raël et sa cloneuse en chef, la chimiste française Brigitte Boisselier. Les négociations avec les attachés de presse raéliens avaient vite abouti. «L’illustré» était attendu par «Sa Sainteté» à Maricourt, un lieu-dit à 100 km à l’est de Montréal. C’est dans ce coin perdu dans la forêt canadienne que Raël et son état-major s’étaient réfugiés en 1995, quand l’Etat français avait commencé à enquêter sur la secte. Les dogmes échangiste et nudiste des raéliens avaient inévitablement favorisé des affaires d’abus sexuels. La délocalisation en Amérique du Nord avait permis à cette scabreuse communauté de se faire un peu oublier.

Dès notre arrivée à UFOland, nous avions pu vérifier que nous étions certes attendus mais pas les bienvenus. L’accueil à l’entrée de cet immense bâtiment (construit en bottes de paille pour se donner une petite plus-value écolo) avait été glacial. Pas la moindre offre de boisson de bienvenue, ni d’ailleurs la moindre goutte d’eau durant les cinq heures de notre immersion dans cet univers parallèle. Les deux belles jeunes femmes qui allaient nous escorter nous avaient d’abord demandé d’attendre à l’accueil de la partie musée du complexe. Et nous allions d’ailleurs souvent et longtemps attendre au cours de cette visite.

 
Le QG mondial et musée du mouvement raélien de 1995 à 2003 au Canada

De 1995 à 2003, le QG mondial et musée du mouvement raélien, c’était cette grande bâtisse biscornue construite avec des bottes de paille. C’est dans ce domaine à 100 km de Montréal que «L’illustré» avait interviewé et photographié Raël.

 
 
Didier Martenet/L’illustré

Une visite bien pénible


Après avoir poireauté une demi-heure, on nous avait présenté un monsieur assez terne qui serait notre guide pour la visite préalable du musée du raélisme. Il fallait s’assurer que nous avions intégré le minimum vital de cette religion athée. Devoir subir ces galimatias sur la vie extraterrestre, devoir endurer le récit des cinq ou six rencontres du troisième type de Raël avec les Elohim (les extraterrestres) et ses poignées de main avec les clones de Jésus, Mahomet, Bouddah et Moïse, tout cela fut pénible pour nos esprits rationnels. Mais pas question de se révolter. Nous risquions d’être virés avant d’avoir rencontré le prophète. Car avant d’entamer cette visite du musée le plus bête du monde, un géant habillé et coiffé comme Raël – sans doute un des «évêques» de la secte – avait joué la carte de l’intimidation en nous fixant d’un regard franchement mauvais. «Je vous conseille d’être de bons journalistes si vous voulez que cette visite se passe bien», nous avait-il prévenus après avoir momentanément interrompu sa partie de pétanque.

Malaise dans la soucoupe


Le clou du musée, c’était la réplique de la soucoupe volante dans laquelle Raël avait été emmené jusque sur la planète des Elohim. On montait dans cette grande toupie de métal par une trappe équipée d’un escalier. Mais à l’intérieur, pas de tableau de bord à la «Star Trek». Juste deux gros fauteuils gonflables transparents sur lesquels les visiteurs suisses avaient été priés de s’asseoir pour écouter plus confortablement le récit des pérégrinations cosmiques de Raël. Nous avions instinctivement évité, mon collègue et moi, de croiser nos regards. Nous savions pertinemment que, dans cette situation grotesque, nous n’aurions pas pu réfréner un fou rire nerveux, fou rire qui aurait peut-être compromis la suite du programme.

 
 
 
Raël prenant pose devant la réplique de la soucoupe volante au centre UFOland

Lors de notre visite, Raël avait pris la pose devant la réplique de la soucoupe volante qui l’aurait emmené au fin fond du cosmos, sur la planète des Elohim (les extraterrestres censés avoir créé les humains), afin de fraterniser avec... Jésus, Mahomet, Bouddah et Moïse.

 
 
Didier Martenet/L’illustré

Une fois libérés par notre guide et remis sous la surveillance des deux prêtresses, il avait fallu de nouveau faire preuve de patience. Brigitte Boisselier, la cloneuse en chef de la secte, n’était pas encore prête à nous recevoir. Nous avions profité de ce temps mort pour tenter de briser un peu la glace avec Sylvie, une de nos deux gardiennes. Nous lui avions notamment demandé si elle croyait aux récits sidéraux et sidérants de son gourou. Sa réponse avait été étonnamment circonstanciée. Pour cette zélée attachée de presse, chaque membre et sympathisant était libre de croire ou non. L’essentiel n’était pas là, mais plutôt dans ce que le raélisme apportait à chacun de ses adeptes en fonction de ses besoins.

C’est une des grandes forces de cette communauté, une force qui explique en partie sa singulière longévité: ce mouvement, contrairement à d’autres sectes, n’est pas obsédé par le degré d’adhésion de ses convertis. Il laisse aussi partir les déçus sans leur courir après. Il n’y a qu’un domaine où les contraintes dépassent les limites morales, voire légales: la sexualité. Le documentaire de Netflix met en lumière un système pervers de soumission d’une partie des femmes sous prétexte de libération sexuelle. Dix-sept ans après notre visite, Sylvie, l’attachée de presse, a d’ailleurs quitté la secte et témoigné l’année passée dans un autre documentaire, «Les femmes de Raël», du niveau d’endoctrinement qui l’a notamment amenée à se faire stériliser, car le gourou estimait que ses favorites, valorisées par leur appartenance à un «Ordre des anges», se rendaient moins disponibles si elles avaient des enfants. «J’avais l’impression que j’avais Jésus devant moi», explique Sylvie plus de vingt ans après notre visite sous sa conduite de ce UFOland. Désormais indésirable également au Québec, Raël a vendu ce domaine en 2016 à de plus terrestres propriétaires qui ont reconverti le site en camping et ont mis en vente deux ans plus tard la fameuse soucoupe sur internet.

 
 
Un documentaire Netflix pointe les abus sexuels dans la secte du gourou Raël

Le documentaire de Netflix a notamment le mérite de mettre en lumière la facette glauque de prédateur sexuel du gourou. Claude Vorilhon et ses complices ont mis en place un vrai système de recrutement de jeunes femmes – les «anges» – devant réserver leurs faveurs au «prophète» et à ses «évêques».

 
 
TCD/Prod.DB/Alamy Stock Photo

Notre entretien avec Brigitte Boisselier nous avait permis de constater l’aplomb effarant de cette femme. «Nous espérons être opérationnels pour les clonages dès mi-octobre, nous assurait la cloneuse bidon. Après la préparation d’une cinquantaine d’embryons, notre programme consistera à en implanter un dans l’utérus d’une mère porteuse. Tout sera fait dans les règles de l’art.» Et s’il y a fausse couche? «Nous avons une cinquantaine de femmes volontaires. Nous répéterons l’opération sur une autre femme avec un autre embryon.» Le documentaire de Netflix permet de s’assurer que le seul programme que cette complice de Raël avait soigneusement élaboré, c’était celui de ses mensonges pseudo-scientifiques éhontés.

 
 
Le gourou Raël et sa fidèle caution scientifique, la biologiste Brigitte Boisselier, en 2005

Raël et sa fidèle caution scientifique, la biologiste Brigitte Boisselier, en 2005. Un très efficace duo d’affabulateurs.

 
 
Olivier Maire/Keystone

«Ne jamais sonner ici!»


Et nous eûmes enfin le droit d’approcher le prophète lui-même après avoir poireauté derrière la porte de son bureau-chambre à coucher, porte sur laquelle l’ordre «Ne jamais sonner ici!» était scotché. Toute l’interview avait eu lieu en présence de cinq ou six membres de la secte et avait été intégralement filmée en vidéo pour les archives du mouvement. Autant dire que ces conditions de travail ne favorisaient guère une interview critique. Dans son costume d’opérette futuriste, Claude Vorilhon nous avait débité ses billevesées sans avoir besoin qu’on le relance, en roulant des yeux, en se laissant emporter par son propre enthousiasme. En gros, grâce à Clonaid, la filiale génétique de Raël SA, la vie éternelle pour tous était à portée d’éprouvette. On ne l’écoutait plus, mais on se demandait comment il était possible que des milliers de moutons se laissent berner par ce pitre.

Après avoir encaissé tant de mensonges yeux dans les yeux, après avoir vérifié l’absurdité du raélisme, notre duo de «L’illustré», assoiffé et affamé, était soulagé de reprendre la route vers Montréal, ses rues, ses restaurants, son humanité. Mais ces cinq heures sous le contrôle de ce cynique manipulateur en chef, de ses zélés lieutenants et de leurs zombies endoctrinés nous avaient laissé une sensation nauséeuse. La soucoupe était pleine... 

 
 
Par Philippe Clot publié le 13 mars 2024 - 08:53