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La belle histoire

A l'hôpital, la fille en blouse blanche et la mère en blouse bleue

Etudiante en 4e année de médecine à Genève, Rafaela Rodrigues Augusto, 24 ans, ne s’attendait pas, lors de son stage de médecine interne, à croiser sa propre mère, femme de ménage à l’Hôpital de La Tour, à Meyrin. Elle en a tiré une belle leçon, partagée sur les réseaux.

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médecin femme de ménage

En stage de médecine interne à l’Hôpital de La Tour, à Meyrin, Rafaela Rodrigues Augusto (à dr.), future praticienne, croise sa mère Anabela (à g.), femme de ménage, dans les couloirs. Télescopage de deux réalités complémentaires du monde hospitalier.

DR

Tout part d’un post bien senti, publié à la mi-décembre sur LinkedIn par Rafaela Rodrigues Augusto, étudiante en 4e année de médecine à l’Université de Genève. Un texte sincère et délicat dans lequel cette jeune femme de 24 ans témoigne d’un épisode touchant, vécu à l’Hôpital de La Tour.

Effectuant un stage de médecine interne dans cet établissement privé à Meyrin, la future doctoresse s’est retrouvée fortuitement spectatrice de sa propre mère, affairée à nettoyer. «S’il ne s’agissait pas de ma mère, je n’aurais peut-être pas remarqué la dame du nettoyage», écrit-elle avant de la remercier. «Aujourd’hui, j’ai pu apprécier son travail, si différent du mien et pourtant tout aussi important. […] Je lui suis reconnaissante de savoir d’où je viens et de donner du sens à ses sacrifices.»

Un texte posté sur LinkedIn et Instagram qui, entre autres mérites, valorise les invisibles du monde hospitalier. Réactions positives et témoignages affluent.

L’hôpital, on l’oublie parfois, est une ruche. Il faut du monde pour laver le linge, récurer chambres, couloirs et bureaux. «Avec un groupe d’internes, raconte Rafaela Rodrigues Augusto, nous étions dans le corridor en préconsultation. Le professeur nous parlait du patient à venir. Il nous interrogeait quand j’ai entendu un bruit derrière moi… Je me suis retournée et j’ai vu ma mère en train de nettoyer. Le décalage était frappant.»

Anabela, 47 ans, la maman, a été surprise. «J’ai ressenti de la fierté pour ma fille et, en même temps, je me suis sentie un peu honteuse, parce que je ne suis qu’une femme de ménage.» Depuis trois ans, elle est employée par l’Hôpital de La Tour. «Un travail honnête, mais qui ne me comble pas. Je n’ai pas eu la chance de pouvoir poursuivre mes études au Portugal. Très vite, j’ai dû travailler. Je me suis mariée à 20 ans, et voilà!» La formation d’aide-soignante l’attire. Elle espère une reconversion.

«En ce moment, reprend sa fille, on côtoie les mêmes patients. Son point de vue est enrichissant. Nous aimons toutes les deux le contact humain. Ma mère cherche à interagir et les patients sont souvent ravis de discuter avec elle. Ils se livrent. Elle m’a appris des choses sur des patients dont je pensais tout connaître.»

Pour la maman de Rafaela, soignants et femmes de ménage se complètent. «Leur travail dépend aussi du mien, souligne-t-elle. S’il n’y a personne pour désinfecter les chambres, tout le monde tombe malade!»

Fille unique, née à Viseu au centre du Portugal en 1997, Rafaela Rodrigues Augusto y a vécu jusqu’à l’âge de 5 ans avant de rejoindre la Suisse avec ses parents. Deux de ses grands-parents les y avaient précédés. La jeune femme se souvient que, lorsqu’elle était petite, son père Luis travaillait dur. «Je le voyais si peu que je confondais le jardinier de l’immeuble avec lui!» Elle éclate de rire. Electricien de formation, son papa a intégré en Suisse une entreprise de préfabrication dans la construction civile où il a gravi les échelons un à un.

Peu à peu, le Portugal est devenu pour Rafaela le pays des vacances. Les racines? Ça compte bien sûr – elle a conservé sa nationalité portugaise –, mais sa vie est à Genève. «Je suis une Genevoise portugaise», sourit-elle. A l’été 2022, elle devrait effectuer un stage de chirurgie à Lisbonne. «Ce sera ma première expérience professionnelle là-bas.»

Sa vocation médicale, elle la relie à son statut de fille unique. «Petite, j’étais celle qui faisait du bruit en classe, j’étais sociable et très extravertie. J’aimais me sentir entourée, aider les autres.» Sa mère confirme: «Elle a bon cœur et s’est toujours montrée très déterminée. Je prie Dieu pour que cela ne change pas.»

Rafaela Rodrigues Augusto a le goût d’apprendre. «Mes parents n’ont jamais eu à me courir après pour que je fasse mes devoirs.» Au sortir de l’adolescence, elle hésite entre l’enseignement et la médecine. «Comme beaucoup d’ados, j’ai été influencée par les séries télé comme «Grey’s Anatomy», avoue-t-elle. La médecine me garantissait une activité la moins répétitive possible, mais la première année est si sélective que je n’étais pas certaine d’y arriver. L’école d’ambulanciers aurait été une alternative.»

Elle fera médecine. Sans accroc, même si la pandémie de Covid-19 l’a contrainte, dès le milieu de sa 2e année, à étudier en ligne plus que prévu. «J’aurais aimé pratiquer davantage», reconnaît-elle. Elle s’est adaptée. «C’est une question d’organisation. En dehors des études, je donne aussi des cours de «pole dance» et je fais partie d’une association de samaritains comme secouriste. Je fais plein de choses. Entre la vaccination et les frottis pour les tests PCR, je pense avoir doublé ma charge de travail avec la pandémie, mais je l’ai vu comme une opportunité.»

Le covid, elle l’a aussi éprouvé dans sa chair. Contaminée en mars 2020, elle dit avoir souffert «de pertes de mémoire durant des mois» avant de pouvoir se faire enfin vacciner. Le choix de la raison, estime-t-elle. «Aujourd’hui, ça va mieux, mais ce n’est pas encore ce que c’était.»

A propos, saviez-vous que le Portugal est le pays qui présente le plus haut taux de vaccination du monde avec 98% des plus de 25 ans vaccinés deux fois (données de novembre 2021, ndlr)? Sur ce plan-là, la Suisse ne peut que s’incliner.

Par Blaise Calame publié le 13 janvier 2022 - 08:26