1. Home
  2. Actu
  3. «C’est une loi pour la chasse, pas pour les animaux sauvages»

Interview d’actu

«C’est une loi pour la chasse, pas pour les animaux sauvages»

Premier conseiller national vert de l’histoire valaisanne, Christophe Clivaz milite contre la révision de la loi sur la chasse dans le canton le plus chasseur du pays. Ses explications avant la votation du 27 septembre.

Partager

Conserver

Partager cet article

file7c8p8sjx9mqd1tjf3p8
Keystone

Christophe Clivaz 51 ans, professeur à l’Unil sur le site de Sion, spécialiste des politiques de gouvernance des lieux touristiques.

Philippe Clot: Qu’est-ce qui ne vous convient pas dans cette révision?
Christophe Clivaz: Deux choses: il y a cette marge de manœuvre accrue accordée à chaque canton sur une thématique qui a au contraire besoin d’une politique nationale. Et cette révision favorise la possibilité de chasser des espèces menacées. Cette nouvelle loi constitue donc une véritable régression.

Le processus législatif a progressivement dérapé et certains en ont profité.

Les partisans, les chasseurs principalement, disent pourtant exactement le contraire.
Oui. Et c’est bien cela qui perturbe les citoyens quand ils écoutent un débat contradictoire. Les deux camps utilisent ce même argument de l’amélioration de la protection de la faune. Mais alors pourquoi toutes les organisations de défense de la nature et des animaux auraient perdu du temps et de l’argent à lancer ce référendum si cette révision était bel et bien positive pour la biodiversité en Suisse?

file7c8knl7nn5fxhssginx
Le Conseiller national valaisan Christophe Clivaz le 9 décembre à Berne. PARLAMENTSDIENSTE/Alessandro della Valle

Que s’est-il passé au parlement pour qu’on en arrive à cette nouvelle loi qui braque les défenseurs d’une nature sauvage?
Je n’étais pas encore élu à Berne pour participer à ce processus qualifié de «chaotique» par certains parlementaires qui étaient présents. Le point de départ, la motion Engler de 2014, était pourtant plutôt pertinent en visant à améliorer la cohabitation entre les animaux de rente et le loup. Tout le monde s’accordait alors à dire qu’il fallait légiférer sur ce sujet précis. Mais le processus législatif a progressivement dérapé, s’est perdu dans des discussions interminables et certains en ont profité pour allonger la liste des espèces potentiellement «chassables», comme le castor. Chaque lobby qui avait un problème avec un animal a ajouté son article au fil de votes souvent très serrés. Et d’un compromis acceptable sur la gestion du loup, on en est arrivé à une loi en contradiction avec l’impératif plus aigu que jamais de la préservation de la vie sauvage dans notre pays.

Est-ce aussi la démonstration que le parlement est plus influencé par le lobby des chasseurs que par les associations de défense de la nature?
Je dirais surtout que la révision a été menée par l’ancien parlement, qui n’était pas aussi sensible aux problématiques environnementales que celui élu l’année passée. J’ai le sentiment que ces dossiers sont aujourd’hui pris plus au sérieux par des partis comme le PLR et le PDC, qui ont compris avec les dernières élections fédérales que les citoyens sont très concernés par le climat et la biodiversité. Mais le lobby des chasseurs est en effet encore très bien représenté et cela explique aussi que cette loi est une loi pour la chasse, pas pour la protection des animaux sauvages.

C'est un peu le far west...

Si cette révision passait, quelles conséquences aurait-elle pour la faune?
Tout dépend de sa mise en œuvre. Mais le risque majeur tient au fait que la sensibilité et le savoir-faire entre les différents cantons sont très contrastés. Alors que les scientifiques évoquent une sixième extinction de masse des espèces, favoriser une pression supplémentaire sur la faune est anachronique. Et ces dispositifs de tirs dits «préventifs» ainsi que la possibilité de tir dans les anciens districts fédéraux, les sites de protection de la faune, sont en complète contradiction avec le besoin vital de beaucoup d’espèces d’avoir des sanctuaires.

Faciliter en 2020 le tir d’espèces comme le tétras-lyre ou la bécasse des bois, notamment, cela semble unique en Europe dans ce contexte de préservation.
Oui, la tendance actuelle est exactement contraire et cherche à s’affranchir de cette vision des êtres humains dominant toute la nature. C’est cette conception qui nous a menés aujourd’hui face au risque climatique et à l’effondrement de la biodiversité. C’est donc important de gagner ce référendum pour démontrer que nous avons compris que l’homme fait partie d’un écosystème et que notre avenir dépend justement de celui-ci.

Y a-t-il quand même des changements positifs dans cette révision?
Oui, par exemple les corridors faunistiques et le financement de la Confédération aux cantons. En revanche, l’argument que les partisans de la révision répètent en boucle, celui des espèces de canards ôtés de la liste des animaux «chassables», est tout à fait marginal. Il y a aussi des dispositions utiles, mais insuffisantes, sur la protection des troupeaux.

Etes-vous confiant sur le rejet de cette révision par le peuple?
Certains sondages sont inquiétants. Mais j’ai l’impression qu’il y a une mobilisation des consciences au niveau national. Je n’ai jamais vu autant de partages sur les réseaux sociaux de mes prises de position que j’ai publiées. Beaucoup de gens ont compris qu’il ne s’agit pas de voter pour ou contre le loup, pour ou contre le pastoralisme, mais qu’il s’agit de voter pour ou contre la protection des animaux sauvages. Dans mon canton, en Valais, c’est bien sûr plus difficile: je n’ai jamais vu autant de panneaux de propagande en faveur de la loi au bord des routes.

L’émission «Mise au point» dénonçant le braconnage du lynx en Valais, c’est de l’intox avant la votation ou une réalité, selon vous?
C’est un début d’explication scientifique à l’étrange faiblesse de la population du lynx en Valais. Et les témoignages de braconnage de cet animal corroboraient cette explication.
Je ne suis moi-même pas étonné de ces informations dans la mesure où, depuis sa création au début des années 1980, le Service de la chasse en Valais a été piloté non pas par des spécialistes de la biodiversité, mais par des gens très proches du milieu de la chasse et plaidant pour un Valais sans prédateur. Quand je faisais ma thèse sur l’écologisation des politiques suisse et valaisanne du tourisme, j’étais allé voir Narcisse Seppey. Il m’avait raconté spontanément comment il avait été nommé chef de ce nouveau service. En fait, il était candidat à la candidature au Conseil d’Etat en 1980 pour le PDC et avait renoncé au profit de son concurrent, Bernard Bornet, à condition que ce dernier, une fois élu, crée ce Service de la chasse et qu’il le nomme chef. C’est un peu le far west…

Il faut que cette loi protège véritablement les animaux sauvages 

Vous avez des amis chasseurs?
Oui, plusieurs, y compris des sympathisants verts. Il y a différentes sortes de chasseurs. J’en connais d’ailleurs qui voteront non à cette loi, mais qui n’osent pas le dire publiquement.

Vous recevez des lettres d’insultes, voire de menaces, comme beaucoup d’écologistes en Valais?
Non. Hormis sur les réseaux sociaux, où beaucoup de monde se défoule pour toutes sortes de raisons, je suis préservé. Mon élection à Berne a sans doute changé un peu le regard des gens vis-à-vis des Verts. Et puis, je crois savoir que j’ai un bon caractère et je préfère l’argumentation aux attaques de type «les méchants chasseurs» ou «les méchants bétonneurs». En Valais, c’est aussi important d’aller boire l’apéro avec des contradicteurs et de parler d’autre chose que de ce qui fâche. Cela dit, avec les autres opposants en Valais, je ressens parfois une certaine solitude au niveau politique. Notamment sur cet objet, parce que les socialistes ne nous ont pas suivis et ont laissé la liberté de vote.

Quelle serait votre révision idéale de cette loi?
Il faut régler la question de la cohabitation des loups et des animaux de rente notamment en améliorant les dispositifs et les modalités d’indemnisation des éleveurs, surtout ceux dont les troupeaux sont impossibles à protéger. Et il faut que cette loi protège véritablement les animaux sauvages en danger d’extinction.



5 espèces en jeu

Pour les chasseurs, cette révision de la loi est une bénédiction pour la faune, pour les écologistes, une condamnation à mort de certaines espèces. Tentons un impossible arbitrage avec cinq espèces directement concernées.

  1. Le tétras-lyre
    Cet oiseau sublime vivote dans les Alpes, dérangé durant son hivernage par les skieurs hors piste. Les effectifs de ce petit coq de bruyère frisent la limite inférieure. La saveur résineuse de sa chair justifie-t-elle vraiment de perpétuer ce tir marginal?
  2. La bécasse des bois
    Pour les chasseurs, ce merveilleux long-bec ne souffre pas de se faire décimer deux mois par année. La bécasse est en revanche estampillée «vulnérable» par les ornithologues. Là aussi, ne fallait-il pas lui accorder une protection totale?
  3. Le lièvre brun
    Sa situation est jugée grave par les zoologistes. Les chasseurs estiment au contraire qu’il est scientifiquement prouvé que sa chasse n’a aucun impact sur lui.
  4. Le lynx
    Les 250 individus de Suisse ne causent qu’une trentaine d’attaques de bétail par année. La majorité des chasseurs détestent ce concurrent. La plus grande liberté accordée aux cantons risque de faire chuter sa population.
  5. Le loup
    A-t-il vraiment une place dans cette Suisse étriquée? C’est en tout cas lui qui est à l’origine de cette révision controversée et qui ne règle pas les problèmes de cohabitation que pose son retour depuis 25 ans.

Éditorial du 9 septembre 2020

Le petit bout de la lunette

par Philippe Clot, Membre de la rédaction en chef

«Halte à l’extermination insensée!» Ce cri d’alarme radical en faveur de la faune suisse, c’est une commission du Conseil des Etats qui le lançait dans son rapport sur le projet de loi fédérale sur la chasse et la protection des oiseaux. C’était en… 1875! Une année auparavant, la Confédération s’était octroyé constitutionnellement la gestion des forêts et la protection du gros gibier sur l’ensemble du territoire. Les cantons avaient démontré leur incompétence: la forêt était en lambeaux, il ne restait plus un seul bouquetin et les chasseurs étaient en passe d’exterminer les rares chevreuils, cerfs et chamois survivants. En fait, la Suisse de la fin du XIXe n’avait plus de faune.

La première loi fédérale de 1875 limitait (enfin) la chasse dans le temps, interdisait le tir de la femelle du chamois accompagnée de son petit, protégeait la femelle du chevreuil et du cerf. Quant au bouquetin, il était strictement protégé. Le chamois a très vite profité du bon sens fédéral. Le cerf et surtout le chevreuil, en provenance d’Autriche et d’Allemagne, ont en revanche mis près de cinquante ans pour repeupler progressivement le territoire. Quant au bouquetin, il a dû être réintroduit dès les années 1920 pour se réconcilier avec des Suisses qui préféraient ses prodigieuses cornes en trophée et en poudre médicinale.

Ce rappel historique permet de vérifier que, pour la protection de la nature, une bonne loi fédérale vaut mille fois mieux que des arrangements entre copains du même canton. Or la révision de la loi sur la chasse, concoctée par le parlement d’avant la vague verte de 2019, opte pour une recantonalisation de ces dossiers. Ce retour en arrière observe la nature par le petit bout de la lunette d’un fusil de chasse en ne prenant pas acte que la biodiversité décline dangereusement en Suisse. Et c’est ainsi qu’au lieu de proposer un ambitieux plan de «rewilding» (recréer des espaces sauvages), incluant bien sûr l’indispensable fonction régulatrice de la chasse, on a préféré considérer ce qu’il reste de nature en Suisse comme de vulgaires stands cantonaux de tire-pipes à castors, à tétras-lyres, à bécasses des bois et autres créatures pourtant en sursis. Triste.


Par Clot Philippe publié le 10 septembre 2020 - 08:29, modifié 18 janvier 2021 - 21:14