Chez les Gilliéron, les comédies musicales ont influencé le destin de deux enfants de la famille. Côte à côte sur les sièges d’une salle de spectacle du West End à Londres, Aude et Vincent sont restés scotchés devant le show mélodieux «Le roi lion» lorsqu’ils étaient adolescents. L’explosion joyeuse sur scène qui mêlait chant, théâtre et danse a été un électrochoc pour eux. Cet instant les a définitivement poussés à en faire leur carrière. Aujourd’hui, à 36 ans, l’aînée à la tessiture mezzo-soprano est plus sensible à Cabaret, production historique de Broadway. Baryton-basse, le cadet de 33 ans, lui, a flashé sur les aventures lyriques du fameux «Billy Elliot». Hormis ce petit désaccord, le duo originaire de Moudon est en parfaite symbiose.
Carrières en résonance
Echanger avec l’un de ces deux artistes est synonyme d’apprendre toute la biographie de l’autre. «C’est vrai qu’on est un peu nos imprésarios respectifs même si, hélas, on n’arrive pas à voir tous nos projets», clament-ils à l’unisson. Et que de projets, en observant leurs actualités récentes! Vincent a remporté en juin dernier le Trophée du meilleur interprète – l’équivalent des Césars en France pour la comédie musicale – pour son rôle a cappella dans «Ego-système, le musée de votre existence». D’une fraîcheur déconcertante, lors de la remise du prix, il monte devant l’assemblée et comme discours, il chante une lettre qu’il s’était écrite à l’âge de 16 ans: «Es-tu cité dans la presse?» entonne-t-il accompagné par un chœur suivi d’un «P.-S.: héééé, est-ce que tu as eu un troooooophée?», en conclusion devant la salle hilare. Sa bonhomie, le public pourra également la retrouver à l’affiche de «Guignol» au Théâtre de la Gaîté Montparnasse à Paris, fin septembre. Et pour le plaisir des oreilles romandes, il fera également un saut de puce pour chanter dans «La voix de Peau d’âne» au Théâtre du Pré-aux-Moines à Cossonay en janvier 2024.
Quant à Aude, la comédienne-chanteuse a décroché le sésame pour prêter sa voix à Rosie dans «Mamma Mia!», la superproduction rythmée par les chansons du groupe suédois Abba, qui revient dès le 21 octobre au Casino de Paris. Précisons qu’elle a traversé un marathon de quatre tours d’audition pour obtenir le rôle de l’amie délurée de l’héroïne. Les étoiles étaient alignées. Il faut dire que la trentenaire est aussi espiègle que le personnage dont elle assure la doublure. Une caractéristique qui, vous l’aurez compris, est partagée par les deux Gilliéron. Lors du shooting photo, ils ont d’ailleurs bien diverti les nageurs de la piscine du Grand-Pré à Moudon.
Aspergés dans leurs vêtements chics à deux pas du toboggan, ils ont été enchantés par la mise en scène décalée en hommage au film musical «Chantons sous la pluie» sorti en 1952. «Tiens, on pourrait croire aussi qu’on fait un clin d’œil à «Mary Poppins», qu’on adorait», ajoutent-ils en redressant leurs parapluies simultanément comme pour s’envoler. Petits, ils ont passé des après-midi à regarder en boucle ce Disney original, tout en regardant des classiques comme «La mélodie du bonheur» ou «Grease» avec leur famille. En parlant de leurs parents loin de ce milieu artistique, ces derniers les ont toujours soutenus dans leurs démarches pour atteindre la planète de la comédie musicale: des cours au Conservatoire de Lausanne pour Vincent, l’EJMA pour Aude, en plus de leurs formations professionnelles dans la capitale française.
Alors, quand leurs proches ont enfin pu les applaudir sur le même plateau, les dates ont été gravées à jamais dans le calendrier des Gilliéron. «Avec Vincent, on a joué plusieurs fois ensemble, que ce soit dans «Jésus-Christ superstar au Théâtre Barnabé il y a quinze ans déjà ou dans l’adaptation du Collectif Sondheim «Sweeney Todd», au Théâtre 2.21 à Lausanne en 2019», se remémore Aude, un peu nostalgique. Fouler les mêmes planches que son allié de toujours lui manque. Une confession que le petit frère a approuvée en prenant sa sœur dans les bras dans les loges du Théâtre Barnabé à Servion (VD).
Dans ce lieu dédié au musical en Suisse romande, ils retrouvent les inscriptions à l’encre noire qu’ils avaient laissées sur les poutres pendant leurs anciennes performances. C’est une tradition pour les troupes de passage, d’écrire un petit mot. «Barnabé, c’est un peu notre deuxième maison dans la région», admet Aude Gilliéron, dont on aperçoit le visage sur l’affiche d’un des futurs spectacles programmés dans l’institution culturelle. Elle retrouvera la scène vaudoise dès le 3 mai 2024 dans un des succès de Broadway traduit en langue française: la comédie dramatique «Waitress».
Paris les deux, c’est mieux
Mais avant de chanter pour cette production décrite comme «savoureuse et féministe», Aude se réjouit de rejoindre Vincent durant plusieurs mois dans la Ville Lumière pour plus de 150 dates. «Je veux qu’elle vienne pour toujours!» sourit-il. En toute confidence, ils se disent rassurés quand l’autre n’est pas trop loin. «On s’est toujours aidés et conseillés, même à distance. On n’a ni tabous ni filtres envers l’autre», répondent-ils d’une seule voix.
Leur complicité pourrait se résumer à leur cri de ralliement «Go, mille!» qu’eux seuls comprennent mais surtout à leurs fous rires contagieux. Pour partir à la conquête de celles et ceux qui ne sont pas encore tombés sous le charme de leur pratique, le duo projette un jour de monter une pièce en tête à tête, à la hauteur de leur ambition pluridisciplinaire et clownesque: «On veut faire du musical partout et contaminer tous les publics avec cet art», osent-ils.
En attendant, ils se donnent déjà rendez-vous pour des retrouvailles à Moudon l’été prochain. Et cette fois, ils iront se ressourcer au bord de la Broye, une rivière où ils ont depuis toujours une cachette. Un coin parfait pour chanter à pleins poumons au son de l’eau qui coule, sans déranger le voisinage.