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Tour de Romandie

A la poursuite du cycliste prodige Marc Hirschi

Présent cette semaine au Tour de Romandie, l’étonnant coureur bernois Marc Hirschi vient de stupéfier le monde du cyclisme avec une série d’échappées et de victoires lors de grandes courses. Descendu de son vélo, le sportif de 22 ans demeure impassible même si tout s’agite autour de lui.

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Marc Hirschi

Marc Hirschi n’oubliera pas la neuvième étape du Tour de France 2020. Ce jour-là, entre Pau et Laruns, il s’élance au deuxième des cinq cols, roule 75 kilomètres en échappée solitaire et manque la victoire d’étape de quelques centimètres.

imago sport

Une échappée solitaire de 75 kilomètres. Ce 6 septembre 2020, Marc Hirschi n’est rejoint qu’à 2 kilomètres de l’arrivée. Il n’est battu qu’au sprint, de quelques centimètres, pour finir troisième. Il épate alors tous les amoureux de cyclisme. Si ce haut fait restera son souvenir le plus marquant de l’année, c’est surtout en raison de la manière dont il a tenu tête au peloton: «J’ai reçu davantage de félicitations à la fin de cette journée que pour n’importe quelle course que j’ai remportée.» Avec lui, la Suisse possède de nouveau un coureur qui retient l’attention du monde du cyclisme. Il y a un an déjà, les commentateurs n’en doutaient guère, car Hirschi avait brillé à plusieurs reprises dans diverses compétitions de jeunes. Mais les exploits réussis en une année par le Bernois équivalent à la carrière entière de beaucoup d’autres coureurs.

L’hiver dernier, une hanche l’a fait souffrir. Quand le covid a mis un terme précoce à la saison, il a résolu de jouer la prudence et a renoncé à se faire opérer. Il est parvenu à juguler ses douleurs et, au début de la nouvelle saison, il était au mieux de sa forme. Il a ainsi remporté une étape du Tour de France et la Flèche wallonne. A décroché le bronze des Mondiaux et la deuxième place de Liège-Bastogne-Liège. En janvier 2021, il a quitté le team Sunweb pour rejoindre UAE Emirates malgré un contrat en cours, événement rare dans le cyclisme actuel. Le transfert a provoqué des remous. En France, le quotidien sportif L’Equipe suppose que son salaire a passé de 70 000 euros par an à 1 million. Pour sa part, le journal néerlandais Algemeen Dagblad se fait l’écho d’une fuite dans l’entourage de son ancien team. Certains membres du staff considéraient que Marc Hirschi représentait un «danger pour la réputation de l’équipe», en raison de sa réticence à communiquer «les informations demandées par les responsables». Toutes les personnes concernées gardent cependant un silence absolu, ainsi que leur contrat les y oblige. L’année 2020 a été vraiment agitée pour le sportif de 22 ans.

Marc Hirschi

«Je suis heureux d'offrir du spectacle, même si les résultats demeurent au premier plan», explique Marc Hirschi.

Flavio Leone

Marc Hirschi a passé son enfance à Ittigen, dans la banlieue de Berne, comme son modèle et manager actuel, Fabian Cancellara. Son père, Heinz, est un cycliste passionné et Marc intègre le club cycliste de Berne. Son père contrôle régulièrement son pouls, il encourage son fils à tenir un journal de ses entraînements et lui apprend à observer le comportement de ses coéquipiers et adversaires pendant les compétitions. Une vive intelligence donne à Marc Hirschi un instinct de la course qui est un de ses principaux atouts.

Père et fils suivent le Tour de Suisse et le Tour de France. Avant les coureurs, ils testent les cols fermés à la circulation. Marc laisse déjà de nombreux cyclistes amateurs à respectable distance. Les jours d’épreuve, il encourage les pros.

Si le jeune sportif recourt à tous les gadgets qui l’aident à mesurer ses performances, ce n’est pas parce qu’il éprouve une passion pour la technologie, mais simplement pour s’améliorer. «Auparavant, je n’arrivais pas à classer mentalement les événements par ordre d’importance. Je me demandais ce qui était bénéfique et ce qui ne l’était pas. Aujourd’hui, je sais ce qui est bon pour moi.» Il fonctionne aussi au feeling. Apprécie que les responsables, en majorité italiens, de UAE tiennent les brides de manière plus lâche que les cadres de Sunweb. Au sein de l’équipe, un coach est la personne de référence à laquelle il peut s’adresser. Il s’exerce selon la planification prévue et reçoit tous les jours les résultats de l’entraînement. «Pourtant, lorsque tout va bien, je prends un peu de liberté.» Quand il s’est fait porter pâle pendant une semaine, il n’a essuyé aucun reproche.

Marc Hirschi

Il a fallu un peu de temps pour que Marc Hirschi digère l’intense saison 2020. Après trois semaines de pause, il a enchaîné les camps d’entraînement. «Je suis heureux d’avoir réalisé de nombreuses découvertes. Je n’ai jamais ressenti une impression de vide.»

Flavio Leone

Cette attitude lui a valu le surnom de «bad boy» de la part de Cancellara, dans le meilleur sens du terme. Marc Hirschi n’aime pas s’épancher sur les courses. Il ne s’intéresse au parcours que dans la mesure où sa préparation l’exige. De nombreuses années d’entraînement lui ont appris que les activités physiques ne sont pas seules à coûter de l’énergie et que les interminables cogitations épuisent aussi. «Si je pense trop longuement à une course, je deviens stressé. C’est contre-productif, explique-t-il. Ma force mentale s’intensifie naturellement dès que je me retrouve en mode compétition.» Il préfère être le plus détendu possible avant la course et prêt à l’instant du départ. Cette technique a montré son efficacité au cours de ses jeunes années, jusqu’à être sacré champion du monde des moins de 23 ans, en 2018.

Marc Hirschi peut compter sur son entourage. Il se repose sur un petit cercle d’amis fidèles. Avant tout d’autres coureurs de sa région, tels que Joel Suter, Joab Schneiter, Cédric Jolidon et Manuel Zobrist. Le portable est, avec le vélo, son instrument le plus précieux, «simplement parce que je téléphone énormément chaque jour, avec mes potes ou mon amie».

Si Marc Hirschi est sûr de lui et terriblement efficace pendant les compétitions, il est volontiers rêveur à ses heures de loisir. Il aime flâner sur les bords de l’Aar et se passionne pour d’autres sports. En football, il soutient avant tout les Young Boys et Paris SG. En hockey, il est fan de Berne et suit de temps à autre une course de F1 ou une compétition de ski. Il ne voit pas l’intérêt d’étoffer son profil sur les réseaux sociaux; il possède simplement un compte sur les deux plateformes les plus importantes. S’il n’était pas professionnel, il pourrait parfaitement s’en passer.

Marc Hirschi

Marc Hirschi dans l’ancien bâtiment de Swisscom, à Ostermundigen (BE). Il a passé son enfance à quelques kilomètres de là, à Ittigen, comme son modèle et manager actuel, Fabian Cancellara.

Flavio Leone

Sur Instagram, Marc Hirschi recense près de 90 000 abonnés. Ses admirateurs attendent des prouesses de leur champion cette année. Hirschi est aussi assoiffé de victoires, même s’il essaie de calmer cette euphorie. Il n’est pas encore parvenu à sa maturité sportive et n’aimerait pas que son évolution à long terme soit compromise par la recherche de résultats immédiats. Il ne veut pas être en forme uniquement pour certaines courses, mais veut s’assurer de nombreuses années de succès.

Sur tous les autres aspects, le silence est de rigueur. Il peut néanmoins parler de ses sentiments lorsqu’il s’est retrouvé au cœur des spéculations. Il savait que le changement d’équipe alimenterait les discussions. Il s’est préparé aux conséquences avec son coach mental. «J’étais conscient de ce qui m’attendait.» Aussi a-t-il évoqué le sujet avec Fabian Cancellara: «Il m’a dit que cela faisait partie du job et que je devrais à apprendre à vivre avec, tôt ou tard.»

Pour Marc Hirschi, la situation des droits humains au Qatar ou le passé de Mauro Gianetti, CEO de sa nouvelle équipe, souvent associé à des affaires de dopage, ne sont pas un sujet. «L’aspect sportif est primordial et je pense que UAE est la meilleure équipe pour progresser. Je n’ai aucun reproche à m’adresser.»

Lors du Tour de France 2021, il souhaite servir Tadej Pogacar, qui l’a gagné l’an dernier. Ses ambitions sont les classiques des Ardennes ainsi que les épreuves sur route aux Jeux de Tokyo. Même si les résultats demeurent au premier plan, il ne rechignera pas à offrir un peu de spectacle. «Les deux aspects sont indissociables», reconnaît-il. Comme ce 6 septembre 2020, quand il en a mis plein la vue aux fans de cyclisme.


La grenade Hirschi

L'éditorial de Marc David.

Ce qu’il y a de fort en amour ou quand un champion sportif émerge, c’est l’inconnu, le vaste terrain vierge devant soi. Confusément, on saisit que quelque chose va se passer et qu’on se situe au début d’un récit où bourgeonne l’épique, l’exceptionnel. Se souvient-on du premier bouquet de Hinault, du premier champagne sabré par Schumacher? Marc Hirschi, Bernois au talent fulgurant et présent cette semaine au Tour de Romandie, est dans ce moment-là. Avec le vainqueur Pogacar, il est la révélation du dernier Tour de France.

Or, même si les experts se pâment devant ses démarrages, l’orage menace. Il parle peu et il dérange déjà. A l’intersaison, son empressement à rejoindre l’équipe émiratie n’a pas été compris. Ses échappées à la Koblet, peigne dans la poche en moins, ne séduisent plus automatiquement: cyclisme rime encore avec scepticisme et la présence dans son staff d’un coach sulfureux perturbe. Tout est réuni pour les cris et les chuchotements, les pelotons de pour et de contre. La grenade est dégoupillée.


 

Par Eva Breitenstein publié le 29 avril 2021 - 15:44