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Amours de Jeunesses... campagnardes

Depuis le 3 juillet et pendant dix-neuf jours, Savigny accueille la grande fête de la Fédération vaudoise des jeunesses campagnardes. Une véritable institution, qui a aussi le mérite de permettre aux jeunes de se rencontrer, de s’aimer. La preuve par quatre.

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Mélanie Kleiner, 20 ans, courtière en assurances, et Kevin Grandchamp se sont rencontrés sur le site. Guillaume Perret

Parmi toutes les activités sportives et festives regroupées sous son drapeau, la Fédération vaudoise des jeunesses campagnardes (FVJC) serait aussi la plus grande agence matrimoniale du canton!

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Le cortège des jeunesses en 1942 pendant le Giron du centre organisé au Mont-sur-Lausanne.

Cette année, «la Fédé», comme l’appellent affectueusement ses 8034 membres, fête ses 100 ans. Et Savigny, gros village magnifiquement situé à 10 km au-dessus de Lausanne, entre Lavaux et Jorat, a décroché l’organisation de la manifestation monstre, une Cantonale, trois semaines de fête célébrant cette naissance.

C’était donc le 24 mai 1919 au Café Noverraz, rue du Grand-Chêne à Lausanne, que 27 sociétés de jeunesse se fédéraient en définissant ainsi leurs buts, que les membres actuels partagent toujours: «La Fédération a pour objet de coordonner les jeunes forces campagnardes en unissant les sociétés de jeunesse vaudoises (…). Elle s’intéresse à toutes les questions patriotiques, économiques, sociales ou sportives tendant au progrès de la cause agricole, viticole et montagnarde, ainsi qu’au développement matériel, intellectuel, moral et physique de ses membres en particulier et de la communauté en général.»

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L’épreuve mythique du tir à la corde pendant la Cantonale de 1921 à Payerne.

Il faut se souvenir que, au sortir de la Première Guerre mondiale, tandis que la Suisse s’industrialise rapidement, l’agriculture ne bénéficie pas encore des progrès techniques. Attirés par de nouveaux emplois et un mode de vie citadin, de nombreux jeunes provoquent un important exode rural. C’est donc pour contrer «la fuite incessante des laboureurs vers les grandes cités et les grands centres industriels» que les sociétés de jeunesse entendent cultiver les valeurs du travail de la terre et l’importance de protéger ses racines, comme le résume cette maxime extraite du premier procès-verbal: «Le sol, c’est la patrie, cultiver l’un, c’est servir l’autre.»

Lieux de rencontre

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Mathias Dupertuis, 24 ans, et Estelle Butty, 22 ans, se sont rencontrés en 2013 à la Cantonale de Colombier-sur-Morges. Guillaume Perret

A Savigny, le «premier» couple réunit Mathias Dupertuis et Estelle Butty. Menuisier de formation, sur le point de se reconvertir en pompier lausannois, il est, à 24 ans, le président de l’organisation de la manifestation, dont le budget atteint 3,2 millions de francs. Estelle, 22 ans, rencontrée en 2013 à la Cantonale de Colombier-sur-Morges, est pour sa part responsable des milliers de bénévoles (inscription toujours possible) qui se partageront les 8000 tranches horaires de ces 19 jours de fête. Littéralement «boostée» par l’aventure, la jeune femme a décidé d’abandonner son métier d’assistante vétérinaire pour reprendre des études en vue d’obtenir une maturité commerciale.

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Bettina Bachmann, 25 ans, et Gilles Favre, 24 ans, ont appris à se connaître en construisant la place de fête. Guillaume Perret

Membre de la Jeunesse de Cheseaux, Bettina Bachmann, 25 ans, fait partie des 120 personnes engagées à la mise sur pied de la manifestation. Graphiste de profession, elle est responsable de la décoration du site: une évocation du canton de Vaud à travers quelques constructions/institutions emblématiques comme le refuge forestier, le bureau de poste, le Buffet de la gare ou le caveau vigneron. C’est là au milieu qu’elle a rencontré Gilles Favre, 24 ans, agriculteur à Belmont-sur-Lausanne. «On a appris à se connaître en travaillant sur la place de fête. C’est une belle école de vie. Je passe volontiers une soirée en bas (ndlr: comprenez «à Lausanne»), mais, pour moi, la Jeunesse, c’est le meilleur moyen d’avoir des loisirs...» Et c’est avec le sourire qu’ils avouent n’avoir pas encore eu, depuis le début des travaux il y a dix-huit mois, «une seule soirée» à eux.

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C’était en 1994 au Giron du Nord organisé à Cronay, Dany Métraux séduisait Carine, alors membre de la Jeunesse de Froideville. Guillaume Perret

Centenaire, une société compte naturellement des vétérans. Carine et Dany Métraux en font partie, puisqu’ils se sont rencontrés en 1994 au Giron du Nord, organisé à Cronay. «Notre aînée a même été conçue en 1998 pendant la Cantonale à la vallée de Joux», raconte en riant Carine, responsable des gadgets et des souvenirs. Par leurs statuts, les sociétés de jeunesse se ferment aux couples mariés mais, aujourd’hui, deux de leurs trois filles sont, comme c’est souvent le cas, membres de la Jeunesse de Savigny, qui ne se prive pas de l’énergie et du soutien des anciens. A la tête d’une entreprise forestière, Dany a fait don de plusieurs dizaines de mètres cubes de bois. Municipal responsable des Bâtiments, de l’énergie, du service du feu, des sports et de la jeunesse, il donne toujours beaucoup de son temps libre en expliquant: «Sans les sports, cette fête n’aurait pas lieu.»

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Un portrait d’Armand Cherpillod, champion du monde de lutte libre et de jujitsu, qui crée en 1933 la «lutte fédérée Cherpillod», toujours pratiquée aujourd’hui.

Parmi les personnes ayant marqués l’histoire de la Fédé, Armand Cherpillod mérite un paragraphe à lui. Né à Sainte-Croix en 1876, il fut champion du monde de lutte et, plus curieusement, de jujitsu en 1922 et c’est lui qui, en 1933, établit les règles particulières de la «lutte fédérée», l’un des sports emblématiques de la FVJC. Avec le tir à la corde naturellement, épreuve de force que disputent toujours avec passion les plus costauds parmi les jeunes villageois. D’autres compétitions sont plus récentes, mais tout aussi disputées, comme le 100 mètres, le volley féminin, le foot, le saut ou le tir. Savigny, c’est aussi des concerts, des spectacles d’humour et même un opéra, Les chevaliers de la Table ronde, donné sous la grande cantine par l’Opéra de Lausanne.

Valeurs et traditions

Organisée aux portes de Lausanne, cette Cantonale anniversaire rappelle que même dans un tout petit pays, les différences sont réelles entre des modes de vie urbains et campagnards. Les citadins qui auront la curiosité d’aller y faire un tour y rencontreront des jeunes qui leur ressemblent. A y regarder de plus près, ils y distingueront peut-être un état d’esprit, une ambiance qui n’est pas tout à fait celle que les jeunes partagent dans le quartier du Flon à Lausanne ou rue de l’Ecole-de-Médecine à Genève. Des qualités comme l’entraide, la responsabilité, la solidarité que toutes les jeunesses cultivent comme autant de traditions. Elles les revendiquent telle une manière d’être ensemble: «Voilà cent ans qu’on prône les mêmes valeurs d’amitié, de partage et de fraternité», ainsi qu’elles le rappellent dans le livre anniversaire, ajoutant: «Tu as l’impression que les fédérées et les fédérés votaient UDC ou PLR comme un seul homme? C’est que tu as mal vu. Tu as déjà vu les jeunesses récupérées par des partis politique, toi? Nous pas. Tu as rencontré des jeunes qui pensent tous la même chose et qui ont la même opinion sur le monde? C’est que tu n’as jamais mis les pieds dans un giron.»

A Savigny, au milieu des champs de la plaine de Grémaudet, les organisateurs ont construit sur 3 hectares un village de bois, des terrains de sport et un camping capable d’accueillir les 200 roulottes inscrites. Depuis deux ans, ce fut pour eux une expérience plus grande que nature, un marathon qui a révélé toutes sortes de compétences, donné des expériences, appris l’entraide, le travail partagé, la négociation, le commerce. Autant de qualités de plus en plus souvent reconnues dans le monde professionnel. Humainement, la mise sur pied en pleine campagne d’une manifestation dans laquelle sont attendues quelque 130'000 personnes est naturellement une aventure à nulle autre pareille. Pour finir, à la question de savoir ce que sont réellement ces sociétés de jeunesses vaudoises inscrites depuis 2012 au patrimoine immatériel de l’Unesco, cette réponse résume un grand tout: les jeunesses, ce sont avant tout ceux qui en font partie.

>> Infos: Savigny 2019, du 3 au 19 juillet. Renseignements et programme complet: www.savigny2019.ch


Par Jean-blaise Besencon publié le 4 juillet 2019 - 09:05, modifié 18 janvier 2021 - 21:04