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La rencontre

La «bonne étoile» qui a guidé le chef Pelux au Lausanne Palace

Le chef Franck Pelux et Sarah Benahmed, sa compagne dans la vie comme au travail, reprendront le restaurant étoilé du Lausanne Palace en septembre. S’ils quittent leur bien-aimée ville de Strasbourg, ils acceptent le défi de séduire la clientèle romande et espèrent fonder une famille en Suisse.

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Sarah et Franck aiment faire le tour des canaux strasbourgeois au guidon de leur vélo, toujours à deux, comme ici dans le quartier de la Petite-France. Blaise Kormann

Et dire qu’il y a cinq ans, ils étaient encore à Pékin, à travailler parfois jusqu’à seize heures par jour et à souffrir de la chaleur et de l’humidité. «Ce fut éprouvant, un quotidien très difficile, entre la pollution, la cuisine au sous-sol sans fenêtre et les trajets à scooter à 5 heures du matin», se souvient Franck Pelux, 32 ans. Sa compagne, Sarah Benahmed, 29 ans, gère la salle du restaurant alors que lui s’occupe de la cuisine. C’est leur passion de l’Asie qui les avait poussés à partir en Chine. Pendant deux ans, ils ont géré le Temple Restaurant à Pékin, qui propose des mets occidentaux, mais qui leur a pourtant inspiré une cuisine aux influences nippones, thaïlandaises et japonaises.

Aujourd’hui, ils reprennent l’ancienne Table d’Edgard, le restaurant étoilé du Lausanne Palace. Cette fois-ci, c’est avec un camion plutôt que de simples valises qu’ils déménageront et ils ont préféré un appartement rénové par leurs soins plutôt qu’un meublé. Ils s’installent à Lausanne pour y rester.

Attablés à la terrasse d’un bar strasbourgeois, Franck et Sarah se font saluer, aborder par «des amis», qui leur demandent pour quand est le départ. Une bière alsacienne pour lui et une limonade maison pour elle, les deux amoureux reviennent sur leurs trois années passées à Strasbourg, qui ont précisément séparé leur période pékinoise et leur emménagement en Suisse. Ils laissent derrière eux une ville qu’ils ont aimée. Ils affectionnent les paysages alsaciens et se voyaient peut-être même ouvrir un restaurant ici.

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Première rencontre avec Edgard Bovier, l’ancien chef du restaurant La Table d’Edgard au Lausanne Palace. Julie de Tribolet

Le pincement au cœur est là, mais ils ne regrettent pas le choix de quitter la gérance du Crocodile, un restaurant historique qu’ils ont tenu avec succès. «On a été complets tous les soirs pendant trois ans, à l’exception d’une ou deux fois», atteste Sarah. «Nous avons fait le choix de partir, même si nous adorions cette maison», confie le couple, qui souhaiterait désormais fonder une famille.

Ces deux acolytes doivent leur histoire d’amour à la cuisine. Même lors des moments de détente, on surprend Franck en train de lire un magazine culinaire, et Sarah de se balader pour dénicher de petits produits locaux de choix. S’ils se contentent de choses simples et peuvent s’extasier devant un riz frit ou une tarte flambée, ils placent la barre haut en cuisine et en salle. Ils se réjouissent déjà de trouver leurs marques en Suisse, à la découverte de Lavaux et du Léman.

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Pendant leurs jours de repos, les deux amoureux flânent dans le parc de l’Orangerie et bouquinent. Magazines de cuisine pour lui et poèmes ou romans pour elle. Blaise Kormann

«C’est comme si une bonne étoile nous guidait depuis le début», confie Sarah, avec une certaine ingénuité mais toujours avec une dose de réalisme. C’est sans surprise qu’on apprend que les deux amoureux se sont rencontrés au travail. A l’époque, Sarah effectue un stage et Franck vient de décrocher son premier emploi. Elle est issue d’un milieu modeste, mais réalise son rêve de faire une école hôtelière. Franck suit les traces de sa mère, restauratrice elle aussi. «Elle m’a transmis les bases du métier et a financé des stages auprès de chefs étoilés», se rappelle-t-il.

A cette époque, Sarah a 16 ans, lui en a 19. Dès le premier regard, c’est le coup de foudre et les deux collègues ne se quitteront plus. Cette complicité animée par leur passion commune se ressent dans leurs faits et gestes: ils partagent la même bouteille d’eau et finissent les phrases l’un de l’autre. «On est des fous, on parle tout le temps de cuisine, même en mangeant, même après les services!» s’exclame Sarah avec volubilité.

S’est ensuivi un parcours professionnel prestigieux: chez Arnaud Donckele, à Saint-Tropez, ou encore chez Yannick Alléno, à Courchevel. Les deux stakhanovistes ont pourtant mis du temps à bien gagner leur vie. Le passage de Franck dans l’émission de télévision «Top Chef» sur M6 a ouvert les portes de la reprise du Crocodile, à Strasbourg. «Je n’en pouvais plus de ma vie à Pékin et, comme par hasard, c’est là que la production m’a appelé. J’ai donc saisi la chance de revenir en France quelque temps», se rappelle Franck, qui a laissé Sarah gérer seule le restaurant en Chine pendant les deux mois de tournage.

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Sur le balcon de leur appartement strasbourgeois qui surplombe les toits, Franck fait griller son poulet mariné. Blaise Kormann

Franck arrive jusqu’en finale du concours, qu’il perd, mais il en ressort encore plus sûr de lui: «A ce moment-là, mon état d’esprit avait changé et, surtout, ma notoriété a pris de l’ampleur.» Le couple ne cache pas, cela dit, la difficulté à gérer, après l’émission, la médiatisation et l’hystérie de la foule, qui a pris d’assaut du jour au lendemain la vie privée du couple. «Je me rappelle que des gens criaient: «Top Chef!» lorsqu’on se baladait à Paris, certains même pleuraient, c’était très déstabilisant», raconte Sarah, qui dit préférer une vie discrète et à l’abri de l’exposition excessive.

«Cette émission a notamment été un tremplin pour ma carrière», reconnaît Franck. Cette étape joue certainement un rôle dans leur arrivée à Lausanne. Le couple est tombé amoureux de la vue sur le lac et s’est déjà trouvé particulièrement bien accueilli par ses voisins lausannois. «Partout où nous allons, nous voulons prendre le meilleur et nous souhaitons simplement partager notre histoire et nos émotions avec nos clients», sourit la professionnelle de l’hôtellerie.

Afin de conquérir le palais des Romands, le duo mise sur une carte qui sera composée de certains plats déjà présents dans leur offre strasbourgeoise. Comme «une célèbre recette traditionnelle alsacienne que j’ai revisitée avec un bouillon aux touches asiatiques», dévoile le chef à la tête du restaurant étoilé. Et les deux passionnés ont déjà hâte de proposer une nouvelle version de certains mets typiquement suisses. Franck pense notamment à la religieuse de la fondue, soit la croûte de fromage qui s’est formée au fond du caquelon. La tradition qui consiste à la récupérer a tout particulièrement interpellé ce grand créatif.

Ce qui les guide dans leur démarche culinaire, c’est de susciter l’effet madeleine de Proust que peuvent procurer les saveurs. «C’est comme rechercher une émotion que l’on a déjà eue; parfois, cela mène les clients jusqu’aux larmes, car ils se rappellent un plat que leur préparait leur grand-mère, par exemple», ajoute Sarah.

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Photo d’enfance: un instant de cuisine en famille.

Sarah et Franck espèrent aussi démystifier les a priori que certains gourmets pourraient avoir à l’égard du mot «palace». «Ce mot fait souvent peur, est un peu synonyme de cuisine guindée et inaccessible, alors que nous souhaitons diversifier la clientèle et l’accueillir dans une ambiance décontractée», dit Sarah, qui n’oubliera jamais leurs jeunes années passées à économiser durement pour s’offrir une table étoilée. «Nous avions 19 ans et nous rêvions d’aller manger dans un célèbre palace parisien. Après avoir mis de côté près d’un salaire mensuel pendant un an, nous étions si heureux de nous offrir ce moment!» Un plaisir d’exception qu’ils se réjouissent de partager avec les Romands.


Par Meryl Brucker publié le 25 août 2020 - 09:49, modifié 18 janvier 2021 - 21:13