Guy Bedos disait de la vie que c’était une comédie italienne. «On rit, on pleure, on vit, on meurt.» On a appris sa disparition à 85 ans, jeudi dernier. Quatre jours après celle de son ami Jean-Loup Dabadie. Nicolas Bedos, son fils, a fait part publiquement de son décès sur Instagram vers 18 heures: «Il était beau, il était drôle, il était libre et courageux. Comme je suis fier de t’avoir eu comme père. Embrasse Desproges et Dabadie, vu que vous êtes tous au paradis.»
Bedos avait aussi eu trois filles, Leslie, Mélanie et Victoria. Ses quatre enfants étaient nés de liaisons successives avec Karen Blanguernon, Sophie Daumier et Joëlle Bercot.
La journaliste Danièle Heymann avait résumé Guy Bedos d’une formule: «mélancomique». Elle est restée collée à ce franc-tireur désespéré. Un atrabilaire féroce, dépressif, grognon et volubile. L’homme était «inconsolable» et «gai», qualificatifs avec lesquels il avait fait le titre de l’un de ses ouvrages. «La première fois que j’ai pensé à la mort, j’avais 12 ans, révélait ce natif d’Alger. J’ai eu une enfance de miséreux affectif: entre violence et maltraitance.» Il ajoutera: «Ma mère, quand elle a arrêté de me faire peur, a commencé à me faire honte.» Elle lui attachait les mains à son lit et le battait; elle-même était violentée par son mari. Bedos souffrira de troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Ses vannes au rasoir, parfois violentes, cachaient ses blessures intimes.
Raymond Devos fut son parrain de scène. Comme Brel, Brassens et Barbara par la suite. Le poète Jacques Prévert, dont le frère avait un cabaret parisien, l’incita à écrire. Avec son spectacle «Dragées au poivre», il connaît un premier succès, avant de le porter au cinéma. Bedos a 28 ans, il dirige Simone Signoret, Belmondo, François Périer, Francis Blanche et Sophie Daumier, qu’il épousera.
Avec elle, en 1973, il triomphe dans un sketch: «La drague». Sous couvert de légèreté, il dénonce le machisme des beaufs, ces lourdingues qui n’aspirent qu’à s’emparer du corps d’une femme. Les rires du public masquaient la gravité du propos. «Ce n’était pas drôle, limite un viol», disait-il. Dans «Vacances à Marrakech», il est ce touriste irascible, mécontent de son séjour «parce qu’il y a trop d’Arabes». Certains s’indigneront, le confondant avec ses personnages. «C’est tout ce dont j’ai souffert enfant: le racisme de mes parents.»
L’exercice de la revue de presse deviendra sa marque de fabrique. Un défouloir. Le sien et celui du public. Il s’y consume fiches en main, ajoute et improvise, tous les soirs. Le jeu de massacre visait les politiques. En costume-cravate, seul dans son cercle de lumière, Bedos les alignait, de gauche comme de droite, sans distinction. En 2012, à la veille du grand débat entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, il nous confiait: «Gauche ou droite? Je m’en fous! C’est homme par homme, femme par femme.» Sur scène à Lausanne, il avait affublé le couple Sarkozy-Bruni d’un discutable «le nain et sa pute» avant de le regretter au téléphone. «Sa pute? Je rajoute parfois: «Y a pas de preuve!» Mais oubliez ça, ce n’est pas ce que je préfère, je vous l’accorde. C’est à la portée du premier (Stéphane, ndlr) Guillon venu.»
Le FN était sa cible, sa bête noire. «Si ça tourne mal chez nous, j’irai me réfugier en Suisse, chez Johnny! On est nés le même jour. Quand on voit quelles sont les préoccupations des Français, on se dit que, heureusement, Le Pen est vieux et malade. Sinon, l’extrême droite aurait un boulevard.» Marine, sa fille? «Elle au moins, on n’a pas de preuve qu’elle a torturé des Maghrébins pendant la guerre d’Algérie.»
Chez nous, il a eu des mots contre l’ex-conseiller fédéral et vice-président de l’UDC. «En 2000, Christoph Blocher a déposé plainte contre la TSR (l'émission «Faxculture», ndlr) parce que je l’avais traité de gâteux fasciste et de vieux con.» Guy Bedos admirait nos institutions. «En France, il faudrait retrouver l’essence même de la démocratie en consultant le peuple. Vous, vous avez les référendums. Nous, on nous demande notre avis tous les cinq ans. Le reste du temps, on s’exprime à travers des sondages d’opinion.»
On le rangeait à gauche. Il exécrait les chapelles mais se sentait proche des socialistes, préférant à la «gauche caviar» des nantis la «gauche couscous». S’il n’a jamais caché ses sympathies pour François Mitterrand, il se méfiait de lui. «Je ne fais pas partie de la cour. En 1981, certains ont dit que je n’étais pas étranger à sa victoire. Sur scène, je flingue aussi mes amis, eux seuls peuvent me décevoir. J’aimais beaucoup Mitterrand, dans une confiance réduite. J’ai eu du mal à passer sur l’affaire Bousquet (collaborateur avec l’occupant allemand, Mitterrand lui renouvellera son amitié, ndlr).
Je ne suis pas juif – du moins, ce n’est pas prouvé, j’ai des origines andalouses par ma grand-mère maternelle – mais j’ai très mal vécu ça.»
Guy Bedos descendait volontiers dans la rue, s’engageait pour les sans-papiers, la Ligue des droits de l’homme. «Sarkozy nous avait invités à l’Elysée. Ensuite, il a fait téléphoner pour m’avoir à déjeuner, plusieurs fois. Bref, il m’a fait la cour et a cherché à me «kouchnériser».» Bedos, pas intouchable, ne reculait jamais. «Lors de la publication de ma revue de presse, la préfecture de police a téléphoné à mon éditeur pour qu’on leur envoie le livre et qu’ils puissent le «vérifier», si j’ose dire. C’eût été une erreur de la part de Sarkozy de me faire un procès.» Bedos les gagnait la plupart du temps. «J’ai perdu une fois. Il a fallu faire un chèque au nom de Jean-Marie Le Pen, car il touchait l’argent qui était destiné au Front national.» Nadine Morano traitée de «conne» sur scène fut déboutée. «Je n’insulte pas, j’informe», persiflait-il.
Le «ministre de la parole» a tâté de la censure. «Violemment sous Giscard et Sarkozy. Pas à la demande de l’un ou de l’autre. Souvent, la censure vient de ceux qui roulent pour eux-mêmes. Ils ont des gages à donner aux puissants et ils en rajoutent.» Sur France 2, la captation de son spectacle au Cirque d’hiver (2006) passa à 2h30 du matin. «Seuls les chauffeurs de taxi, certaines danseuses de cabaret et quelques prostituées ont pu en profiter.» Il ajoutait à leur endroit: «Je ne fréquente plus. On l’a beaucoup fait à une époque avec Belmondo.» Bébel, son grand ami.
«On s’est connus lorsque j’avais 17 ans et lui 18 à l’Ecole de la rue Blanche. Un coup de foudre amical. Il a eu cet accident cérébral dans une maison qu’il avait louée à cinq minutes de la mienne en Corse. Et pour des raisons que je n’évoquerai pas par charité, et qui concernent certains membres de sa famille, il est dans l’état où il est. Ça me bouleverse.» Aujourd’hui, «le Magnifique» pleure un frère. «La mort de Guy me brise le cœur», dit-il.
Les amis et les amours perdus hantaient Bedos. Françoise Dorléac notamment, la sœur de Catherine Deneuve, sa «fiancée», décédée à 25 ans, dans un accident de voiture. «Je ne vais pas beaucoup sur leurs tombes, mais ils ne me quittent pas. Je les porte dans ma poitrine. Je trimballe une sorte de cimetière affectif. Il m’arrive de penser à eux quand j’écris. Notamment Signoret. Selon sa formule: «Je ne désaime pas.» Et je me pose souvent la question: «Qu’est-ce que Simone penserait de ce que je fais?»
Il évoquait la déchéance et la fin. «Je suis atrocement centriste dans ma façon de vivre. Je bois un peu, je ne fume plus. La scène est un exercice qui me va bien (il avait fait ses adieux en 2013, ndlr). Vieillir, c’est encore ce qu’on a trouvé de mieux pour ne pas mourir. Mais je ne ferai pas mon spectacle dans une chaise roulante.» Dans son roman Le jour et l’heure, il revendiquait, à travers son personnage, le droit de choisir librement sa façon de quitter le monde. Il avait vu disparaître Pierre Desproges, emporté par un cancer dans d’interminables souffrances. «Ce sont les médecins qui m’arrêteront, nous avait-il confié. Il m’arrive de dire que je veux mourir debout. Dans la dignité.» Exit.