Quand on prononce le nom d’Aure Atika devant un homme, ses yeux s’allument comme des sémaphores. Dans son esprit, elle est Karine Benchetrit, la bombe anatomique de La vérité si je mens. Sauf que cela date de 1996 et, depuis, l’actrice a joué dans une quarantaine de films, une quinzaine de téléfilms et des pièces de théâtre.
Mettre le curseur au centre, entre les comédies grand public et les films d’auteur, c’est son combat. Grâce à «La faute à Voltaire» ou à «Mademoiselle Chambon», pour lequel elle a été nommée au César du meilleur second rôle, elle a fait comprendre aux cinéastes que sa palette d’actrice était suffisamment riche pour que sa plastique, superbe, ne joue qu’un rôle secondaire.
On l’a vue dans la minisérie «Un homme d’honneur», une production TF1 diffusée sur Play RTS, et dès le 23 avril sur Disney+, inspirée de la série israélienne «Kvodo». Un carton: 19,4% de parts d’audience, soit 4,5 millions de téléspectateurs. «En 2017, "Kvodo" a été présentée au festival Séries Mania, explique Aure Atika. Je faisais partie du jury et on lui avait donné le Grand Prix. Quand on m’a appelée l’an dernier pour me proposer un rôle dans l’adaptation française, j’ai dit oui!» Elle y incarne Rebecca Riva, la femme d’un patron de la mafia, joué par Gérard Depardieu, envoyé en prison par le juge Richard Altman, interprété par Kad Merad. «Kad et moi faisons face au même dilemme: qu’êtes-vous prêt à faire pour sauver vos enfants?»
Aure Atika, dont le prénom signifie «lumière» en hébreu, a commencé à l’âge de 9 ans dans le film «L’adolescente» de Jeanne Moreau. Elle vivait une enfance instable, qu’elle a racontée dans son premier roman, «Mon ciel et ma terre», paru en 2017 chez Fayard. Elle y raconte à hauteur d’enfant sa mère, Odette, accro aux drogues et aux hommes, capable d’oublier sa fille dans la rue, dans un coin, dans sa vie tout court. Certaines scènes sont insupportables et, pourtant, Aure Atika embrasse cette enfance qui l’a modelée et chante un amour inconditionnel à sa mère.
«Un jour, elle est rentrée d’Inde avec une étagère en bois. Elle l’a cassée et, à l’intérieur, il y avait 1 kilo d’opium. Pour l’enfant que j’étais, c’était un joli souvenir, mais en l’écrivant, j’ai trouvé cela fou! Si ma mère s’était fait attraper à la frontière, elle aurait passé vingt ans en prison en Inde, alors qu’elle avait un enfant en France! Ecrire ce livre m’a soulagée. Ce n’était plus mon petit fardeau secret et je pouvais passer à autre chose.»
Quant à son père, il est le grand absent de la vie d’Aure Atika. Sa mère lui a longtemps fait croire qu’il s’agissait d’un directeur de la photographie et qu’ils l’avaient enfantée sous LSD. Ce père présumé était présent à la maternité lorsque l’actrice a accouché de sa fille Angelica, il y a dix-neuf ans. Mais un test ADN a révélé qu’ils n’avaient aucun lien de parenté. Sa mère est décédée quand Aure avait 22 ans. Savait-elle seulement qui était le père?
Avec une telle enfance, Aure Atika avait le choix: rester une victime ou transformer son expérience. Elle a choisi de se construire en opposition. «Tout peut devenir un cadeau. Mon indépendance, ma facilité à dire non, mon goût du beau, des voyages et de la liberté, c’est ma mère qui me les a transmis. Mon amour du travail et ma rigueur, je les ai développés en réaction.»
Après avoir été repérée en 1992 pour jouer dans «Sam suffit», de Virginie Thévenet, elle a décidé de suivre les cours de théâtre de Blanche Salant et les sessions libres du Cours Florent. Elle a touché au journalisme, en présentant l’émission «Nova» sur Paris Première, mais elle s’est laissé rattraper par la carrière d’actrice. En 1997, elle a pris les écrans en otage, imposant son visage à la beauté sauvage et son corps qui a nourri les fantasmes des adolescents de la génération X, Y, et les autres…
Aure Atika semble être née pour être actrice: elle vous lance un regard qui pourrait vous transformer en statue de sel et soudain elle sourit, et tout le soleil du Maroc, où sa mère est née, vous réchauffe. Sur les plateaux, contrairement à la vraie vie, elle adore se laisser diriger. «J’aime être au service d’un réalisateur qui a une vision, qui va m’utiliser comme une pâte à modeler ou pour ce que je suis. Cela me fait vibrer.»
Elle ne cache pas son âge, 50 ans, mais sait que le cinéma n’est pas tendre avec les femmes de sa génération. «La caméra, le spectateur, le producteur, la société aiment la chair fraîche. En revanche, un film réalisé pour la télé est plus sociétal, les sujets traités sont proches de la réalité. C’est là que l’on trouve de beaux rôles de femmes.»
L’automne dernier, elle a tourné dans «Rose», le premier film d’Aurélie Saada, la chanteuse du groupe Brigitte, avec Françoise Fabian dans le rôle-titre. «Rose perd son mari et le film raconte comment elle va se réinventer, faisant face à un entourage qui aimerait qu’elle ne change jamais. J’ai adoré faire ce film, même si les conditions de tournage étaient difficiles. Tout le monde était masqué, sauf les acteurs, et l’on devait se faire tester tous les deux ou trois jours.»
L’époque ne la fait pas rêver. Comment élever des enfants dans un monde aussi polarisé? Heureusement, sa fille, qu’elle a eue avec le producteur et musicien Philippe Zdar, décédé en juin 2019, est très ancrée: elle a reçu une éducation solide, a réussi son bac avec mention très bien et fait une préparation littéraire. «Tout ce que je peux lui apporter, c’est de l’amour, de la confiance et une écoute. Quelle que soit la voie qu’elle prendra, je suis fière d’elle.» En ce qui concerne son cœur, Aure Atika tient à ce que sa vie privée le reste. Son enfance dévoilée l’absout de révéler la suite.
En janvier dernier, l’actrice a ressenti le besoin de fuir Paris: direction Tahiti pour y rejoindre des membres de sa famille. «Là-bas, la pandémie n’est pas vécue de la même façon: il y a du soleil, de l’espace, très peu de cas. Avoir foi en l’avenir est devenu difficile alors à mon retour, j’ai décidé, comme beaucoup d’autres, de simplement m’accrocher au présent.»