Et si les soldats déjouaient leur statut d’êtres mortels?
Photo: Blaise Kormann
Photo: Blaise Kormann
Mission «æternus»: combattre la mort

Et si les soldats déjouaient leur statut d’êtres mortels? Il s’agit d’une utopie, mais Quentin Ladetto, responsable du programme de prospective technologique au sein d’Armasuisse, anticipe depuis dix ans les menaces et les opportunités auxquelles les militaires seront confrontés. Le Valaisan imagine l’armée du futur. Qu’elle soit ultra-équipée ou protégée par les objets connectés, elle optimise son espérance de vie.

 

En 2023, l’armée a deux visages: des équipes sur le terrain en mode jeu vidéo avec des matériaux dernier cri et des citoyens en jean qui manipulent des drônes pour se distancer de la zone de conflit. Face à l’utilisation constante de nouvelles technologies comme la robotique et la réalité virtuelle, la confiance dans les rapports homme-machine est débattue. Une réflexion critique autour des défis du transhumanisme, que ce soit dans le civil ou le militaire, apparaît. L’un des auteurs du livre «Soldat du futur» publié en 2021, Quentin Ladetto, nous résume les dernières tendances.

Quentin Ladetto, responsable du programme de prospective technologique au sein d’Armasuisse

Quentin Ladetto, responsable du programme de prospective technologique au sein d’armasuisse, photographié dans une chambre anéchoïque dans leurs laboratoires.

Blaise Kormann

Potentiellement, les militaires devraient compter sur les nouveautés technologiques pour réduire le taux de mortalité?

Les avancées du transhumanisme, soit le fait d’augmenter les capacités humaines grâce aux progrès techniques et scientifiques, montre de vraies possibilités pour protéger les militaires sur le terrain. Après, il faut rester humble, car il y a beaucoup d’éléments dont il est difficile de prévoir les développements exacts. Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle. Comment celle-ci va-t-elle optimiser l’interaction humain-machine? On projette les risques et les opportunités. Par contre, atteindre grâce à elle une forme d’immortalité sur le terrain, je n’y crois pas.

De quels atouts parle-t-on?

Il existe des avantages stratégiques, comme tracer son équipe ou connaître l’emplacement de ses adversaires. Il y a des bienfaits pour «la survie» auxquels on ne pense pas tout de suite. Dialoguer avec des machines, cela pourrait soulager la solitude d’une personne dépêchée dans une longue opération de surveillance. Et donc améliorer sa santé mentale. Dans un pays où elle ne parle pas la langue, elle pourrait aussi mieux s’intégrer dans la population locale, former des alliances, grâce à des appareils de traduction instantanée.

Et quels sont les dangers autour de ces technologies?

Si les soldats peuvent risquer leur vie pour récupérer un robot qui collecte des informations, c’est là totalement contre-productif. Et comment s’assurer de la fiabilité d’un ordre qui vient d’un appareil connecté? Pourrait-il être hacké pour causer des pertes à son propre camp? Beaucoup de choses progressent à une vitesse folle et, au final, on se rend compte que l’humain n’est pas si mal fait. Que, pour le moment, son fonctionnement est unique et qu’on n’a pas besoin de le remplacer mais de le compléter.

Dans votre livre, on découvre des concepts comme un «dataropathe», un métier pour soigner les abus du numérique. Quelle partie de votre ouvrage touche au réel et à l’imaginaire?

Même si des passages paraissent farfelus, tout est lié à un domaine concret. Le côté sciencefiction, on le retrouve uniquement dans les noms qui sont des néologismes. Mais les recherches mentionnées – qui sont souvent bien plus avancées dans le civil sur les implants et la collecte de données – existent. Le but de ce projet éditorial était de stimuler la réflexion pour créer des solutions inédites. Les idées suggérées n’auraient pas que des impacts sur la défense d’un pays, mais offrent également une réflexion plus globale. Depuis la parution, de nouveaux concepts émergent déjà. On pourrait sortir un deuxième tome.

Cette suite pourrait-elle contenir un chapitre consacré à une armée en voie d’immortalité?

L’humain n’a pas été optimisé pour vivre éternellement. Mais tactiquement, pour une armée, c’est important de réduire les risques de décès lors d’interventions. Humainement aussi. On imagine bien que ce serait une véritable plusvalue d’avoir des militaires potentiellement «indestructibles». Se poserait alors sérieusement cette question: pourquoi fait-on la guerre?

Interview par Jade Albasini

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