Elle a eu 13 ans le 23 février mais a soufflé ses bougies à l’hôpital.
Ilona hoche la tête: ce n’est pas très important, «ce qui compte, c’est de se soigner, c’est de guérir», dit-elle, déjà très mûre dans sa façon de s’exprimer. Le 22 septembre 2017, on diagnostiquait à cette fillette au parler doux et aux yeux clairs une leucémie avec des valeurs sanguines alarmantes: 51 d’hémoglobine, 40 de plaquettes et un total de 280 de globules blancs qui lui ont valu une hospitalisation immédiate. La première fois qu’on l’a rencontrée, deux mois plus tard, dans la ferme familiale de Lentigny (FR), elle se battait contre la maladie avec une force et une certaine sagesse empreinte de fatalisme, plutôt rare à cet âge-là.
Dans sa chambre, le doudou et les Playmobil cohabitent avec les disques de Louane ou de Jenifer. Seul objet un peu incongru dans cet univers ouaté de préadolescente, cette perruque sur la tête d’un mannequin blanc. Des cheveux artificiels pour les jours de sortie. Pour masquer les effets secondaires des chimiothérapies. Et faire que le regard des autres ne s’attarde pas sur sa calvitie, Ilona a trop souffert de ça. On reste un peu estomaqué tout de même quand elle nous dit sans hésiter que «le cancer, c’est moins douloureux que le harcèlement». En ajoutant encore: «Si le traitement contre la maladie dure longtemps, ce n’est pas si mal, j’ai moins de risque de recroiser mes harceleurs dans le bus.» On se dit que cette petite fille a dû beaucoup souffrir pour affirmer une telle chose.
La leucémie, c’est une maladie très grave, même si le taux de guérison chez les enfants est élevé. La jeune Fribourgeoise suit un protocole de traitement étalé sur 104 semaines. Cela en fait, et va en faire encore, des examens, des biopsies, des ponctions lombaires douloureuses. Son dossier médical, Ilona le connaît de façon étonnamment précise et vous montre bien volontiers «le collier du courage» qu’elle a créé, où chaque perle symbolise un soin effectué.
«Il faut ne pas avoir peur»
Hervé et Véronique Bulliard, ses parents, se battent au quotidien aux côtés de leur enfant mais ont le sentiment que les années de harcèlement scolaire qui ont précédé sa maladie l’ont passablement meurtrie et surtout n’ont pas été prises suffisamment au sérieux. Bien sûr, il n’existe aucune corrélation scientifique entre le harcèlement et le cancer, mais si on ne peut rien faire pour prévenir ce dernier, le premier est un adversaire que l’on peut terrasser. «Aujourd’hui, nous voulons garder notre énergie pour nous battre pour la santé de notre fille, mais nous avons un goût amer dans la bouche», avouent-ils.
Si Ilona a tenu à témoigner, c’est avant tout pour sensibiliser les jeunes de son âge. Il faut garder espoir même lorsqu’on est atteint d’une maladie grave et puis il faut parler du harcèlement. «Moi, j’en ai parlé, même si je n’ai pas été vraiment entendue. Je crois que j’aurais pu crier, on ne m’aurait pas entendue. Ma leucémie, c’est mon corps qui a parlé.»
Ils seraient 5 à 12% en Suisse à assimiler comme elle l’école et ses abords à un véritable cauchemar. «Le harcèlement a commencé en 5e primaire. Au début, c’étaient des petits mots du genre «t’es bête», «t’es conne», «ta gueule». Je me disais que ce n’était pas grave, que ça passerait, mais ça ne passait pas. Il y a eu des billets codés pour m’insulter, j’étais rejetée quand il fallait organiser les dortoirs en classe de neige, je me sentais tout le temps mise de côté.» Les parents alertent les enseignants. Malgré une médiation scolaire, l’établissement d’un contrat de collaboration, l’intervention de deux inspecteurs puis d’un juge de paix, l’affaire ne s’apaise pas.
Véronique et Hervé Bulliard reprochent aux intervenants de ne pas en faire assez pour faire cesser le harcèlement. Du côté des autorités scolaires, on évoque plutôt un problème d’adaptation, une phobie scolaire plus qu’une situation de harcèlement. Et le fait que les parents sont toujours en désaccord avec les solutions proposées. Un coaching est néanmoins mis en place en faveur d’Ilona. On conseillera également aux époux Bulliard de déposer une plainte. La seule façon de faire toute la lumière sur les responsabilités des uns et des autres, leur dit-on. «Nous avons bien essayé, mais au poste de police on nous l’a déconseillé, disant que tant qu’il n’y avait pas de coups physiques… A nos yeux, de toute façon, c’était à l’école de régler ce problème. On a souhaité rencontrer les parents des harceleurs d’Ilona, cela nous a été refusé. Pourquoi était-elle la seule à devoir être suivie par un psychologue? Beaucoup de mensonges ont été dits à propos de notre fille.» La goutte d’eau qui fera déborder le vase: «Quand Ilona a dû dire merci à sa harceleuse parce que celle-ci avait commencé à lui dire moins de gros mots.»
«Je pleurais toutes les nuits, je devais prendre des médicaments pour dormir, se souvient la petite fille. Le pire, ça a été quand des élèves ont fait une pétition contre moi. La maîtresse m’avait désignée responsable du silence, je devais mettre des coches à ceux qui parlaient, mes harceleurs dérangeaient, alors je les ai notés, ils se sont vengés!» Le cauchemar de la jeune Fribourgeoise prendra fin en janvier 2017 avec son changement d’établissement et de village. Désormais, c’est à Cottens, le village voisin, qu’elle poursuit sa 8e année de cycle d’orientation. Le harcèlement va cesser du jour au lendemain. «J’ai vécu les plus beaux mois de ma vie là-bas, jusqu’à la découverte de mon cancer», confie-t-elle avec un sourire nostalgique qui fait jaillir de la lumière sur tout son visage. Parce qu’on le sent bien à l’entendre, le harcèlement, cela vous grignote votre estime de soi tout aussi sûrement que le cancer ronge les tissus.
Retrouver la confiance
Aujourd’hui, Ilona doit parcourir un double chemin. Celui d’une confiance retrouvée en elle-même et en les autres, et un autre pour guérir physiquement. Par bonheur, son moral et ses valeurs sanguines sont à la hausse. Deux professeurs lui enseignent encore pour quelques mois à domicile les maths, l’allemand, l’anglais et le français, mais elle espère retrouver bientôt ses nouvelles copines de classe. Elle peut compter aussi sur Jodie, son poney, pour lui donner du courage dans les moments de cafard. Elle a aussi gardé dans son smartphone le SMS d’une de ses harceleuses qui lui a demandé «pardon». Elle attend bien sûr impatiemment le jour où elle pourra enfiler la dernière perle à son «collier du courage». Elle le rangera peut-être dans un tiroir. Ou choisira de le porter. Avec fierté.