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Le reportage

5G, les ondes échauffent Estavayer

Présentée par Swisscom comme l’une des cités porte-étendards de la 5G en Suisse, la bucolique commune fribourgeoise d'Estavayer-le-Lac s’insurge contre l’exploitation abusive de son image et dénonce une publicité mensongère. Plongée dans une agglomération où les ondes électromagnétiques échauffent les esprits.

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Eric Chassot, vice-syndic d'Estavayer et responsable de l’Aménagement du territoire et des constructions de la commune. Julie de Tribolet

«Quand on a vu cette publicité avec une photo de la ville sur quatre pages, on est tombés des nues.» Vice-syndic de la cité staviacoise, Eric Chassot n’a pas de mots assez forts pour fustiger la stratégie marketing plus que cavalière du géant bleu. «Non seulement Swisscom s’approprie l’image d’Estavayer à notre insu, mais il refuse tout dialogue», s’indigne le responsable de l’aménagement du territoire et des constructions de la ville.

En réalité, la bisbille entre la coquette cité touristique broyarde et Swisscom remonte au 17 avril dernier. Ce jour-là, le numéro un des télécommunications annonce avec fracas que le chef-lieu du district (10'000 habitants) fait partie des 102 sites répartis dans 54 localités désormais couverts par son réseau 5G. «Le matin même, le téléphone s’est mis à crépiter à la commune.»

L’arrogance de Swisscom

«Mais face à des citoyens énervés, nous ne savions pas trop quoi répondre puisque, comme eux, le Conseil a appris par la presse l’arrivée de la 5G sur son territoire», explique Eric Chassot, choqué par l’arrogance de l’opérateur.

L’implantation de l’antenne n’ayant pas fait l’objet d’une mise à l’enquête publique, la commune tente alors d’entrer en contact avec Swisscom. «Cela a été difficile. Malgré les numéros prioritaires que nous possédons, il nous a fallu des heures pour pouvoir parler à un responsable. Lequel nous a répondu qu’aucune enquête publique n’avait été nécessaire puisque la société n’avait fait qu’adapter pour la 5G des antennes existantes et ce, dans les limites de rayonnement imposées par la Confédération. Après avoir catégoriquement refusé de mettre les termes de notre discussion par écrit, il nous a renvoyé au lien internet approprié du site de la Confédération.

Manque de transparence chronique

Un manque de transparence et de collaboration qui n’étonne qu’à moitié le conseiller communal. «Il y a environ une année, Swisscom nous a soumis deux nouveaux projets d’antennes, arguant vouloir remédier à la saturation du réseau pendant l’été. Rapport à l’impact sur le paysage que représentaient ces constructions, nous ne sommes finalement pas entrés en matière. A la lumière des derniers événements, on peut présumer qu’il s’agissait vraisemblablement d’implanter des antennes 5G, bien que l’opérateur n’ait jamais évoqué cette possibilité.»

Démunie devant les questions de plus en plus pressantes des citoyens, la commune a donc demandé à l’Etat de Fribourg de se positionner. Contrairement aux cantons de Vaud, de Genève et du Jura, Fribourg n’a ni imposé de moratoire sur le déploiement de la technologie, ni donné de consignes claires à ses communes. «Le dossier étant piloté par la Confédération, tant l’Etat que les communes sont impuissants, pris au piège si l’on peut dire», déplore Eric Chassot.

Silence radio

Face au silence radio de Swisscom, le Conseil communal a finalement demandé un avis de droit, qui devrait lui parvenir incessamment. Quant au coup de pub dont la ville est censée bénéficier, il n’est pas forcément positif pour un bourg médiéval. «On peut comprendre que notre cité soit photogénique, mais on aurait préféré un autre sujet. De plus, on nous fait croire qu’à Estavayer tout le monde profite désormais de la 5G, alors qu’aucun smartphone capable de s’y connecter n’est encore accessible sur le marché et que, vraisemblablement, une seule antenne dessert un territoire de 40 km2. On est à la limite de la publicité mensongère», s’insurge notre interlocuteur, visiblement agacé.


«Les opérateurs sont trop pressés»

Ce qu’en dit l’aumônier du monastère dominicain d’Estavayer.

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Le frère dominicain Bernard Bonvin. Julie de Tribolet

A 86 ans, le Frère Bernard Bonvin se dit passablement ignorant des tenants et des aboutissants inhérents à la 5G. «Je remarque néanmoins que, portés par la culture de la compétition, les opérateurs sont très pressés d’imposer ce système. Trop à mon goût. Mais comme je vois les gens constamment rivés sur leur écran, je me dis que ce sera difficile de le refuser. A mon humble avis, c’est d’ailleurs le public qui nourrit cet appel technologique. Personnellement, j’imposerais deux conditions à ce déploiement. 1: que les antennes ne parasitent pas le paysage si riche de la Suisse et de la Broye en particulier. 2: que l’on applique le principe de précaution dans l’attente de l’avis des experts. Quant à l’utilisation de l’image d’Estavayer par Swisscom, elle est à double tranchant. C’est un bon coup de pub pour la ville, mais lui associer la 5G, comme si elle en était l’emblème, est perfide.»


«Connectés aux objets, plus à la vraie vie»

Ce qu’en dit un jeune père de famille.

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Yves Cornamusaz et sa fille Clémentine, habitants de Bussy, village voisin d'Estavayer. Julie de Tribolet

Yves Cornamusaz est très remonté. L’utilisation de l’image de sa ville irrite au plus haut point ce prof de sport. «Parce que l’exploitation sauvage et hyper-agressive qu’en fait l’opérateur ne colle pas à la vocation de la région. Au-delà de ça, je me demande quel monde nous allons laisser à Clémentine et aux enfants de sa génération. Avec la 5G, nous serons connectés aux objets mais plus à la vraie vie. De plus, nous n’avons aucun recul sur les effets sanitaires de cette technologie dont on ne comprend pas vraiment ce qu’elle va nous apporter. Mais on veut aller tellement vite qu’on ne se pose plus aucune question. A écouter les débats, on voit bien que les politiciens sont débordés ou font le jeu de l’économie qui impose les règles. A l’instar de la plupart de mes amis, le matraquage publicitaire de ces derniers temps, publié pratiquement sous forme éditoriale dans les journaux, me choque.»


«Pour rester à la pointe, notre pays devra s’adapter»

Ce qu’en dit le boss d’Estavayer Lait.

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Ralf Maurer, directeur d'Elsa Mifroma (Estavayer Lait). Julie de Tribolet

Alors que les opérateurs affirment en chœur que la nouvelle technologie sera essentielle, voire capitale pour l’économie, Ralf Maurer, directeur de la plus grande laiterie de Suisse (250'000 tonnes de production en 2018) et plus gros employeur de la Broye avec plus de 600 collaborateurs, ne voit pas, actuellement, l’utilité de la 5G pour son entreprise.
«A ce jour, notre infrastructure informatique repose sur le câble et le wi-fi. L’arrivée de la 5G ne changera rien pour nous. Cela dit, je suis sûr que, au fur et à mesure de son développement, elle offrira de nouvelles opportunités, en matière de connectivité en particulier, pour notre logistique. D’un autre côté, il ne faut pas négliger les inquiétudes que suscite cette nouvelle révolution. On entend beaucoup de choses, mais, à ce stade, il est difficile de se faire une opinion claire. Je constate que tout le monde veut être bien connecté mais que personne ne veut d’antenne dans son jardin. Je pense néanmoins que pour rester à la pointe dans l’économie du futur, notre pays n’aura pas d’autre choix que de s’adapter.»


«Surfer plus vite, pour quels besoins?»

Ce qu’en dit le médecin-chef de médecine interne, responsable du Centre cardio-métabolique.

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Frédéric Tâche, médecin-chef au Service de médecine CTR-hôpital intercantonal de la Broye. Julie de Tribolet

Comme la majorité de ses confrères, le docteur Frédéric Tâche n’a pas encore un avis tranché sur la question. «Avec le manque de recul, impossible de mesurer l’impact de cette technologie sur les personnes. Pour l’instant, je vois, comme tout le monde, que la 5G enflamme les débats. A ce stade, cela m’interpelle comme individu plus que comme médecin. Surfer toujours plus vite, pour quels besoins? Je cherche l’utilité de cette frénésie de technologie. Nous aurons sans doute les réponses lorsque le système sera entièrement opérationnel. D’ici là, je constate également que c’est la première fois qu’une technologie de téléphonie est connotée négativement. Non seulement à cause de ses hypothétiques conséquences sanitaires, mais parce qu’elle est fortement corrélée à la Chine.»


«Ma femme s’inquiète, elle a tort»

Ce qu’en dit un couple résidant au pied de l’antenne 5G.

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Detlef et Josette Zimmer, couple de retraités vivant au pied de l'antenne. Julie de Tribolet

Un pour, une contre. Chez Josette et Detlef Zimmer, qui résident à 50 mètres de l’antenne 4G rectifiée 5G à la fin mars, la proportion entre pro et anti est respectée. «Elle a tort de s’inquiéter. Ce ne sont pas les antennes mais les smartphones collés à l’oreille qui posent problème à cause de leur effet thermique. A part ça, moi, je crois Newton, Einstein et les grands physiciens qui ont suggéré que les ondes électromagnétiques n’avaient pas d’impact sur notre santé», assure Detlef, ingénieur en énergie électrique à la retraite. «Moi, je suis beaucoup plus sceptique. Je ne vois vraiment pas ce que la 5G va m’apporter de plus. Et c’est une couche supplémentaire pour les personnes électrosensibles. Je me demande où s’arrêteront cette fuite en avant et ce matraquage publicitaire que nous subissons», répond Josette.


«Trop cool, mais on s’inquiète quand même»

Ce qu’en disent les ados Enzo, Lucas, Yoanna, Shania, âgés de 14 à 16 ans.

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Les collégiens Lucas (15 ans), Yoanna (14 ans), Shania (16 ans, en bas) et Enzo (14 ans). Julie de Tribolet

Dans cette tranche d’âge, les avis rejoignent pile-poil le sondage que nous avons publié dans notre numéro du 17 avril. A savoir que les 15-25 ans sont majoritairement en faveur de la 5G et même le plus vite possible, selon les ados que nous avons interrogés à Estavayer-le-Lac. «Mais il faudra peut-être limiter sa consommation», argue Enzo, sans trop y croire. «Car j’ai entendu dire que cela dégageait de mauvaises ondes», poursuit Lucas, qui se réjouit malgré tout de pouvoir naviguer plus vite sur la Toile. Un avis que Yoanna, 14 ans, ne partage pas. «Tout ce déploiement se fait au mépris des personnes électrosensibles. Ce n’est pas juste de leur imposer ça. Il faudrait que la 5G puisse être distribuée dans des espaces restreints.» «De toute façon, il y a déjà beaucoup trop d’ondes dans l’atmosphère, alors 5G ou pas, ça ne va pas changer grand-chose», estime Shania, fataliste.


«Nous sommes otages des opérateurs»

Ce qu’en dit le président des Amis de la nature.

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André Chuard, président du groupe des Amis de la nature. Julie de Tribolet

André Chuard préside la section broyarde des Amis de la nature, forte de 139 membres. Dire qu’il ne porte pas sur la 5G un regard aussi tendre qu’Olaf Swantee, le directeur général de Sunrise, qui claironne à tout va que le dernier-né des standards de téléphonie mobile est bon pour l’environnement, relève de l’euphémisme. «On entend que la 5G fait monter la température corporelle des insectes et qu’elle pourrait perturber les satellites utilisés pour prévoir la météo. Malgré cela, malgré les alertes lancées par d’éminents scientifiques concernant les risques sanitaires pour les humains, le principe de précaution n’est pas appliqué. Nous sommes vraiment otages des opérateurs, qui imposent leur technologie sans le moindre égard pour les inquiétudes que celle-ci soulève. Lorsqu’il était question d’installer des éoliennes dans la région, l’aéroport de Payerne s’est opposé sous prétexte qu’elles pouvaient perturber les liaisons aériennes. Il y a deux poids, deux mesures. On voit qui fait la loi dans le pays.»


Par Rappaz Christian publié le 28 mai 2019 - 09:14, modifié 18 janvier 2021 - 21:04