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Hommage

Arnaud Bédat: journaliste, passionnément

Il a fait les grandes heures de «L’illustré» d’une certaine époque. Arnaud Bédat nous a quittés à l’âge de 58 ans. Mais le souvenir de ses grandes enquêtes restera gravé dans les mémoires. De par son incroyable flair, sa persévérance à toute épreuve et son art de mettre ses interlocuteurs en confiance, il était le roi de l’enquête et des faits divers. Souvenirs.

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Arnaud Bédat dans son bureau à Porrentruy en février 2017

En février 2017, Arnaud Bédat dans son bureau à Porrentruy (JU). Partout des livres, des documents, des souvenirs, des photos de rencontres. L’image est signée Jean Revillard, son ami proche, décédé lui aussi trop tôt.

Jean Revillard / Rezo

La première fois que j’ai entendu son nom, c’était en 1986. Dans une bande-annonce de l’émission éco de la TSR, ce jeune journaliste jurassien free-lance, déjà connu pour sa participation à «La course autour du monde», affirmait avoir retrouvé la trace d’André Plumey, fameux escroc jurassien en cavale. Scoop! Par déduction, il l’avait repéré au Paraguay. En raisonnant, il en avait conclu qu’il ne pouvait être que dans ce pays, sans traité d’extradition avec la Suisse. Typique de la méthode Bédat: il écoute son flair, se rend sur place et, neuf fois sur dix, fait mouche!

Même approche, en 1999, lorsqu’il se met en tête de retrouver d’autres coquins en cavale, au Brésil cette fois: les ravisseurs de Stéphane Lagonico, un jeune nanti enlevé contre rançon par des proches. «Je sais où ils sont, ils sont quelque part par là...» me lançait-il, frondeur, en jetant sur la table les cartes de visite d’une série de night-clubs de Copacabana. Bingo! Billet d’avion en poche, il retrouvera leur trace dans plusieurs de ces établissements. Du grand art.

Arnaud Bédat, Philippe de Dieuleveult et Stanislas Popovic en 1984

Quand trois anciens candidats de «La course autour du monde» se retrouvent, ici en 1984. Arnaud Bédat, Philippe de Dieuleveult (qui mourra l’année suivante), Stanislas Popovic. Lors de cette émission, Arnaud Bédat retrouvera en Inde le frère de l’assassin de Gandhi et, en Chine, l’homme qui inspira le personnage de Tchang à Hergé.

Facebook Arnaud Bédat

OTS, la piste canadienne


Mais c’est sans doute dans l’affaire de l’Ordre du Temple solaire (OTS), cette secte devenue tristement célèbre à la suite de ses suicides collectifs, à Cheiry (FR) et à Salvan (VS) notamment, que Bédat a surclassé l’ensemble de ses confrères. Alors que tout le monde enquête en Suisse romande, il décide de partir pour le Canada, où un petit groupe de disciples de l’OTS avait aussi décidé d’en finir. Grâce à son talent de charmeur, il convainc un policier de lui remettre toutes les photos de la secte, retrouvées sur les lieux du drame. Un incroyable trésor de guerre qui fera la couverture de plusieurs éditions de «L’illustré». Signé Arnaud! Il se passionnera tant pour cette affaire qu’il en tirera un livre*, corédigé avec ses fidèles complices Gilles Bouleau et Bernard Nicolas, grands reporters à TF1. 

De 1994 à 1996, ses enquêtes sur l’OTS font plusieurs fois la une. Il parviendra à mettre la main sur toutes les photos de la secte, documents parfois compromettants…

De 1994 à 1996, ses enquêtes sur l’OTS font plusieurs fois la une. Il parviendra à mettre la main sur toutes les photos de la secte, documents parfois compromettants…

DR

Et, bien sûr, on ne peut pas raconter Arnaud Bédat sans évoquer le pape François, pour lequel il s’est pris d’une affection sincère, sans véritable fondement religieux. Son intérêt pour le Vatican est né d’un fait divers, comme toujours avec Arnaud: le meurtre du garde suisse Cédric Tornay, en 1998, resté inexpliqué. Cette enquête au long cours le conduira plusieurs fois à Rome, où il finira par avoir ses entrées. Ainsi, lorsque le pape François est élu, il décide de s’envoler pour l’Argentine avec pour projet de raconter l’homme en partant à la rencontre de son entourage, en journaliste. Le livre* inspiré de ce reportage inédit sera traduit en plusieurs langues. 

Arnaud Bédat en 2018 dans l'avion papal avec le pape François

2018, à bord de l’avion papal. La photo est devenue culte. «Mais pourquoi le tonneau est-il vide?» s’interroge le Saint-Père en éclatant de rire, après avoir reçu des mains d’Arnaud Bédat une peluche de saint-bernard et un Ragusa.

Facebook Arnaud Bédat

S’éloignant de la presse, devenue moins friande de ces faits divers pourtant si éclairants sur l’état de notre société, le Jurassien se tourne résolument vers l’écriture de livres et participe au tournage de séries TV consacrées à des faits divers marquants. Son personnage à la Tintin, sa faconde, son art de la narration n’échappent pas aux producteurs parisiens, qui se l’arrachent. 

Un second ouvrage sur le pape et une étonnante biographie de Jacques Brel raconté par son pilote valaisan connaîtront ainsi un joli succès en librairie*.

Avec la disparition de notre cher Arnaud à 58 ans, c’est une brillante page du journalisme romand qui se tourne. Chasseur, séducteur, audacieux, un rien voyou (au sens affectueux du terme), maître du récit: il appartenait à cette race de journalistes qui firent les grandes heures de notre magazine. 

Nous lui en resterons éternellement reconnaissants et partageons notre tristesse avec Oona, sa chère fille, ainsi qu’avec toute sa famille. 

Par Daniel Pillard, ancien rédacteur en chef de «L'illustré» publié le 4 août 2023 - 09:06