L'arolle de Pramousse, Arolla (VS)
Le pin des Alpes, sa fourrure, son odeur sauvage
Pour admirer les arolles, le plus simple est de monter à Arolla, la petite station au fond du val d’Hérens à laquelle le pin des Alpes a donné son nom. Les aînés se souviennent du sentier muletier qu’il fallait emprunter pour s’y rendre, la route n’étant carrossable que depuis 1948. Les arolles forment, avec les mélèzes, la dernière ceinture forestière d’altitude, poussant entre 1700 et 2300 m. Le Valais et l’Engadine sont les deux régions de Suisse où l’on trouve encore de grandes forêts de Pinus cembra.
L’arolle de Pramousse, que nous choisissons pour la photo, est un arbre isolé. Il se dresse à la proue de ce petit hameau construit sur une hauteur dominant la Borgne, entre Les Haudères et Arolla. Haut d’une douzaine de mètres, vieux de 200 ans, il a grandi sur un sol rocheux, résistant aux intempéries. On dirait tout à la fois le gardien des lieux, veillant sur ces quelques chalets, et l’annonciateur des forêts dans lesquelles on entre un peu plus haut.
Tout au bout de la vallée, le mélèze et l’épicéa dominent largement les massifs forestiers. Mais les arolles sont les arbres emblématiques de ce coin de pays, ceux qu’on ne voit qu’ici, les minoritaires pour lesquels les forestiers ont les plus grands égards. «Nous en faisons peu de coupes et, quand c’est le cas, le bois est mis aux enchères, par souci de transparence et pour que personne ne se sente lésé», explique Frédéric Pralong, le patron du triage d’Evolène, alors que nous quittons le sentier des Marmottes pour entrer à pied dans la forêt.
Au début de mai, au moment de notre visite, la neige au sol cède petit à petit la place aux rhododendrons et aux myrtilles. Les mélèzes n’ont pas encore débourré et, sur leur masse brunâtre, les arolles offrent le contraste de leur feuillage vert foncé. A l’automne, tandis que les premiers tourneront au roux, les seconds garderont leur teinte, constants dans cette mosaïque forestière changeante.
Associé aux paysages âpres de la montagne, l’arolle présente parfois une silhouette fantomatique d’arbre brisé par la neige, la foudre et la tempête, ou la forme tortueuse de celui qui a poussé en un endroit impossible. Mais la plupart d’entre eux ont grandi bien droits sur leur racine en pivot. Ce ne sont pas les plus grands, car ils poussent plutôt dans l’ombre des mélèzes, qui les dépassent d’un bon bout. Ils sont en revanche peu exigeants et très résistants: de -40 à +40°C, aucune température ne leur fait peur. Le casse-noix moucheté, qui apprécie les graines du pin des Alpes, aide à sa reproduction en perdant ou oubliant une partie des réserves qu’il a constituées.
Les arolles sont bien un peu lents. Il leur faut dix ans pour une installation solide et ils ne forment leurs cônes qu’au bout d’un demi-siècle. Mais leur solidité revêt une forme harmonieuse. Ces valaisans ont de la rondeur avec leur couronne bombée. Leurs aiguilles forment des plumeaux doux au toucher et leur bois dégage un parfum capiteux. En 1935, dans la revue du Club alpin suisse, l’auteur zermattois Larry Schnidrig rendait hommage à cette sensualité: «La forêt d’arolles est l’ornement de la montagne, elle en décore le crâne chauve de sa fourrure à l’odeur sauvage.»
Le hêtre de Boncourt (JU)
Dans l’épicentre du réchauffement
A peine est-on entré dans la forêt qu’on les voit au bord du chemin. C’est un groupe de hêtres, serrés comme une famille. Le premier s’est dressé très vertical, il semble le plus vert, le plus vital. Le second pousse en diagonale, cherchant sa place vers la lumière. Le troisième est le plus remarquable. Il s’est divisé dès le départ, ce qui est rare. Ses quatre fûts au tronc lisse s’élèvent en torsade vers le ciel, tandis qu’un tout jeune feuillage à peine débourré tamise la lumière. Jailli d’une même souche et âgé d’environ 120 ans, ce bouquet forme un ensemble magnifique. Les forestiers, d’une génération à l’autre, ont veillé à le préserver pour sa beauté, sa valeur paysagère. Ils entretiennent ses abords comme on soignerait ceux d’un monument.
Les hêtres de la Grande Combe, dans la forêt de Boncourt, ont résisté à l’ouragan Lothar, qui a détruit 2% des arbres suisses à Noël 1999. Mieux encore, ils sont parfaitement sains, ainsi que leur coin de forêt. Ce n’est de loin pas le cas partout dans les domaines sur lesquels Gilbert Goffinet veille avec amour. Espèce principale des forêts originelles, tout au long de l’Arc jurassien, le hêtre est particulièrement répandu en Ajoie: un arbre sur trois. Comme il peut se reproduire sans trop de lumière, il a longtemps eu tendance à prendre le dessus sur les autres espèces, explique le garde forestier. Mais aujourd’hui, il est victime d’un double phénomène. D’abord du déficit hydrique que l’on constate depuis une dizaine d’années: il y a eu des jours à 40°C, ce que le hêtre ne supporte pas. Puis des ravageurs, qui s’attaquent aux troncs affaiblis: le bostryche tue un arbre en trois semaines. Alors le «Fagus sylvatica» sèche, ses branches tombent. Pour ajouter à sa fragilité, il a l’écorce fine. Celle-ci se couvre de taches noires avant de partir en lambeaux. Vus d’avion, des pans entiers de la forêt semblent avoir brûlé sur pied.
En 2018, les autorités jurassiennes ont crié à la «catastrophe forestière». En Ajoie, un quart des arbres sont touchés. Les vieux hêtres, entre 80 et 120 ans, sont les principales victimes. Les pins souffrent aussi, à 450 m d’altitude, et les champignons se font rares. «Le mal que nous redoutions pour dans cinquante ans est déjà fait, explique notre guide. Nous sommes dans l’épicentre du réchauffement climatique.»
Alors? On favorise les autres espèces, le chêne, le frêne, l’érable. On plante des noyers, des tilleuls. Pour le hêtre, on ne peut pas faire grandchose. Voir que des peuplements entiers que l’on exploite depuis des années sont terrassés, cela fait mal. «Certains forestiers en perdent le sommeil», constate Gilbert Goffinet, qui a été mécanicien sur auto, dans une autre vie, avant de céder à l’appel sylvestre. Lui-même nous assure qu’il dort bien, grâce à sa nature optimiste: «Il faut maintenant attendre pour voir comment vont se comporter les jeunes hêtres, s’ils s’habituent ou non aux nouvelles conditions. Le sous-bois est vert, ce qui me fait dire que la nature va réagir et qu’on aura toujours de la forêt. Nous devons la reconstruire pour les générations futures.»
Référence. Accès à la carte interactive des arbres remarquables du Jura: www.jura.ch/arbres_remarquables
Le chêne du campus de l'Université de Lausanne (VD)
L’arbre qui a vu passer Bonaparte
De ses 30 mètres, le chêne de Napoléon domine la plaine de verdure qui s’étend au cœur de l’Université de Lausanne, entre le lac et la bibliothèque de Dorigny. En cette fin d’avril, ses feuilles lobées, si jeunes et si vertes encore, scintillent dans le ciel, comme des milliers de points de lumière formant un globe allongé. Le feuillage en développement ne dissimule pas encore la puissante et complexe ramure, un monde en soi. La plus basse des 26 branches s’incline presque jusqu’au sol, comme si elle voulait offrir au passant un lift vers les hauts étages de sa couronne. Il a été planté, dit la légende, pour commémorer le passage de Bonaparte et de deux divisions, le 12 mai 1800.
Premier consul depuis six mois, le général marchait de Genève vers le Grand-Saint-Bernard et la deuxième campagne d’Italie. Le domaine de Dorigny, maison de maître et dépendances, appartenait alors à Etienne de Loys, un patricien lausannois sans doute acquis aux idées nouvelles. On dit «chêne de Napoléon», mais c’est «chêne de Bonaparte» qu’il faudrait dire: durant les folles années de la République helvétique, l’homme que l’on acclamait sur son passage était encore le porteur des idéaux de la Révolution française, le libérateur.
Mais un arbre légendaire ne croît pas impunément sur un territoire conquis par les chercheurs de l’Unil… L’étude de dendrochronologie menée en 2013 montre que, le 22 floréal de l’an VIII, ce Quercus robur avait déjà 22 ans. Il est donc peu probable qu’il ait été planté à ce moment-là, d’autant plus que les cernes de sa croissance n’indiquent aucun accident de parcours. La gloire de notre pédonculé s’en remettra très rapidement: une opération scientifique pluridisciplinaire de grande ampleur, coordonnée par Philippe Reymond, va projeter dans une actualité sensationnelle ce symbole de force et d’endurance. Ce professeur de biologie végétale, qui passait sous l’arbre depuis le temps de ses études, parvient en effet à concrétiser un vieux rêve: séquencer le génome du chêne. On prélève pour ce faire des échantillons de feuilles à ses deux extrémités, à 40 mètres d’écart.
Présentés en 2017, les résultats de l’étude concluent que cet arbre séculaire a subi au cours de sa vie très peu de mutations génétiques, jusqu’à cent fois moins qu’attendu. Tout le contraire, autrement dit, de ce qu’on pensait jusqu’alors des arbres vénérables, en raison de leur longévité. «Oui, notre conclusion est toujours valable, se réjouit quatre ans plus tard le professeur. Elle a été vérifiée ailleurs sur d’autres espèces. Alors qu’il y a un risque d’erreur de copie de l’ADN à chaque division cellulaire, l’arbre protège admirablement son génome contre les mutations potentiellement néfastes. Il parvient à distinguer ses cellules reproductrices des autres, mettant en quelque sorte les premières en réserve. Cela confirme que la protection de la génération suivante est le principe qui gouverne la nature.» Le chêne qui a vu passer Bonaparte devrait voir défiler encore des générations et des générations d’étudiants. En plein milieu d’une croissance constante, il a plusieurs siècles devant lui.
Références. – Le projet de génomique autour du chêne de l’Unil: napoleome.ch – La carte des arbres remarquables de la Société vaudoise de sylviculture (en cours d’actualisation): www.sylviculture.ch/fr-ch/foret/carte_arbres.html
Le tilleul de la Chapelle des marches, Broc (FR)
Gardien du temple
C'est l’arbre convivial par excellence. On en a tant planté sur les places de village et devant les églises. Sous le tilleul, dans son parfum, on se rassemble, on parle, on danse. Celui de la chapelle des Marches, près de Broc, ne contrevient pas à la règle. Haut de 30 mètres, il attend les fidèles sur le parvis. Les grands jours, comme pour le pèlerinage des malades, il protège de son ombre ceux qui n’ont pas pu trouver place dans la petite église. Des hautparleurs sont accrochés à l’enclos qui le protège.
De loin, ce «Tilia platyphyllos» (à grandes feuilles) présente un ovale parfait. De près, c’est son tronc qui retient l’attention. Massif, il se divise rapidement en un puissant candélabre aux branches parfaitement verticales. Le Service des forêts et de la nature, qui l’a retenu avec une cinquantaine d’autres parmi les arbres spectaculaires du canton de Fribourg, l’a surnommé Le Gardien.
Il doit avoir été planté au début du XVIIIe siècle, lors des travaux qui ont donné à la chapelle son aspect d’aujourd’hui. L’arbre a été respecté par les aménagements successifs du site, qui de modeste lieu de dévotion est devenu un but de pèlerinage attirant les foules.
Marches vient du patois «maortsé», qui veut dire «marais». Le sanctuaire est construit au pied de la Dent-de-Broc, sur un replat dans la pente. La tradition religieuse remonte-t-elle aux Celtes, qui situaient dans les tourbières les passages avec le monde des trépassés? C’est en tout cas «un haut lieu emblématique de la Gruyère, illustrant la relation avec l’espace et le sacré», relève François Rime, enseignant d’histoire-géo, qui a signé avec son frère, le prêtre Jacques Rime, un ouvrage sur le «petit Lourdes fribourgeois».
A la suite de la guérison miraculeuse de la jeune Léonide Andrey, en 1884, le sanctuaire trouve sa place parmi les pèlerinages mariaux européens. Il devient l’un des lieux d’expression politique de la «République chrétienne» naissante en terre fribourgeoise.
«Notre-Dame des Marches, merci de faire en sorte que mon fils passe ses examens», lit-on dans le livre d’intentions ouvert dans la chapelle. Ou: «Merci de m’aider à prendre les bonnes décisions.» Aujourd’hui pourtant, plutôt que de s’adresser à Dieu ou à ses saints, certains préfèrent aller chercher du réconfort auprès des arbres, déposer leurs soucis à leur pied, attribuant aux feuillus ou aux résineux des qualités d’écoute et de compassion.
Ces nouveaux croyants ne heurtent pas notre historien catholique de la chapelle des Marches. «Ils créent leur petit culte personnel, leur syncrétisme avec les éléments qui leur plaisent. C’est bien dans l’air du temps et cela correspond aussi à une forme de retour à la nature. Si l’Eglise a perdu des fidèles, c’est sans doute que ses réponses étaient trop théologiques, trop hiérarchiques.»
Il fait frisquet ce jour-là sous le tilleul et la pluie menace. Et si les haut-parleurs sortaient tout à coup de leur silence et se mettaient à diffuser à plein tube Nouthra Dona di Maortsè, l’émouvante prière chorale composée dans les années 1920 par l’abbé Bovet? Ce serait un autre frisson, que dis-je, un miracle.
Références. – Carte interactive des arbres spectaculaires du canton de Fribourg: www.fr.ch/energie-agriculture-et-environnement/forets/ arbres-spectaculaires-du-canton-de-fribourg – «Nouthra Dona di Maortsè», de Joseph Bovet, interprété par L’Accroche-Chœur, ensemble vocal de Fribourg: www.youtube.com/watch?v=I2bFTFpBc7I
Le cèdre de la route de Frontenex, Genève
Seul face au bitume
Il se situe en face du numéro 53, route de Frontenex, vous ne pouvez pas le rater!» On le voit de loin, en effet, en montant cette artère passante de la rive gauche de Genève. C’est un cèdre du Liban, qui semble jaillir du bitume. Il s’élève, massif, plus haut que les immeubles qui l’entourent et jetant ses branches dans le ciel, par-dessus la rue.
On l’imagine tout petit, ce jour de l’été 1820 où Jean-Edouard Naville l’a planté dans son vaste domaine de Montchoisy, aux Eaux-Vives, pour marquer la naissance de son fils Emile. Les grandes familles genevoises de l’époque se passionnent pour la botanique et rivalisent d’exotisme pour orner leurs campagnes d’espèces prestigieuses. Selon une mode lancée par les Anglais, les parcs européens voient apparaître, dès le XVIIIe siècle, catalpas, séquoias, tulipiers ou micocouliers. Le cèdre du Liban est particulièrement prisé: résistant, il pousse bien et offre rapidement un bel effet ornemental. N’est-il pas du bois dont on a construit le temple de Salomon?
Le Cedrus libani de la route de Frontenex n’est pas le plus vieux de Genève. Mais ce spécimen remarquable est particulièrement touchant, comme le souligne Roger Beer, ancien chef du secteur des forêts et des arbres isolés du canton de Genève, qui vient de prendre sa retraite. Deux cents ans après sa plantation, son environnement a changé du tout au tout. Les Naville ne sont plus maires des Eaux-Vives. Depuis longtemps leur domaine a été morcelé, la maison de maître démolie, les terrains lotis, cédant la place à de nouveaux quartiers. Notre géant est cerné par des édifices, coincé entre la rue et le trottoir. Pourtant, les cèdres ont besoin d’espace, on dit que leur chevelu racinaire occupe autant de volume en sous-sol que dans l’air. «Cet arbre est un gardien, un emblème de résistance à l’urbanisation», résume Roger Beer avec admiration.
Au pied de l’arbre, le passage est un peu élargi. Il y a même un banc, qui attend le promeneur dans ce minuscule square. Le cèdre s’élève à une trentaine de mètres. Il a fait l’objet d’élagages sanitaires, été travaillé ici et là pour alléger sa couronne, augmenter sa résistance au vent. En levant le nez vers son sommet, on voit que des haubans soutiennent l’une ou l’autre de ses branches. Il croît de 2 cm par an. La ville de Genève, qui en est propriétaire, veille à sa stabilité, à ce qu’il n’ait pas soif.
Le puissant tronc se divise, c’est le propre des cèdres du Liban, en formant un puissant candélabre qui produit à son tour une ramure tabulaire, majestueuse et protectrice. Au XIXe siècle, le Mont-Ventoux a été repeuplé de cèdres, rappelle Roger Beer, qui verrait bien cette espèce remplacer un jour le long du Jura les hêtres et les épicéas épuisés par le réchauffement climatique. Notre cèdre, au 53 de la route de Frontenex, ne vivra peut-être pas les mille ans qu’atteignent ses congénères des réserves forestières libanaises. «Mais avec la force qu’il a démontrée pour s’imposer, en particulier ces soixante dernières années, qui ont dû être les plus difficiles de son existence, il est bien parti pour durer!»
Références. Carte interactive des arbres remarquables du canton de Genève: https://ge.ch/tericasaisie – A lire: «Des arbres remarquables. 41 histoires enracinées à Genève», textes de Roger Beer, photos de Thierry Parel, Ed. Large Network, 2017 (nouvelle édition en préparation)
Le sapin blanc de Couvet (NE)
Le seigneur de la forêt jardinée
Le «président» de Couvet a fait les gros titres des journaux au début de cette année. La commune de Val-de-Travers, son propriétaire, avait proclamé «plus grand de Suisse» ce sapin de 58 mètres. Mais une douche glacée n’avait pas tardé à refroidir l’exaltation neuchâteloise: un concurrent argovien revendiquait le titre. La supériorité de l’arbre alémanique, avec ses 62 m, est incontestable. Mais c’est un sapin de Douglas, importé d’Amérique du Nord au XIXe siècle. Son rival de Couvet, un sapin blanc, reste donc, l’honneur est sauf, le plus grand arbre indigène du pays.
Cette rivalité n’enlève rien à la majesté de notre Abies alba. Au milieu de la belle forêt jardinée qui l’entoure, à 750 m d’altitude, le voici qui dresse loin dans le ciel son interminable fût, quasiment lisse, d’une régularité parfaite. Il faut renverser la tête à fond pour le voir déployer sa couronne, tout là-haut. «Il est un peu hirsute, on remarque qu’il a un certain âge», commente Claude-André Montandon, qui garde les bois communaux depuis près d’un quart de siècle. Un puissant empattement montre la solidité de son ancrage dans le sol. L’arbre date de 1744, une estimation basée sur l’un de ses voisins abattu en 1964. De mémoire de forestier, on ne se souvient pas à Couvet d’un autre président que celui-ci.
Les présidents animent une tradition jurassienne qui semble remonter à la fin du XIXe siècle, de part et d’autre de la frontière franco-suisse. C’est le plus grand arbre de la forêt, souvent un sapin, parfois un épicéa. Les investitures sont autant d’occasions de démontrer du respect pour ces arbres patrimoniaux, à coups de joyeuses verrées sous la futaie. Des histoires de présidents, il n’en manque pas. Comme celui du village vaudois de Baulmes, à 18 km à vol d’oiseau de là. Sauvé de l’abattage par une mobilisation des habitants, il avait fini, victime de sa notoriété, par mourir de sécheresse après que des inconnus l’eurent vandalisé à la tronçonneuse. Le président de Couvet, lui, semble éternel et croît de 15 cm par an. Claude-André Montandon espère bien le voir atteindre 60 mètres. Pour sa longévité, vu tout ce qu’il a traversé durant presque trois cents ans, elle pourrait s’étendre d’un siècle encore. En cas de besoin, un vice-président se tient à disposition, à deux pas.
La grande fierté du Val-de-Travers est la forêt jardinée, dont la région a été pionnière, grâce à Henry Biolley (1858-1939). Loin des coupes rases, aujourd’hui interdites en Suisse, ou des éclaircies plus ou moins musclées, cette forme d’exploitation est un art du détail, qui soigne l’équilibre des espèces et la présence en famille d’arbres de tout âge, des bicentenaires aux jeunes pousses. On ne plante rien.
Certains arbres sont définis comme centraux, comme accompagnants. Voyez ce hêtre, son rôle est de faire de l’ombre au sapin pour l’empêcher de développer des branches trop tôt. Le martelage, qui consiste à désigner les arbres à abattre pour préserver une telle harmonie, est, à en croire notre guide, «la plus belle activité du sylviculteur. Dans la forêt jardinée, on ne voit pas que les forestiers ont passé.»