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«Broken Chair» fête ses 25 ans de combat pacifiste

La sculpture monumentale érigée en 1997 à Genève reste hélas d’actualité. Des innocentes et des innocents sont aujourd’hui encore atrocement mutilés par des armes sournoises. Et les populations civiles demeurent des cibles en temps de conflit armé.

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Broken Chair

Au fil des ans, «Broken Chair», voisine du Palais des Nations, est devenue le symbole d’une large cause: la protection des populations civiles plongées dans des conflits armés.

Anthony Devlin/PA Images/Getty Images
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Margaux Sitavanc

Avec ses 5,5 tonnes de bois et ses 12 mètres de haut, elle est l’emblème du combat contre les mines antipersonnel, ces engins bon marché conçus pour exploser sous les pieds de leur victime, lui infligeant de terribles mutilations, sinon la mort. Au fil des ans, cette chaise est aussi devenue le symbole de la lutte contre les armes à sous-munitions. La sculpture monumentale a fêté ses 25 ans le 18 août dernier. L’œuvre, qui est aujourd’hui l’un des monuments genevois les plus photographiés, est le fruit de la collaboration entre l’organisation non gouvernementale Handicap international Suisse et l’artiste fribourgeois Daniel Berset.

Pourquoi avoir choisi une chaise comme symbole des ravages causés par les mines? Dans le cadre de son engagement en faveur de l’interdiction de ces armes, de l’assistance aux victimes et du déminage, Paul Vermeulen, cofondateur et premier directeur de Handicap international Suisse, a été amené à consulter des centaines de clichés insoutenables issus de la photothèque du CICR, témoignant de l’atrocité des mutilations infligées par ces engins, parfois à de très jeunes enfants. «Personne ne peut ne serait-ce qu’imaginer son enfant sauter sur l’une de ces mines», témoigne l’humanitaire.

Pour autant, il lui semblait évident que l’usage d’une représentation réaliste d’une victime de mine pour mobiliser les délégations des Nations unies n’était pas envisageable: «Devant de telles images, l’esprit se ferme pour se protéger de l’horreur. Si on voulait atteindre le plus grand nombre, on devait passer par le symbole. Ainsi, la chaise épouse le corps d’une personne et évoque une présence humaine même lorsqu’elle est vide.» Installée le 18 août 1997 en face de l’entrée principale de l’ONU, «Broken Chair», avec son pied arraché, devient immédiatement le symbole mondial du refus des mines antipersonnel. Hasard du calendrier, treize jours après l’installation de la chaise sur la place des Nations, la princesse Diana disparaissait tragiquement dans un accident de voiture. En guise d’hommage à celle qui s’était rendue au péril de sa vie sur les champs de mines de Bosnie et d’Angola, des dizaines de bouquets de fleurs et de messages ont été déposés au pied de la chaise.

Pour comprendre l’histoire de «Broken Chair», il est nécessaire de remonter en 1996. A cette époque, malgré la tenue de conférences internationales, il n’existe pas de consensus au sujet de la lutte contre l’usage des mines antipersonnel. En mai 1996, une conférence organisée à Genève sous la houlette de l’ONU est un échec. Alors qu’une quarantaine d’Etats sont favorables à une interdiction pure et simple, la majorité préconise une simple limitation et souhaite même légitimer la production et l’usage des mines dans certaines circonstances. A l’issue de la rencontre, la délégation du Canada annonce à la surprise générale qu’elle organisera d’ici à la fin de l’année un sommet réunissant les pays favorables à une interdiction totale afin de mettre sur pied une stratégie juridiquement contraignante vis-à-vis de la communauté internationale. Le rendez-vous, qui se tient à Ottawa au début du mois d’octobre 1996 avec la participation des organisations de la société civile, débouche sur la signature quatorze mois plus tard, par 122 Etats, de la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction.

A l’époque de l’annonce faite par le Canada, Paul Vermeulen acquiert la certitude que la société civile doit se mobiliser pour pousser le plus grand nombre de pays à signer la future convention. Ayant l’habitude des projets créatifs, celui qui a auparavant officié en tant que directeur de la communication de Médecins sans frontières Suisse imagine plusieurs projets d’envergure, comme demander l’autorisation d’emballer l’un des pieds de la tour Eiffel dans un bandage géant, projet insolite auquel il renoncera: «Ça aurait été un message international fort, mais nous manquions à la fois de temps et de moyens.»

En 1996, la place des Nations a des airs de terrain vague: «Très vite, je me suis dit que c’était là qu’on devait faire quelque chose, à Genève, capitale du droit international.» C’est alors que naît dans l’esprit de Paul Vermeulen l’image d’une chaise de plus de 10 mètres de haut avec un pied arraché, installée devant l’entrée principale du Palais des Nations: «Je connaissais bien l’artiste suisse Daniel Berset. Je lui ai proposé de réaliser ce projet et, à ma grande joie, il a accepté.» Et pour cause, la figure de la chaise, Daniel Berset la connaissait bien: «Elles peuplaient mon imagination et mes cahiers déjà au début des années 1980. Ensuite, il y a eu cette rencontre qui a permis à l’œuvre que vous connaissez de voir le jour», nous confie l’artiste. De son propre aveu, la principale difficulté dans la réalisation de «Broken Chair» a été de trouver les proportions adéquates: «En sculpture, on ne peut pas juste prendre quelque chose à l’échelle et l’agrandir; le résultat ne serait pas concluant, surtout avec une œuvre de cette grandeur. Si vous regardez attentivement, vous verrez que les proportions ont été quelque peu modifiées, adaptées, pour permettre au spectateur de voir une chaise de n’importe quel point de vue», explique Daniel Berset.

La chaise, qui devait initialement être enlevée une fois la convention d’Ottawa signée, a également joué un rôle important dans la signature par 119 Etats en décembre 2008 de la convention d’Oslo interdisant l’utilisation, la fabrication, le commerce et le stockage des armes à sous-munitions (terme employé pour désigner un conteneur rempli de mini-bombes explosives qui, une fois largué par avion ou par voie terrestre, libère ces dernières qui tombent alors comme un tapis de bombes sans précision et sur de très larges étendues). ««Broken Chair» est née de notre engagement contre les mines antipersonnel mais a acquis avec le temps une dimension plus large, qui nous permet aujourd’hui de thématiser de manière générale la protection des populations civiles en temps de conflit armé», indique Daniel Suda-Lang, actuel directeur de Handicap international Suisse. Après quelques années d’accalmie à l’échelle internationale, le nombre de victimes de bombes à sous-munitions, presque exclusivement civiles, prend de nouveau l’ascenseur en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. A ce sujet, le rapport annuel des experts de la Coalition contre les armes à sous-munitions dénonce une «utilisation massive de bombes par la Russie» mais également par la partie ukrainienne. Pour l’heure, aucun des deux pays n’a ratifié la convention d’Oslo.

Quel avenir pour «Broken Chair»? «Quand la chaise a été construite, on pensait que, quelques années plus tard, l’affaire serait réglée et qu’elle n’aurait plus besoin d’être là. Il faut dire que, en tant qu’ONG, on œuvre un peu pour le jour où l’on n’aura plus besoin de nous. Si ce jour semble encore loin, la chaise va nous servir de témoin et de phare pour y parvenir», déclare Daniel Suda-Lang. Dernière action en date, l’installation début avril 2022 d’un tank en ballons à côté de la chaise. Accompagnée du slogan «Arrêtons de jouer avec la vie des civils», cette campagne avait pour but d’attirer l’attention sur les négociations finales visant à mettre fin aux bombardements des civils en zone peuplée qui se tenaient au même moment au Palais des Nations. «Ces discussions ont permis de réelles avancées qui pourraient mener à la ratification d’une nouvelle convention d’ici à la fin de l’année», se réjouit le directeur de Handicap international Suisse.

Par Margaux Sitavanc publié le 29 septembre 2022 - 09:14