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Carlos Leal: «L’intelligence artificielle est l’affaire de tous»

Depuis le 13 juillet, Hollywood est à l’arrêt, paralysé par une grève des acteurs et des métiers du cinéma d’une ampleur sans précédent. Installé à Los Angeles depuis 2010, l’acteur romand Carlos Leal, 54 ans, manifeste et témoigne.

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Carlos Leal en grève et manifestant à Hollywood au nom du syndicat SAG-AFTRAtes aux Etats-Unis.</p>

L’acteur romand Carlos Leal est en grève et manifeste à Hollywood au nom du syndicat SAG-AFTRA, représentant 160 000 artistes aux Etats-Unis.

Tomo

Il est 9 heures du matin à Culver City, Los Angeles, devant les studios Amazon, livrés à un vacarme inhabituel. Des voitures klaxonnent. Des gens manifestent, scandant des slogans et agitant des pancartes. L’acteur lausannois Carlos Leal est du nombre. Il exhibe un panneau indiquant «Actors on strike» (acteurs en grève). La mobilisation est générale. Jamais depuis 1960 auteurs et scénaristes ne s’étaient mis en grève ensemble. L’usine à rêves est à l’arrêt. Aucun tournage n’a lieu et personne ne peut dire aujourd’hui combien de temps durera le mouvement. Jusqu’ici, les négociations menées avec les grands studios ont échoué. L’enjeu est de taille et double: il concerne la réglementation de l’intelligence artificielle (IA) et le paiement équitable du streaming. 

- Carlos Leal, qu’est-ce que ça fait d’être en grève ici à Hollywood?
- Les grèves, ce n’est pas vraiment mon truc, mais parfois, c’est nécessaire. Question de solidarité. Ce moment est incroyablement important pour toute l’industrie cinématographique. Voilà pourquoi j’y participe.

- Ce mouvement de grève vous concerne-t-il directement?
- Ce qui est clair, c’est que je ne travaillerai plus à Hollywood pendant toute sa durée. Au premier jour de la grève, je devais démarrer le tournage d’une série bien connue. Tout a été annulé. Je n’ai pas tourné, donc je n’ai pas été payé. Je suis cependant dans une situation privilégiée, car j’ai aussi la possibilité de travailler en Europe, ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres ici. Chaque acteur sait que, malheureusement, il faut parfois passer par des périodes de disette. Si la grève dure longtemps, elle affectera ma carrière, c’est certain, mais je m’adapte. Je l’ai toujours fait. 

Carlos Leal en grève et manifestant à Hollywood au nom du syndicat SAG-AFTRA

Né le 9 juillet 1969 de parents espagnols, Carlos Leal a grandi à Renens (VD). Chanteur du groupe de rap Sens Unik dès 1990, il amorce ensuite une carrière internationale d’acteur, marquée par un rôle dans «Casino Royale» (007). Aux Etats-Unis, on l’a vu dans les séries «Better Call Saul», «The L Word» et au cinéma.

Tomo

- L’un des principaux points de discorde réside dans le traitement de l’intelligence artificielle. En quoi cela vous touche-t-il?
- Aujourd’hui, les studios sont capables de scanner un acteur et d’utiliser son image virtuelle pour réaliser un tout nouveau film sans que l’acteur en question touche le moindre dollar. Les studios pourraient même produire des films avec des acteurs décédés: c’est juste de la folie! Je refuse tout net de signer un contrat indiquant que mon visage pourra être repris à loisir, recyclé éternellement.

- Etes-vous opposé à tout changement?
- Je ne suis pas fondamentalement contre le progrès technique, mais si nous, les artistes, ne ripostons pas maintenant, il sera bientôt trop tard. J’ai l’espoir qu’avec la réglementation nous pourrons protéger d’autres formes d’art, comme la photographie, la poésie ou les arts visuels.

- Vous ne vous battez donc pas seulement pour vous-même, mais aussi parce qu’il s’agit d’un moment crucial dans l’histoire?
- Absolument! N’oublions pas que «#MeToo» a démarré ici, à Hollywood. Je ne veux pas comparer les deux mouvements, mais plutôt souligner le rayonnement planétaire de Hollywood. Ce mouvement est allé bien au-delà de l’industrie cinématographique et je pense que ce qui est en jeu en ce moment a aussi une portée plus large. 

- Les studios trouvent actuellement des failles dans leurs accords avec les syndicats afin de délocaliser les tournages en Angleterre ou d’octroyer plus de licences à des productions étrangères. Pensez-vous que, au final, cette grève nuira d’abord à l’économie américaine?
- Sans aucun doute. Les studios trouveront toujours des gens prêts à faire la queue pour apparaître dans des séries en streaming. C’est le phénomène du moment. Et pour la carrière des acteurs encore autorisés à tourner, en Angleterre, au Canada ou ailleurs, cette grève peut même apparaître comme une bonne chose. Mais c’est penser à court terme. Si nous gagnons à Hollywood, les acteurs du monde entier pourront en bénéficier. Pour cette raison, je souhaite une solidarité réelle, au niveau mondial.

- Mais c’est déjà si difficile, pour beaucoup, de décrocher un rôle...
- Oui, et il y en aura toujours qui chercheront à exploiter la situation pour tourner et l’on ne peut pas vraiment leur en vouloir. Personne ne va payer leur loyer à leur place! Mais, croyez-moi, voir de grandes stars se joindre à nous et dénoncer haut et fort les injustices aura un impact. 

Carlos Leal posant chez lui avec son fils Elvis

L’acteur lausannois réside en famille à Los Angeles depuis 2010. Il pose ici chez lui, sur sa terrasse, avec son fils Elvis, l’aîné de ses deux enfants.

Tomo

- Pensez-vous que l’Etat devrait intervenir?
- Oui, des lois sont nécessaires pour réglementer l’intelligence artificielle et mieux protéger la propriété intellectuelle. Nous ne pouvons pas arrêter l’intelligence artificielle. Il est donc nécessaire de la contrôler.

- Le syndicat exige également une participation plus équitable pour les acteurs apparaissant dans des séries de streaming à succès. Comment voyez-vous les choses?
- Je trouve choquant à quel point la différence est grande entre les montants que vous obtenez pour apparaître à la télévision normale et ce que l’on perçoit dans une production en streaming. Si je compare les chèques que je reçois pour une série diffusée uniquement aux Etats-Unis sur la chaîne américaine CBS avec ceux perçus pour «Better Call Saul», série Netflix, cela n’a aucun sens.

- Quelles chances vous donnez-vous face à de tels monstres?
- Des acteurs comme moi, honnêtement? J’ignore quelle est notre puissance. Mais les grandes stars, elles, ont du pouvoir parce que beaucoup de gens les écoutent et qu’elles rapportent de l’argent aux entreprises. Voilà pourquoi il est essentiel qu’elles s’expriment. Et si elles le font, c’est qu’elles aussi ont peur de l’intelligence artificielle. Je ne suis pas un très grand fan de Hollywood, envers lequel je me montre souvent très critique, mais je suis fier de ce mouvement.

- Etonnamment, peu de stars de tout premier plan font entendre leur voix dans cette grève. Pourquoi?
- Parce que les plus grandes stars – Brad Pitt ou DiCaprio – exercent aussi, en parallèle, le métier de producteur et travaillent étroitement avec les studios. Bien que je sois sûr que ces grands noms partagent les intérêts syndicaux des acteurs, ils doivent se montrer prudents.

- Craignez-vous des conséquences négatives pour votre carrière en prenant la parole?
- Je m’en fous complètement. Il ne s’agit pas de moi, vous l’aurez compris.

- Néanmoins, tout le monde ne comprend pas cette grève à Hollywood...
-  Oui, je peux aisément imaginer que certaines personnes froncent les sourcils en pensant à ces pauvres acteurs de Hollywood qui sont malheureux... Réagiraient-elles de la même manière s’il s’agissait d’agriculteurs ou de chauffeurs de bus? La vérité, c’est que la plupart des gens n’ont aucune idée de ce que représente réellement ce boulot. On entend Hollywood et l’on ne voit que champagne et immenses propriétés. 

Grève à Hollywood au nom du syndicat SAG-AFTRA

La patience est de mise

Par manque de showrunners, de scénaristes ou d’acteurs, nombre de tournages et de productions ont dʼores et déjà été annoncés comme suspendus le temps de la grève ou repoussés aux calendes grecques. Rien que parmi les plus attendus, on peut citer «Spider-Man 4», «Gladiator 2», «Deadpool 3» et «Avatar 3» au cinéma. En télévision, les séries FBI: «Most Wanted», «Stranger Things», «The Last of Us», «Euphoria», «The Mandalorian», «The Penguin» avec Colin Farrell, «Duster» de J. J. Abrams et «LaToya Morgan» avec Josh Holloway, «Les Simpson», «House of the Dragon» et «1923», l’un des spin-off de «Yellowstone» avec Harrison Ford et Helen Mirren, notamment, sont impactées.

Par Jacqueline Krause-Blouin publié le 19 août 2023 - 08:39