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Témoignages

Victimes d'un coiffeur abuseur: «Mitch* a voulu nous détruire»

Entre 2019 et 2020, ce coiffeur vaudois a abusé psychiquement et sexuellement d’une vingtaine d’adolescentes, parfois âgées de seulement 13 ans. Aujourd’hui, le quadragénaire est libre. Par souci de prévention, quatre de ces jeunes femmes racontent le long chemin de guérison qui est le leur. Entre espoirs et désillusions.

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Quatre jeunes Vaudoises ont accepté de témoigner des abus qu'elles ont subis par Mitch, coiffeur et prétendument photographe

Sur le chemin de la reconstruction, une solidarité s’est installée entre les jeunes Vaudoises. Si elles ont accepté de témoigner, c’est pour la quinzaine d’autres victimes connues de leur agresseur. Mais aussi pour que d’autres femmes ou hommes salis par les agissements d’autres pervers «trouvent enfin le courage de parler et ainsi de se libérer».

Jean-Guy Python

«Je hanterai vos nuits à jamais»**, annonçait une inscription tatouée sur son torse. Elle disait vrai. Ce quadragénaire a consciemment injecté en Marie*, Maé*, Thalia* et Sara* le poison de la haine de soi et celui de la haine de l’homme. Marie a trouvé l’antidote, tranchant ainsi les liens délétères et invisibles la reliant à son bourreau. Ses copines ont emprunté ce même chemin, mais il se révèle plus long et tortueux. Pour elles, il passe par les antidépresseurs et les anxiolytiques, est jalonné de crises d’angoisse et de séances chez le psy. «Ce pervers bosse aujourd’hui pas loin de mon école. Je l’ai recroisé juste avant son procès et il m’a fixée de loin sans aucune gêne et même avec un drôle d’air. Pendant tout le mois qui a suivi, je n’ai plus pu sortir de chez moi et, depuis, je prends un trajet différent pour me rendre là où j’étudie», raconte Thalia.

Les quatre Vaudoises avaient respectivement 15, 14, 13 et 13 ans également lorsque ce coiffeur, photographe amateur prétendant avoir des contacts dans le milieu du mannequinat, avait abusé d’elles tout comme d’au moins une quinzaine d’autres, pour la plupart âgées de moins de 16 ans au moment des faits. Psychiquement tout d’abord, puis physiquement. C’était entre 2019 et 2020 du côté d’un collège du canton de Vaud, en face duquel le délinquant sexuel, désormais reclus chez ses parents en Valais, tenait alors un salon de coiffure. Mais il harponnait aussi nombre de ses victimes sur Instagram, où il se montrait hyperactif sous un pseudo spectaculaire.

Les attraits sulfureux de l’interdit


«Il nous disait avoir moins de 30 ans, était super sympa et savait mettre à l’aise. En réalité, il percevait avec finesse les failles de chacune d’entre nous. Moi, je n’avais pas confiance en moi et il me disait que j’étais jolie au point de faire du mannequinat», commence Sara. Puis venaient les séances photos. Normales tout d’abord, mais qui se transformaient ensuite insidieusement en quelque chose d’ordre sexuel, avec des attouchements parfois poussés. «J’ai connu cet homme alors que je traversais une période spirituelle. Il savait dialoguer avec moi sur ce thème. Je me confiais à lui avec l’impression d’être vraiment entendue. Il disait être capable de prodiguer des massages énergétiques… Ça peut paraître dingue avec le recul mais, même après son arrestation, je l’ai longtemps protégé», s’étonne encore Marie.

Nous prénommerons Michel* cet homme capable de tisser sa toile si habilement autour d’adolescentes vulnérables et n’hésitant pas à affaiblir leurs barrières en leur fournissant de l’alcool, de la drogue, des médicaments et le séduisant goût d’interdit très rock’n’roll qui va avec. L’ex-prévenu aimait se faire surnommer Mitch*. En décembre dernier, le coiffeur quadra, versé dans le satanisme, accro au porno et amateur de pratiques sadomasos, écopait de 36 mois de prison, dont la moitié avec sursis. Et il était interdit à vie d’activités avec des mineurs par le Tribunal correctionnel de l’Est vaudois. Ce dernier l’avait notamment jugé coupable d’actes d’ordre sexuel avec des enfants, de remise à des enfants de substances pouvant mettre en danger leur santé ou encore d’actes sexuels avec des mineurs contre rémunération.

Une sorte de salon BDSM chez le coiffeur abuseur

Le coiffeur entraînait certaines d’entre adolescentes dans la mystérieuse «chambre rouge» jouxtant son salon vaudois. Là, accessoires SM et sex-toys ne laissaient guère de doutes quant à sa perversion.

DR

Profaner des féminités naissantes


Le délinquant sexuel, qui suit une thérapie, était cependant reparti libre de la salle d’audience, car il avait déjà purgé l’essentiel de sa peine en détention préventive. Pendant cette année d’incarcération, Michel aurait fait deux tentatives de suicide. A l’énoncé du verdict, certaines de ses victimes avaient crié, pleuré ou s’étaient enfermées dans le sarcasme. Pour elles, la peine prononcée n’était clairement pas à la hauteur des dégâts causés, d’autant que Mitch avait déjà été condamné pour des faits similaires une première fois, en 2005. «Et ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne remette ça», prédit, désabusée, Thalia, bien que les experts psychiatres ayant examiné Michel jugent son risque de récidive «moyen». C’est pour l’éviter et de manière plus générale pour mettre en garde contre ce type de personnes que les quatre copines ont trouvé le courage de témoigner.

«Ma première expérience sexuelle a été celle que Mitch m’a imposée.»

Sara, 13 ans au moment des faits

Elles sont à l’aube de la vingtaine, l’âge de tous les possibles. L’âge aussi où l’on commence à entrevoir toute la puissance et la beauté d’une sexualité épanouie dans l’amour et le partage. Mais Mitch a comme barré l’accès à cet apprentissage. Thalia confirme: «Tout ce qu’il a fait, ça n’a jamais été que pour nous détruire et, s’il avait parfois l’air sincère, c’est qu’au fond de ses propres blessures lui aussi avait besoin de ces relations.» La jeune femme confie ne plus faire confiance à aucun homme adulte désormais. Tristement, les abus subis ont même installé une méfiance irrationnelle chez elle et à l’égard de son père et de son grand-père. Ses séances chez le psy l’aident, mais elle lâche: «Je vais devoir vivre avec ce qui s’est passé, car je ne pense pas que les dégâts vont jamais se réparer totalement…»

Se défaire de ses héritages


Maé confesse de son côté ne plus être la même qu’avant. Aujourd’hui, même au travail, elle évite comme la peste de se retrouver seule dans une pièce avec un homme. Et échanger un baiser avec un prétendant lui est impossible, tant la chose lui rappelle presque mécaniquement les abus imposés par Mitch. «On se sent salie, pourrie, utilisée comme un objet et ça sape la confiance en soi…» conclut-elle. Michel a «légué» à Sara «une addiction au tabac et une autre à la weed». «Ma première expérience sexuelle a été celle que Mitch m’a imposée. J’ai un petit ami depuis huit mois maintenant et ça se passe bien, car il est à l’écoute.» La Vaudoise de 17 ans confesse avec pudeur que, parfois, ils doivent s’interrompre en pleins ébats, car le fantôme de Mitch s’invite dans leur danse.

«Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne remette ça.»

Thalia, 13 ans au moment des faits

C’est au domicile de ses parents que nous l’avons rencontrée. La mère de la jeune femme s’en veut de n’avoir rien vu. A l’époque des faits, elle était allée parler à ce Mitch qui prenait tant de place dans la vie et dans le natel de sa petite dernière. Mais le quadragénaire avait habilement su faire taire ses doutes de maman. «A l’époque, Sara était dans un classique schéma de rejet du modèle parental. C’est un terrain redoutablement fertile pour les mauvaises fréquentations. On marchait sur des œufs. Lui interdire de fréquenter celui qu’elle voyait comme un ami aurait pu être très contre-productif. Si nous avions pu nous informer sur les antécédents de ce monsieur, comme cela se fait aux Etats-Unis en cas de condamnation pour abus sexuels, les choses auraient évidemment été totalement différentes. Et nous avons découvert plus tard avec effarement que même la police locale ne savait rien de sa condamnation passée!» explique le père de Sara avec un calme impressionnant.

Il baisse les yeux et s’éloigne


Mitch raconte avoir lui-même été abusé dans sa jeunesse. On ignore si c’est vrai, car, à l’époque de ses méfaits, il prétendait également volontiers être condamné par un grave cancer et se rasait parfois la tête pour faire croire à une chimiothérapie afin d’attiser la pitié de ses jeunes victimes. Le quadragénaire laissait aussi planer un sulfureux mystère autour de la «chambre rouge» qui jouxtait son salon. Seules quelques «élues» avaient le «privilège» d’y accéder. C’est là que le pervers disait vivre une vie sexuelle débridée avec des «soumises». «Des photos érotiques tapissaient les murs et des sex-toys y étaient accrochés. C’était glauque et dégueu. Le contraste avec le salon de coiffure, qui était impeccable, était total. C’était en définitive à l’image du côté Dr Jekyll et M. Hyde de Mitch», résume Marie.

Au procès, l‘inculpé n’a pleuré que sur lui-même. C’était en évoquant sa mère. La lettre d’excuses qu’il a transmise à ses victimes avant l’audience leur a semblé «téléphonée et pas du tout sincère». Juste après le jugement rendu, Marie a à son tour croisé Michel, devant chez Manor. La gymnasienne, qui a désormais repris le chemin de ses rêves d’antan, l’a regardé impassiblement. «En un sens, si je me suis mise dans cette situation, c’est que j’ai moi aussi une petite part de responsabilité. En endossant cette responsabilité, j’ai refusé de m’enfermer dans un rôle de victime. Et aujourd’hui, j’ai envie de me pardonner totalement et de continuer à avancer. Mitch n’a plus aucune prise sur moi. Rien de ce qu’il a fait ne pourra jamais me définir. Je ne le hais même pas.» Même si aucun mot n’a été échangé, le délinquant sexuel a senti tout cela intuitivement. Il a détourné le regard et s’est éloigné… 

* Noms véritables connus de la rédaction.
** Formule du tatouage modifiée.

Par Laurent Grabet publié le 20 avril 2023 - 09:29