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«C’était mon destin d’être le patient  de Genève»

Ils ne sont que six sur la planète à avoir probablement guéri du sida après une greffe de moelle osseuse. Mais le cas de Romuald est unique au monde car, contrairement aux autres, son donneur n’était pas porteur d’une mutation génétique qui rend les cellules plus résistantes au VIH. Le Genevois incarne un véritable espoir pour les chercheurs du monde entier. Il se confie en exclusivité à «L’illustré».

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Romuald, alias le patient de Genève a guéri du sida

Le sourire à la vie après tant d’épreuves traversées. Positif par nature, Romuald se dit aujourd’hui fier d’apporter sa contribution à la recherche contre le sida. 

Magali Girardin

On l’a appelé «le patient de Genève». Probablement guéri du sida après une greffe de moelle osseuse intervenue pour soigner une leucémie agressive en 2018 aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Nulle trace du virus dans son organisme deux ans après l’arrêt de sa thérapie antirétrovirale. «Le 16 novembre 2023 n’était pas un jour comme les autres puisqu’il marque les deux ans de l’arrêt de mon traitement. Je suis guéri. Je sais que les médecins préfèrent parler de rémission, mais je n’aime pas ce mot! Il laisse entendre que la maladie sommeille toujours en moi.»

C’est dit. Ton ferme même si la voix est douce. Nous rencontrons Romuald dans un café du centre-ville de Genève. Grand, élégant, il porte des lunettes lookées qui cachent ses yeux. Coquet, cet ancien mannequin qui a perdu la vue très jeune veut soigner son apparence. Ce d’autant plus qu’il sort de l’anonymat alors que le téléphone du service de presse des HUG a chauffé pendant des mois. Tout le monde voulait savoir qui était ce fameux patient genevois. Ils sont cinq (à Berlin, Düsseldorf, New York, Londres et Duarte en Californie) à être en rémission du VIH, mais le cas de Romuald est encore plus extraordinaire puisqu’il n’a pas bénéficié comme les autres d’un donneur porteur de la mutation génétique CCR5 delta 32, très rare et connue pour rendre les cellules naturellement résistantes au virus. «J’ai longtemps hésité à dévoiler mon identité, car le sida est encore tabou en 2023. Mais je suis conscient de l’espoir que je peux apporter aux malades. Je leur dois ça. Ne l’oublions pas, il y a 39 millions de personnes porteuses du virus dans le monde.»

Romuald, le patient de Genève a guéri du sida

Romuald a été mannequin et chanteur par le passé. La perte progressive de sa vue a mis un terme à sa carrière sur les podiums mais il a continué à chanter, avant d’être stoppé par la maladie.

DR

Oui, le cas de cet homme de 51 ans «va faire progresser la science», à entendre la professeure Alexandra Calmy, médecin adjointe agrégée et responsable de l’unité VIH aux HUG. C’est elle qui a piloté avec son équipe tout l’aspect lié au VIH. Qui était à Brisbane pour faire connaître ce protocole à la dernière conférence internationale sur le sida l’été dernier. Qui a inclus, déjà avant la greffe, le cas de Romuald dans un essai clinique international. «Mon sang a beaucoup plus voyagé que moi», sourit-il en parlant des 25 tubes de sang qu’on lui prélevait chaque mois et qui partaient dans l’Europe entière. Notamment au fameux Institut Pasteur, à Paris, où son matériel biologique est étudié sous la houlette du professeur Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité réservoirs viraux et contrôle immunitaire. Romuald ne cache pas son enthousiasme à l’idée de s’y rendre le 29 novembre prochain avec la professeure Calmy. L’Institut Pasteur marque les 40 ans de la découverte du virus et il devrait même rencontrer Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine et codécouvreuse du virus avec Luc Montagnier. Il visitera bien entendu les labos où ses précieuses cellules sont analysées. Rencontrera aussi la presse française, racontera cette trajectoire de vie marquée par une banale rencontre amoureuse à 17 ans, source de sa contamination. «J’ai eu la chance de bénéficier très vite de la trithérapie, souligne-t-il, et je l’ai bien supportée.»

Deux ans après l’annonce de sa séropositivité, il est atteint d’un décollement de la rétine doublé d’un glaucome qui lui fera perdre progressivement la vue. Jamais deux sans trois est un adage dont il se serait bien passé. On lui détecte en 2018 une leucémie particulièrement agressive. «Romuald est un triple survivant!» insiste la professeure Calmy. Lui parle non sans humour d’un «cumul de mandats» . Vous ne verrez aucune photo de lui liée à son traitement. Tout ce qui relève du handicap ou de la maladie ne doit pas figurer au premier plan. Pour la séance avec la photographe, il a choisi avec précision ses vêtements, soigné sa coupe de cheveux et corrigé son teint. On s’en étonne puisqu’il ne verra jamais le résultat final. Il y a un petit accent de défi dans la réponse de ce Gémeaux du 31 mai. «On se doit d’être beau et présentable même avec un handicap. C’est important pour moi, mais aussi pour les lecteurs de votre magazine!»

Romuald, le patient de Genève a guéri du sidda

Très coquet et soucieux de son look, le Franco-Suisse est un habitué de la boutique Diesel à Genève. Il se fait expliquer dans le détail par ses amis ou le vendeur les caractéristiques de chaque vêtement mais aussi du décor qui l’entoure.

Magali Girardin

Positiver, c’est son mantra. «Je suis séro mais positif!» répétait-il souvent. Il y a aussi cette gentillesse, ce souci de l’autre qui frappe même ses médecins; l’homme est du genre à s’enquérir d’abord de votre état de santé avant de vous parler du sien. C’est sans doute sa signature, sa marque d’humanité. Il rétorque: «Je me dis toujours que j’ai de la chance d’être malade en Suisse, de bénéficier de la compétence de la professeure Calmy, de mon hématologue, Anne-Claire Mamez, de mon médecin traitant, Mathieu Rougemont.» Sans oublier Tristan, l’ami fidèle, toujours à ses côtés pour un coup de main ou une virée shopping. «Quand j’étais en chambre stérile, coupé de tout, quand j’étais sur le point de craquer, je pensais aux enfants de l’hôpital pédiatrique voisin, ils m’ont donné une sacrée force!» Une tranche de vie qu’il ne revivrait pour rien au monde. «J’ai été confronté pour la première fois avec la mort à courte échéance en apprenant qu’il me restait six mois à vivre sans une greffe de moelle osseuse.» 

Le Genevois Romuald alias le patient de Genève a guéri du sida

Dans le bureau de la professeure Calmy (à g.) avec son médecin traitant, le Dr Rougemont, et son hématologue, la Dre Mamez.

Magali Girardin

Guérison improbable 


Soigner son cancer restait la priorité même si l’on cherchait un donneur porteur de cette fameuse mutation génétique. Romuald se souvient de la déception de la professeure Calmy quand elle est entrée dans sa chambre pour lui annoncer que le donneur trouvé n’en était pas pourvu. «Elle aurait pu se désintéresser de mon cas; de plus, le donneur ne matchait qu’à 90% avec moi. Mais elle a été formidable, elle a été à mes côtés à chaque moment!» La professeure nous confiera dans son bureau des HUG qu’à ce moment «personne ne croyait sérieusement à une guérison».

Avant Romuald, six autres patients dans la même situation avaient vu leur virus réapparaître quelques mois plus tard. «Comme tous ses prélèvements avaient déjà été envoyés à l’Institut Pasteur, on a continué à le suivre malgré l’absence d’un greffon porteur de cette mutation rare dont on pensait qu’elle était indispensable pour obtenir une rémission durable», explique encore la spécialiste. Mais le constat arrive très vite. Un mois après la greffe, les cellules sanguines de Romuald ont été entièrement remplacées par celles du donneur. Avec une diminution drastique de celles porteuses du VIH. Aucune trace non plus dans les mois qui suivent du virus dans ce qu’on appelle les réservoirs viraux activables (tous les endroits du corps où le virus peut se loger). Sa trithérapie sera désormais allégée jusqu’à ce que son médecin traitant décide d’arrêter, il y a deux ans, le traitement. Romuald est indétectable jusqu’à ce jour même si la prudence reste de mise. Son cas ne sera dévoilé à la presse qu’en juillet 2023. Comment expliquer une telle rémission? Plusieurs hypothèses. Le rôle joué par les immunosuppresseurs, nécessaires après la greffe, qui ont pu endormir les dernières traces du virus et éviter sa réactivation. La réaction «du greffon contre l’hôte» qui a rejeté à un certain moment l’organisme du receveur et, ce faisant, a peut-être participé à l’élimination des cellules infectées. Ou encore une constellation génétique favorable.

Romuald est conscient aussi qu’on ne va pas proposer une greffe de moelle à tous les malades du sida, le processus est bien trop agressif. N’empêche que les résultats exceptionnels liés à son cas vont permettre, selon l’Institut Pasteur, de «mieux comprendre les mécanismes d’élimination et de contrôle des réservoirs viraux qui seront importants pour l’élaboration de traitements curatifs du VIH». Une maladie qui a encore fait de par le monde 630 000 victimes en 2022. Il est très fier d’apporter sa contribution à l’objectif de voir un jour ce virus rangé au rayon des mauvais souvenirs. «Je crois que mon destin, c’était de devenir «le patient de Genève». Je n’ai peut-être pas fait beaucoup de choses dans ma vie mais au moins j’aurai réussi cela!»

>> Les liens chers à Romuald:

- Pour le don de cellules souches: blutstammzellspende.ch/fr 
Groupe santé Genève, association active dans la lutte contre le VIH: groupesantegeneve.ch

Par Baumann Patrick publié le 3 décembre 2023 - 00:43