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Anny Duperey: «J’ai voulu rappeler qu’on peut faire confiance à son instinct» 

Anny Duperey a étudié les beaux-arts, fait de superbes photographies et excelle dans la comédie. Mais c’est aussi une écrivaine qui publie régulièrement. Dans «Le tour des arènes» (Ed. du Seuil), Anny Duperey nous enchante avec un roman plein d’humanité qui s’amuse des jeux du hasard et enjoint de choisir le camp de la gaîté. Rencontre.

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Anny Duperey

Magnifique photographe, elle a aussi trimballé son Leicaflex partout. Portraits d’amis artistes, paysages… ses clichés préférés figurent dans «Les photos d’Anny» (Ed. du Seuil).

Mathieu Zazzo

C’est une tornade toujours prête à éclater de rire qui vous accueille dans sa jolie maison cachée au fond d’une impasse, en plein Paris. Anny Duperey est drôle, directe, franche et tutoie d’emblée. Bien sûr, il y a des chats, deux. Et des plantes épanouies dans le jardin, qui confirment qu’elle dorlote tout ce que la nature vous offre. N’est-elle pas celle qui soufflait hors plateau à Bernard Le Coq, son partenaire dans la série «Une famille formidable», qu’il faut être poli avec la chance? Elle dit continuer de mesurer la sienne, alors qu’elle termine un énième tournage («Un rôle de folle machiavélique, c’est très marrant à faire»), exposera de nouveau son travail photographique cet été et ne cesse d’enchaîner les projets, de comédienne et d’écrivaine. Mais est-ce la chance qui cajole cette femme solaire ou un sublime goût de la vie, après avoir survécu à une douleur abyssale: la mort de ses parents, empoisonnés au monoxyde de carbone, quand elle avait 9 ans, avant d’être séparée de sa sœur de 5 mois? A 45 ans, elle avait confié son long déni du deuil dans «Le voile noir», désormais enseigné à l’école. Cette fois, elle publie «Le tour des arènes» (Ed. du Seuil), une fiction lumineuse sur le mal-être pansé par la beauté des rencontres et de l’imprévu. Et où celle qui permet à l’héroïne de lâcher prise pourrait bien ressembler follement à la comédienne. Entretien.

- Après deux années de pandémie, vous publiez un roman résolument optimiste. C’était voulu?
- Anny Duperey: En fait, j’ai mis longtemps à le publier, car il s’agissait au départ d’un film. Joël Santoni, le créateur d’«Une famille formidable», m’avait convaincue que le sujet du «Tour des arènes», dont je lui avais parlé, était un film et que je devais le réaliser. Alors nous sommes partis ensemble dans ce projet, où je voulais même offrir le rôle de l’héroïne, Solange, à ma fille. Les obstacles nous ont fait renoncer et j’ai écrit ce livre durant la deuxième année des confinements. Et c’était un bonheur. Le livre était la bonne forme à cette histoire.

- Quel est pour vous le message de ce roman, qui flirte avec le conte?
- C’est mon sujet de fond: l’instinct et l’inconscient. Tout à coup, le hasard fait qu’une opportunité va permettre à l’héroïne, qui n’en peut plus, de glisser ailleurs, telle Alice au pays des merveilles, et se retrouver. Moi, j’ai fonctionné sur le terrible déni du deuil de mes parents pendant un sacré bout de temps, avant de me diriger complètement à l’instinct pour résoudre ce problème de déni. Alors j’ai voulu écrire quelque chose de positif, qui me fait déjà du bien, et rappeler qu’on peut faire confiance à son instinct et se laisser glisser de temps en temps.

Anny Duperey

Anny Duperey chez elle à Paris. Elle confie que les personnages de son dernier roman l’habitent encore beaucoup. Après lecture, ils hantent les lecteurs aussi.

Mathieu Zazzo

- Dans votre livre, les personnes permettant cette rédemption vivent dans la rue. Pourquoi ce choix?
- J’avais envie de parler de la rue, d’une manière pas misérabiliste, en évoquant en filigrane les a priori et les apparences, car à peu près n’importe qui peut se retrouver à la rue. Des personnes brillantissimes, qui sont soudain déchues d’une vie complète. Mais je parle aussi du cirque, que j’adore, et des chats. J’ai mis tout ce que j’aime dedans.

- Vous avez aussi écrit un livre sur les chats. Vous les aimez toujours autant?
- Dans ce livre sur les chats, je commençais sciemment en disant que j’ai pour les animaux un amour raisonnable. Depuis, on n’arrête pas de dire que je suis folle des chats. Mais je ne suis pas gâteuse. J’ai aussi rencontré des chats très cons. Disons que je les aime avec leur caractère et que je les comprends assez bien. Ils m’accompagnent. D’autant que je n’ai plus d’homme dans ma vie et que je pense que cela n’arrivera plus.

- Pourquoi plus d’homme?
- J’avoue que j’ai eu une ou deux tentatives qui m’ont fait réaliser que si c’était pour ça, alors basta. J’ai été très heureuse. J’ai fait deux très beaux couples. Un avec Bernard Giraudeau, un autre avec Cris Campion. Mais c’était un temps et maintenant, ça va bien. La mère d’un ami peintre avait ce mot formidable quand on lui demandait pourquoi, après avoir été si courtisée, elle n’avait plus d’homme: «J’ai été bien servie.» J’ajoute: quand on a été bien servie, ce n’est pas la peine de s’accrocher à la nappe… Mais j’ai de grandes amitiés, j’ai même un ami qui est comme un frère, on se le dit souvent. C’est épatant, les frères.

- Cris Campion avait dix-neuf ans de moins que vous. On dénonce aujourd’hui beaucoup le double standard de l’âge et la stigmatisation des couples où la femme est l’aînée. L’avez-vous ressentie vous-même?
- Je ne m’en suis pas aperçue et je m’en foutais un peu. Il faut vivre ce qu’on a envie de vivre, c’est tout, et puis c’était vraiment une belle histoire, qui a duré douze ans et ne s’est pas arrêtée pour les raisons que l’on croit. Il m’a même donné une telle force que j’ai écrit cinq livres lorsque nous étions ensemble.

- Théâtre, cinéma, photographie, écriture… vous semblez incapable d’arrêter de créer.
- Quand on a opéré une résilience par l’art, puisque c’était manifestement par là que j’allais me tirer de mon histoire d’enfance, on a souvent ce que j’appelle des dons cousins, qui peuvent prendre le relais dans les moments de creux. Comédienne est devenu mon métier principal, mais c’est presque par hasard. Alors que l’écriture était la base. C’était la seule matière, avec le dessin et la peinture, dans laquelle j’étais bonne à l’école. J’avais découvert tôt, vers 12-13 ans, que le geste d’écrire est consolateur.

Anny Duperey

«Je hais les dates et m’efforce de les effacer, estomper les repères étant pour moi un sûr moyen d’apprivoiser le temps qui passe. Mais, sans date, je peux évoquer ma rencontre avec Jean-Louis Barrault, le jour où Bernard Giraudeau, en quelques mots forts et magiques, m’a convaincue de faire des enfants, la conjugaison miraculeuse, la même année, de mon livre «Le voile noir» et des premiers films d’«Une famille formidable». Là, j’ai une date: 1992!»

RALPH GATTI/AFP/Getty Images

- Il y a cinq ans, vous avez d’ailleurs écrit un nouvel ouvrage autobiographique fort, «Le rêve ma mère».
- Et il m’est précieux. Je parle de la façon dont je me suis dirigée dans la vie artistique, avec un peu de hasard, un peu de don, pour finir par avoir ce choc incroyable en réalisant que je suis le rêve de ma mère. Quand ça m’est tombé dessus, dans le cirque où elle avait été élevée, j’ai sangloté des heures. Je ne suis pas croyante, parce que tous les dieux ont été inventés par des prophètes qui étaient des mecs selon lesquels les femmes sont généralement impures, mais je crois au mystère. Il existe des hasards si insensés qu’on finit par regarder le ciel et se dire que c’est trop bien organisé… Et en découvrant le cirque où avaient travaillé mes grands-parents, une évidence m’est tombée dessus. Ma mère était artiste photographe, et son retour à la maison, après s’être fait coller un moutard, parce qu’à l’époque il n’y avait pas de crèche, ne lui allait pas du tout. Ça se voit à son regard sur les photos. Alors qui sait, comme j’ai été la cause du rétrécissement de sa vie, peut-être a-t-elle aidé à organiser des choses pour moi, des rencontres? Le mystère est là…

- Ayant peu connu votre mère, quelle mère avez-vous été?
- Quand on n’a aucun souvenir de sa propre mère, c’est très bizarre. On ne sait pas trop comment s’y prendre. On observe comment sont les autres mères avec leurs mômes. Et généralement je les trouvais lourdes. Alors j’ai fait comme ma tante. Elle rêvait de devenir professeure, mais elle a été retirée de l’école à 11 ans, pendant que ses deux frères continuaient leurs études, afin d’aider au bistro que ses parents tenaient à Yvetot, en Normandie, comme ceux de l’écrivaine Annie Ernaux. Ma tante a gardé toute sa vie le complexe de ne pas avoir fait d’études et, pour elle, j’étais sa revanche. Et j’ai élevé mes enfants comme elle l’avait fait avec moi. Avec toutes les cartes en main, mais en disant: je te préviens, c’est toi qui joues et tu peux même gâcher le jeu. Donc les responsabiliser dès qu’ils aimaient quelque chose, mais sans être derrière. A l’adolescence, ils ont même pu croire peut-être que je m’en foutais un peu tellement j’étais en retrait, en observation.

- Lorsque votre fille Sara Giraudeau, aujourd’hui actrice acclamée, chante à la cérémonie des Molières en 2007, vous la regardez pourtant avec un immense amour.
- Alors elle, ce n’est pas compliqué, je l’ai vue à 12 ans, dans un travail d’élèves de théâtre. Elle jouait un Oscar Wilde. Il y avait des enfants qui étaient contents parce que les parents les photographiaient et j’ai vu rentrer ce personnage (elle mime un air habité et déterminé) et j’ai fait: «Oh! la vache, on ne va pas y couper.» Donc je l’ai su avant elle, en fait.

- Avez-vous eu recours à la psychanalyse pour vous aider à vous remettre de vos douleurs?
- Non. A la fin de l’écriture du «Voile noir», qui a pris quatre ans, j’allais parler de ce que j’écrivais à quelqu’un, mais c’étaient juste des conversations, parce que les conséquences émotives de l’écriture étaient importantes, alors que j’avais toujours gardé le silence jusque-là. D’ailleurs, je ne savais pas si ça allait pouvoir sortir pour la promotion du livre. Le premier entretien, c’était une radio, je ne savais pas si je n’allais pas exploser en sanglots. Et puis c’est sorti. Pour la première fois, j’en parlais, et je me suis aperçue que c’était pas mal de transmettre quelque chose à travers ça.

- Vous avez même publié un livre sur les réactions des lecteurs du «Voile noir», «Je vous écris»…
- Ces gens ont changé ma vie. Et surtout les médecins qui m’ont appris ce qui s’était passé le matin de la mort de mes parents, en m’expliquant que j’étais asphyxiée moi-même. Exit la culpabilité d’avoir flâné au lit, en les entendant mourir, sans bouger. Car il y avait ce truc-là en moi, avant que des gens m’apprennent que ce n’était pas ma faute. Le jour où j’ai reçu la lettre d’un médecin anesthésiste m’écrivant que je ne semblais pas avoir pensé que j’avais été asphyxiée moi-même, j’ai pris un coup dans la poitrine. J’étais dans un fauteuil et je me suis retrouvée par terre. Ensuite, chaque personne qui m’écrivait allait un peu plus loin, comme si elle avait lu la lettre précédente. C’est très étonnant.

- La parution du «Voile noir» aura bientôt trente ans. Où en êtes-vous du cheminement personnel?
- Ça va. J’admets que c’était un horrible accident. Ma mère était en pleine dépression, mais ce n’est pas elle qui a voulu ça, même si c’est néanmoins elle qui a insisté pour fermer la fenêtre, parce qu’elle était frileuse, et alors qu’il y avait déjà eu des accidents dans cette salle de bains, et qu’on savait qu’elle était dangereuse. Je le savais, je sais. Mais bon, ça fait partie du mystère. Ce sont des mystères.

- Vous vous êtes libérée de la douleur par la parole. Le mouvement #MeToo est aussi une libération par la parole. Que pensez-vous de cette vague?
- J’ai du mal à en parler parce que j’étais une brute, étant jeune. Je n’ai pas été élevée avec des exemples de rapports homme-femme. Autour de moi, il n’y avait que des bonnes femmes comme ma tante, qui s’étaient faites toutes seules et avaient tout pris en main. Elles dirigeaient tout, les femmes, chez moi. Et je suis partie dans la vie comme ça, avec mon côté «puisque c’est comme ça, puisque je suis en vie, j’y vais et je fonce». Je suis plutôt un mec, en fait. Et j’étais ahurie de regarder les filles. La coquetterie, tous ces machins, je ne comprenais rien.

- Vous incarnez pourtant l’idéal féminin dans «Un éléphant, ça trompe énormément», avec une fameuse scène en robe rouge.
- Oui, mais ça, c’est autre chose. J’ai toujours été proche du cabaret, et assez amie avec des gens qui faisaient du transformisme, car je faisais pareil. Je me peignais, je me déguisais. C’est un ami qui m’a dit un jour: «Cette complicité que tu as avec ces gars, on dirait que c’est ton deuxième sexe.» Donc le côté «#MeToo», c’est très bien d’en parler, mais personnellement, je n’ai pas été très attaquée. J’ai plutôt foutu les boules aux mecs, généralement.

Par Julie Rambal publié le 8 avril 2022 - 08:52