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Ukraine - Russie

Témoignages de la bravoure et détermination ukrainienne

Les témoignages de bravoure se multiplient, galvanisant le moral d’Ukrainiens d’abord sidérés par les premières attaques russes. A travers le pays, nous avons recueilli leurs réactions, leur colère et leurs attentes envers la communauté internationale.

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Illia Kuchinskiy et sa fille Yvonne, 15 ans, qu’il a amenée samedi à la frontière moldave avant de repartir pour Kiev. «Elle pleurait, alors je nous ai mis ces coiffes pour la faire rire. Et ça a marché.»

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Tout d’un coup, le rire sonore d’Illia Kuchinskiy retentit. Un rire à la fois rafraîchissant et détonnant. Ce chef décorateur de 38 ans se trouve à 300 kilomètres de Kiev, vers laquelle il roule sur une route déserte. Nous lui parlons par le biais de l’application Telegram. Ce qui le fait rire, ce sont les panneaux de localisation que les habitants ont enlevés pour dérouter les Russes, et notre question: est-ce qu’il a peur? «Ha! C’est à l’ennemi d’avoir peur. Pourquoi devrais-je avoir peur? Chaque heure, chaque minute qui voit nos soldats repousser l’agresseur, nous nous battons pour tout le monde libre. Nous montrons à l’agresseur impérialiste que personne ne peut nous prendre notre terre. Et vous, les citoyens du monde libre, vous devriez réapprendre cette leçon. Puisque la Seconde Guerre mondiale ne vous a pas suffi, alors nous répéterons la leçon pour vous.»

Illia est à l’image de ces Ukrainiens qui stupéfient le monde entier par leur bravoure et leur détermination depuis les premières heures de l’intervention russe sur leur territoire, jeudi à l’aube. Il rentre de la frontière d’avec la Moldavie, où il a accompagné ses filles de 6 et 15 ans et leurs mères. «Je leur ai trouvé un appartement à Chișinău. Elles sont désormais en sécurité et peuvent se reposer. Kiev est dangereuse pour les enfants, les femmes, pour tout le monde. La petite, Veronika, ne comprend rien, c’est un jeu pour elle. Nous lui avons dit que le voyage était une aventure et que le bruit des roquettes, c’était juste des salutations. Yvonne, elle, est très stressée. Elle n’a pas peur, car elle est ma copie conforme, mais jusqu’à mercredi dernier, ses principales préoccupations, c’étaient les devoirs, les garçons de la classe ou les jeux vidéo, et maintenant, c’est la guerre. Elle est déprimée. Mais elle est forte.»

L’idée de quitter l’Ukraine n’a pas effleuré Illia. «C’est ma ville, mon pays. Beaucoup de mes amis sont déjà en train de se battre pour repousser les Russes, sauver notre indépendance et notre honneur.» Il ne sait pas encore comment, mais il compte se battre lui aussi. «Je ne suis pas sûr de rejoindre l’armée. Je vais voir la meilleure manière dont je peux me rendre utile.» En 2014, lors de la révolution de Maïdan, il a appris à se servir d’une kalachnikov. «Je peux tirer sur une cible à 150 mètres.» La mobilisation générale, qui interdit aux hommes de 18 à 60 ans de quitter le territoire, lui semble normale. «Si vous choisissez de vivre ici, alors vous devez aussi protéger le pays.»

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Le Suisse Marc Wilkins et son épouse ukrainienne, Olga Sidorina-Wilkins, avant leur arrivée à la frontière polonaise jeudi dernier.

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Mark Wilkins, lui, est Suisse. Après les premiers bombardements sur Kiev, il a quitté la capitale, où il vivait depuis six ans avec son épouse ukrainienne, le jour même. Il en sanglote en nous parlant depuis Berlin, où, après une halte à Varsovie, il a trouvé refuge avec sa femme, Olga Sidorina Wilkins, et leur chien. «Je suis incapable de tirer sur quelqu’un. Mais les soldats russes doivent être abattus sans pitié. Je me torture en me demandant si j’aurais dû rester. Je me sens si impuissant. Il faut absolument que l’Europe et l’OTAN déclarent une zone d’exclusion aérienne. Mais l’Allemagne dépend du gaz russe (41% du gaz naturel importé par l’Europe vient de Russie, ndlr). Une manne colossale pour le Kremlin...»  Le lendemain, après un peu de repos, Olga et Marc décidaient de faire demi-tour. Impossible pour eux de ne pas être en Ukraine dans ces moments. Et lundi soir, ils arrivaient à Lviv, dans l'ouest du pays.

 

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Maria Popova, 28 ans, a quitté son appartement de Kiev. «Après le choc, c’est désormais une immense colère qui nous anime.»

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Lorsque nous parlons à Maria Popova, «tout est calme». Mais la nuit a été agitée pour la jeune femme de 28 ans et les quatre autres personnes de la maisonnée, dont son frère et sa belle-sœur, avec lesquelles elle vit désormais. Dans la nuit de samedi à dimanche, le dépôt pétrolier de Vassylkiv, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Kiev, a pris feu à la suite de frappes de missiles, et tous ont passé une partie de la nuit dans une pièce aux fenêtres barricadées. Les autorités ont demandé à la population de se protéger des fumées toxiques dégagées par l’incendie. «Ça a brûlé toute la nuit juste à côté de la maison... J’espère que cela ne va pas devenir un nouveau Tchernobyl.» Et Maria de rire doucement.

Pas question pour elle de partir. «Après les premières heures d’angoisse, c’est désormais une immense colère qui nous anime. J’ai vu de vieilles femmes devant leur porte, prêtes à accueillir l’ennemi avec des armes bricolées ou même des outils agricoles. Peut-être que si Poutine avait décidé de nous envahir il y a huit ans, ça aurait marché. Mais là, après la révolution et la guerre dans le Donbass qui dure depuis des années, ça ne marche plus. Personne ne veut des troupes russes ici.» Sa belle-sœur, elle, s’inquiète de ne pas pouvoir intégrer la résistance ukrainienne en raison de sa nationalité russe.

Elle veut nous raconter une anecdote: la tentative russe de pénétrer dans le quartier de Troieshchyna, à Kiev, connu pour être le territoire de la puissante mafia locale et le site d’une centrale électrique. «Quand on a su que les Russes tentaient d’y entrer, on a plaisanté entre nous et sur les réseaux. Nous-mêmes, en temps normal, on n’y va pas, et eux, ils essaient! Ils sont fous ces Russes! Les gangsters les ont repoussés. Ça aussi, c’est inspirant. En fait, on sent que tout le pays ne fait qu’un. La rage, la colère sont plus fortes que la peur. La peur, je n’en vois pas ici.»

Maria évoque ces influenceuses qui, habituellement préoccupées par leur maquillage dernier cri, discutent désormais de la meilleure manière de préparer des cocktails Molotov et de comment faire parvenir de la nourriture aux combattants. Elle-même, employée dans la communication, consacre maintenant son temps à coordonner des actions de volontariat. «Je me sens portée par l’élan de résistance qui est apparu. Mais vous savez, c’est au-delà de la colère. Nous n’avons pas le choix. Le mal absolu est entré ici en pensant qu’il allait nous imposer sa manière de vivre.» Elle reprend. «Les premières heures, le pays s’est senti seul au monde et impuissant.» Aujourd’hui, elle veut croire à des actions concrètes de la communauté internationale. «S’il pouvait y avoir une réaction immédiate, que le monde montre à la Russie qu’il n’est pas d’accord... Je comprends que l’UE ne puisse pas organiser des sanctions en un claquement de doigts. Mais pour nous, le temps s’écoule à un rythme différent. Quelques jours, cela veut dire encore des missiles qui s’abattent sur des immeubles et tuent des gens. Pour nous, une heure, c’est énorme. Nous vivons vraiment de minute en minute.»

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Depuis Kharkiv, près de la frontière russe, Anastasia Budiashkina, 19 ans, l’interprète du film suisse «Olga», nous a envoyé ce selfie et ces mots: «Je vous souhaite à tous un ciel paisible.»

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A l’est, tout près de la frontière avec la Russie, la deuxième ville du pays, Kharkiv, subit elle aussi les assauts russes. Parmi les habitants réveillés à 4 heures du matin jeudi, Anastasia Budiashkina, 19 ans, la jeune interprète du film suisse «Olga», pour lequel elle s’était rendue à Cannes l’été dernier. «Je ne comprenais pas ce qui se passait, je ne sentais pas le lit sous moi, raconte la jeune femme, gymnaste aérienne dans un cirque. J’ai réalisé que ce n’était pas un feu d’artifice et cela m’a rendue triste et apeurée. Je ne veux pas revivre tout ce qui s’est passé en 2014 une deuxième fois.» Alors que les combats se poursuivaient dimanche, Roman Marder, qui avait aidé notre collègue il y a quelques jours seulement (voir L’illustré du 09.02.2022), a quitté son appartement, sis au septième étage d’un immeuble, pour aller chez des proches. Les habitants ont l’interdiction de sortir de chez eux. «Ce matin, pour la première fois, de petits groupes russes ont réussi à pénétrer dans différents quartiers de la ville. Quand les habitants repèrent un char, un blindé, ils les signalent à l’armée pour les neutraliser. Des Russes ont abandonné leurs véhicules pour se réfugier dans une école. Maintenant, un groupe de militaires va les chasser. J’espère que nous allons reprendre le contrôle de la situation.» Roman puise du réconfort dans les messages que lui envoient ses étudiants russes. «Ils me disent qu’ils ne comprennent pas cette intervention, qu’ils ont honte.»

A l’inverse, Tatiana Krasko, 46 ans, se désole, elle, de devoir subir les justifications de ses proches et de ses connaissances en Russie, qui lui disent que «la Russie est le pays le plus pacifique du monde, que ce sont les Américains qui font la guerre, la raison pour laquelle la Russie va nous libérer. Que nous sommes une seule nation, des frères slaves...» Elle nous parle depuis New York, dans la région de Donetsk, à quelque 250 kilomètres au sud de Kharkiv. Depuis 2014, elle se démène sur le terrain pour coordonner les efforts humanitaires et aider les habitants touchés par le conflit. «Jeudi, avec ma mère, ma sœur et mon neveu, nous avons fait nos bagages et le plein d’essence, avant de décider de rester. Toute l’Ukraine est en feu, le danger est partout. Alors nous avons aménagé le rez-de-chaussée de nos voisins et nous y restons. Il y a ici des gens âgés dont les enfants sont partis en 2014, essentiellement pour la Russie, et ne sont jamais rentrés.»

Elle poursuit. «Après le lundi 21 février, quand Poutine a annoncé qu’il reconnaissait l’indépendance de DPR et de LPR (les Etats séparatistes pro-russes de Donetsk et de Lougansk, ndlr), on se préparait au pire, on était sûrs qu’il allait envoyer ses troupes. Mais là, même nous qui vivons la guerre depuis huit ans sommes choqués par ce qui se passe et craignons chaque nuit une attaque aérienne. Nous avons très peur. Pour nous, pour nos enfants, pour le peuple, les militaires, le pays. Notre moral est fort, mais c’est très difficile de renverser une telle attaque sans l’aide de partenaires occidentaux. Tout le monde le comprend et espère une aide à la fois diplomatique et militaire et, au final, un tribunal international qui jugera Poutine et ses complices pour crimes de guerre commis non seulement ici mais également en Géorgie, en Arménie, en Tchétchénie, en Moldavie et au Kazakhstan... Aujourd’hui, même les Ukrainiens les plus pacifistes haïssent Poutine, sa Russie et la nation russe. Et ils résistent parce que la liberté et l’honneur sont ce qu’il y a de plus important pour nous, Ukrainiens.»

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Par Albertine Bourget publié le 3 mars 2022 - 09:01