Ruisselant de perles, ses boucles noires encadrant de grands yeux lourdement maquillés et un sourire aussi illuminé que ses tenues étaient d’un blanc étincelant: Uriella aurait aisément pu être la tante excentrique fleurant le patchouli de soap-opéras comme «Amour, gloire et beauté», voire figurer dans un remake de «Qu’est-il arrivé à Baby Jane?» Mais non, elle existait bel et bien, sous un nom de scène qu’elle s’était choisi: Uriella. Elle est décédée le 24 février dernier à l’âge de 90 ans.
Ces dernières années, la Suissesse, rattrapée par la maladie, s’était faite beaucoup plus discrète. Mais au faîte de sa gloire, elle revendiquait près d’un millier d’adeptes et n’hésitait pas à participer à des émissions reconnues en Suisse alémanique, comme «Kassensturz», qui l’avait filmée touillant l’eau d’une baignoire avec une cuillère en argent pour préparer son eau sacrée. Bref, outre-Sarine, elle était une star. Il est vrai qu’un gourou aussi pittoresque, de sexe féminin qui plus est, cela ne court pas les rues.
Fins du monde
Née Erika Bertschinger-Eicke à Zurich, elle avait grandi dans une famille croyante et sans histoire. Du catholicisme de son enfance, elle aurait gardé une passion pour les anges, Jésus et la Sainte-Vierge. Dès le début des années 1970, elle s’était mise à avoir des révélations.
Son don de clairvoyance aurait été renforcé par une commotion cérébrale occasionnée par une chute de cheval survenue en 1973 et depuis laquelle, entre deux migraines, elle conversait avec les anges. A Noël 1975, entrée en transe, elle découvrait qu’elle était «le porte-parole de Dieu».
En 1980, après le décès de son deuxième époux, elle fondait à Egg (ZH) le mouvement Fiat Lux («Que la lumière soit»). Et célébrait son premier culte en tant qu’Uriella, entourée de quelques dizaines d’adeptes.
Depuis un centre sis à Schwellbrunn (AR), celle qui prétendait: «Avec le pouvoir divin, je peux guérir toutes les maladies, y compris le cancer et le sida», commercialisait des médicaments contre des maladies graves. Ce que les autorités sanitaires cantonales avaient dénoncé comme du charlatanisme, alimenté par les prédictions apocalyptiques d’Uriella.
Pas d’alcool ni de sexe
A la fin des années 1990, la Schweizer Illustrierte s’était rendue à Ibach, en Forêt-Noire, non loin de la frontière, où Dieu lui avait intimé de s’installer en 1990 et où elle vivait avec son nouvel époux, un ancien prêtre catholique rebaptisé Icordo, et une trentaine de fidèles qu’elle appelait ses «enfants».
Son mouvement comptait alors, officiellement, quelque 750 adeptes, essentiellement en Suisse mais également en Allemagne et en Autriche. Dans la maison qui sentait la rose, les disciples parlaient à voix basse et l’on servait des crudités biologiques et bénies pour le repas. Les adeptes devaient renoncer à la viande, à l’alcool, aux journaux et à la télévision, mais aussi aux médicaments courants et au sexe. «Dieu est pureté, c’est pour cela qu’une vie pure et ordonnée est notre impératif le plus élevé», expliquait alors Icordo.
Pour être membre de Fiat Lux, il fallait croire à la réincarnation. Uriella était convaincue d’avoir été Marie-Madeleine. Icordo a indiqué avoir auparavant vécu, notamment, sous les traits du réformateur zurichois Zwingli et du compositeur autrichien Johann Strauss. Le pape aurait été empoisonné et remplacé par un sosie. Ces déclarations étaient couronnées par un discours apocalyptique; en 1991, la prêtresse avertissait que la fin du monde était imminente et que seuls ses disciples seraient sauvés par des aliens et emmenés en vaisseau spatial sur une planète «nettoyée» du nom d’Amora.
Rebelote en 1997, où, par le biais d’un communiqué de presse, Fiat Lux annonçait la Troisième Guerre mondiale pour l’année suivante, avec «l’invasion» de l’Europe par les Russes et «la disparition de la Californie, de Los Angeles et de Hollywood dans l’océan Atlantique». Interpellée sur ces «inepties» par le journaliste de la Schweizer Illustrierte, elle avait répondu en riant qu’il s’agissait là de «messages divins».
Ses propos et ses actions controversés l’avaient conduite à plusieurs reprises devant les tribunaux, notamment en 1996 pour homicide par négligence – elle avait été relaxée. En 1998, par contre, elle avait été lourdement condamnée pour trafic de médicaments et fraude fiscale. Elle-même se disait, son éternel sourire aux lèvres, «non coupable aux yeux de Dieu». Ce qui ne l’avait pas empêchée d’être condamnée en appel, en 2002, à reverser quelque 625'000 francs à une ex-fidèle qu’elle aurait manipulée en lui disant qu’elle allait avoir un cancer.
Au fil des années suivantes, rattrapée par le cancer, elle avait déclaré qu’elle allait se soigner elle-même. En 2015, elle avait redonné de ses nouvelles par le biais d’une lettre demandant la clémence pour un homme emprisonné depuis des années pour actes de pédophilie.
La cérémonie d’adieu s’est tenue vendredi dernier dans l’église catholique d’Ibach. Icordo a annoncé être désormais à la tête de Fiat Lux. Qui ne compte désormais plus qu’une poignée de fidèles. Dieu soit loué.