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Alimentation

Que mangerons-nous demain? L’EPFL se met à table

A l’EPFL se dessinent les contours de l’alimentation du futur: saine et durable. Aux commandes, un homme, Bruno Rossignol, qui a cuisiné à l’Elysée, à Paris, au Lausanne Palace et pour les triathlètes suisses aux JO. Objectif: que d’ici à 2030 tout soit estampillé local, et exit le plastique jetable.

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Bruno Rossignol, chef du service restauration de l'EPFL

Bruno Rossignol, le cuisinier explorateur. Né à Paris, c’est en Suisse que Bruno Rossignol s’est formé: au Beaulac, à Neuchâtel. Puis il a passé par les cuisines de l’Elysée à Paris, le Lausanne Palace et le Liban, avant de se lancer dans une approche plus scientifique de la cuisine. Ces expériences très diverses ont fait de lui l’homme qui explore aujourd’hui notre alimentation de demain à l’EPFL.

Claudia Link

L'œil vif et le verbe clair, Bruno Rossignol, 48 ans, est un cuisinier au parcours unique. Voyageur, créatif, entreprenant, le chef du service restauration et commerces de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a une (bonne) idée à la minute. En ce moment, malgré le covid, il bouleverse les habitudes et lance la stratégie 20-30, un concept de restauration futuriste du campus: frais, sain, local, durable, avec un fort accent végétarien. Le tout sur boutiques-restaurants automatisés et ouverts 24 heures sur 24, livraisons à trottinette électrique, restaurants au concept culinaire hyper-pointu. Rencontre avec l’homme qui explore l’alimentation de demain.

- Spontanément, on n’associe pas l’EPFL et la nourriture. Pourquoi ce projet d’alimentation futuriste à cet endroit?
- Bruno Rossignol: L’alimentation à l’EPFL représente 30 millions de chiffre d’affaires par an, 34 restaurants sur quatre sites, des distributeurs automatiques, des food trucks et même 7 hectares de champs cultivés. Le tout pour près de 16 000 usagers. C’est un monde à part entière, qui mérite plus que jamais notre attention. Pour répondre aux engagements de la Confédération visant à réduire l’empreinte carbone de la Suisse. Pour nourrir les cerveaux de nos étudiants. Et, tout simplement, pour correspondre aux attentes des clients d’aujourd’hui et de demain.

- Et que demandent les utilisateurs de demain?
- Ils attendent un vrai virage. Les observations et l’étude entreprise ces deux dernières années l’ont montré, la nouvelle génération ne veut plus se nourrir comme nous l’avons fait. Elle demande du frais, du sain, du local, du durable et aussi du végétarien.

- Concrètement, quelles sont les étapes de votre projet?
- Dans l’immédiat, il y a l’ouverture des nouveaux restaurants du campus, à 50% végétariens. Tous le sont d’ailleurs déjà un jour par semaine. Puis il y aura deux boutiques-restaurants ouverts 24 heures sur 24, entièrement automatisés, comme ceux qu’avaient découverts les visiteurs d’Expo Milano. En parallèle, nous mettons en place une gestion optimisée des fournitures, de l’équilibre des repas, de leurs prix et même des déchets.

- Cela ne va-t-il pas prendre des années?
- Comme son nom l’indique, la stratégie 20-30 nous laisse dix ans. Mais 2030, c’est demain! Et les choses évoluent vite. Au 31 décembre de cette année, il n’y aura déjà plus d’emballages en plastique sur le site. Ils seront remplacés par de la vaisselle recyclable en consignation. Dans les assiettes, le recours à un maximum de produits de proximité sera imposé. Dans la mesure du possible, même les sodas seront suisses!

- Confinement oblige, les étudiants ont pris des habitudes. Ne vont-ils pas continuer à se faire livrer de l’extérieur?
- Chacun reste libre d’apporter ou de se faire livrer ce qu’il veut. Mais pour valoriser la diversité et la qualité de l’offre en place sur le site, nous mettons en place un service Eat-EPFL: un système de livraison à trottinette électrique, rapide, accessible et écologique, qui fait partie intégrante de notre concept. Il inclut le rachat par l’EPFL de tout le matériel de cuisine des restaurants existants. Un investissement colossal, qui soulage les restaurateurs et rend possible des prix de menus attractifs (de 5 fr. 50 à 7 fr. 50).

Voiturette électrique de La Poste

Projet pilote: ces voiturettes électriques jaunes de La Poste ne livrent pas le courrier, mais les repas que les destinataires libèrent à l’aide d’un code.

Alain Herzog/EPFL

- Vous avez aussi fait appel à Marie Robert, la cheffe du Café Suisse, à Bex. Pourquoi?
- Les chefs répertoriés dans les guides incarnent la cuisine de l’avenir. Or nous voulons justement explorer et dessiner ici le futur de la restauration collective. Marie Robert aura un œil sur les ouvertures de restos et sur la formation des cuisiniers, tout en nous offrant un regard extérieur, à la fois créatif et attaché au terroir.

- Comment réagissent les restaurateurs en place sur le campus à toutes ces contraintes?
- C’est un virage. Mais il est bien accepté: tout en sauvegardant tous les emplois, nous allons passer d’une vingtaine de prestataires de services à quatre. Pour les entreprises concernées, c’est une formidable occasion de s’intégrer à une vraie dynamique.

- Comment allez-vous les intégrer au projet?
- Grâce, par exemple, au NutriMenu: un outil de calcul et d’analyse qui révèle la durabilité, les calories, jusqu’au prix de chaque repas, et qui lui attribue une couleur, vert si l’équilibre est bon, orange s’il l’est moins. De quoi favoriser une alimentation équilibrée et assurer un coût raisonnable sur le long terme. Dès le mois d’avril, tous les repas seront ainsi calibrés.

- Plutôt qu’aidés, vos partenaires ne se sentent-ils pas fliqués?
- Nous sommes transparents et nous leur demandons de l’être aussi. De plus, ils pourront se servir de ces outils pour d’autres projets. Pour parvenir à nos fins, nous élaborons une analyse très pointue. Elle permettra aussi d’optimaliser la gestion des stocks et des déchets de nos partenaires. Une opération où tous les acteurs seront gagnants.

Rodrigue Benoit, chef exécutif de SV Group

Photographie de Rodrigue Benoit, chef exécutif de SV Group, qui supervise la mise en place des nouveaux concepts de repas dans quatre restaurants de l’EPFL.

Claudia Link

L’alimentation de l’avenir en cinq points

En deux ans, le service de Bruno Rossignol a sondé étudiants, professeurs et vice-président pour déterminer cinq pistes concrètes qui dessinent la gastronomie de demain. Des pistes applicables aussi à la maison.

Végétarien

Jusqu’à présent, 90% des repas servis à l’EPFL étaient basés sur les protéines animales. Aujourd’hui, les différents points de vente se voient imposer un jour hebdomadaire sans viande, ce qui ne pose aucun problème puisque la demande est venue des utilisateurs. De nouveaux restaurants 50% végétariens et 50% véganes vont d’ailleurs ouvrir sur le campus. Un programme facile à adopter aussi chez soi (voir nos recettes).

Sain

En matière d’alimentation saine et équilibrée, Bruno Rossignol en connaît un rayon. Coach de l’équipe de Suisse de triathlon aux Jeux olympiques d’Athènes, de Pékin et de Londres, il sait de quoi il parle. A l’EPFL, les restaurateurs disposent en plus d’outils d’analyse pour chacun des menus qu’ils produisent. A la maison, une prise de conscience visant à privilégier les produits frais et locaux et à varier les types d’aliments permet d’aller dans ce sens sans gros efforts.

Local

Pas de glutamate, pas de foie gras, pas d’huile de palme et seulement 10% de produits acheminés par avion. Les restaurants de l’EPFL n’ont pas droit à l’erreur. Le but qui leur est imposé: rester locaux et viser le 100% suisse. Donc fini le bœuf d’Argentine et adieu l’ananas. Un moyen simple de réduire son empreinte carbone même chez soi.

Frais

L’Unil et l’EPFL disposent de 7 hectares de champs cultivés en bio. De quoi assurer l’approvisionnement du site pendant seulement… quatre jours par an. Mais ils servent de laboratoire à ciel ouvert invitant à la réflexion et incitant les restaurants à privilégier les produits de saison. Plus de tomates en décembre, ni d’asperges en janvier! Même sans jardin, il n’est pas difficile d’adopter les mêmes principes.

Durable

Si l’on se limite à deux repas à base de viande chaque semaine, on réduit de 12% l’empreinte carbone de son alimentation, analyse Bruno Rossignol. Son service bannira par ailleurs les emballages en plastique du campus. Ils seront remplacés par des contenants biodégradables ou réutilisables. Même les produits de nettoyage seront écolos.

Par Knut Schwander publié le 26 mars 2021 - 09:53