En juin 1971, à l’écart d’un terrain de polo, les premiers mots de Camilla Rosemary Shand, 24 ans, au prince Charles, son cadet d’une année, furent: «Mon arrière-grand-mère et votre arrière-arrière-grand-père étaient amants.» L’entrée en matière de la future Mme Parker Bowles à celui qu’elle épousera trente-quatre ans plus tard en secondes noces laissait peu de doute sur ses intentions. Cette invitation peu protocolaire à faire connaissance, et plus si entente, électrisa Charles. Lui, le fils aîné fragile, l’enfant moqué, le souffre-douleur des internes de Gordonstoun, en Ecosse, où l’envoya son père afin d’«endurcir cette femmelette», a toujours manqué d’assurance.
Garçon sensible, porté sur les arts et la nature, Charles était désireux de continuer à jouir de la vie et du magnétisme que lui conférait, auprès des femmes, son statut d’héritier de la Couronne. Mais en ne voulant pas entendre parler de mariage, il se dérobait à son destin. Par devoir, il devait trouver non pas l’amour, mais celle qui enfanterait des héritiers. Une lourde tâche. Lasse d’attendre, Camilla en épousera un autre. Quoi qu’il en soit, elle ne remplissait pas tous les critères imposés par la Couronne, notamment celui de la virginité, et ne semblait pas prête à se plier aux contraintes étouffantes de la famille royale.
A cette époque, nul ne songe encore à Diana Spencer. La future princesse a 10 ans. Comment pourrait-elle imaginer que celle qui flirte avec Charles va devenir sa rivale? Ce triangle amoureux impliquant deux femmes et un prince tisse un scénario digne d’un drame shakespearien. Comme l’écrit Marc Roche, journaliste au Monde, dans «Un ménage à trois» (Albin Michel, 2009), il y aura dans la vie de Charles «une femme imposée par la cour pour la pérennité de la dynastie et une femme qu’il aime». Un scénario dont on mesure aujourd’hui encore les conséquences.
Cette romance empoisonnée est l’un des ressorts de la nouvelle saison de la série «The Crown», succès majeur sur Netflix. Quarante ans plus tard, elle cristallise, contre Charles et Camilla, à travers les réseaux sociaux cette fois, une vague de haine sans précédent. Depuis le mois de mars, le prince a perdu sept points de popularité pour n’atteindre que 59% d’opinions favorables ces jours. La semaine passée, on apprenait que Clarence House, la résidence du couple, avait ordonné la fermeture des commentaires de son compte Twitter. L’hostilité manifestée envers l’aîné de la reine – «Il ne mérite pas de devenir roi» – et l’attachement indéfectible à Diana – «sa grandeur sera éternelle» – ont fait ressurgir de vieux démons.
Avant d’approcher Diana, fraîche et joyeuse, Charles fréquente sa sœur, Sarah Spencer. L’impatience de la reine Elisabeth et du prince Philip va précipiter les choses. A leurs yeux, seule l’innocente cadette, parfaite oie blanche, peut apporter la touche de fraîcheur qui fait défaut chez les Windsor. Sa virginité incontestable fut défendue par Lord Fernmoy, son oncle, comme le rapporte Tina Brown dans l’ouvrage «The Diana Chronicles». D’aucuns prétendent qu’elle aurait été certifiée par le Dr Pinker, gynécologue de la reine. On était loin d’imaginer alors que ce scénario aux allures de conte de fées allait déraper, ébranler la monarchie et se terminer dans les larmes et le sang.
Tout au long de l’intrigue, le fard de la passion amoureuse dissimule mal le mensonge et le jeu de pouvoir. Ainsi, Lord Mountbatten, le grand-oncle de Charles, tentera lui aussi de guider le destin de la Couronne. S’il rêve qu’Amanda, sa petite-fille, épouse le prince, c’est pour imposer son nom au détriment de celui des Windsor. Croyant ruser, il enverra son petit-neveu en mission sur la frégate Minerva dans les Caraïbes afin de l’éloigner de Camilla. En vain. Amanda repoussera Charles, le considérant avant tout comme «un grand frère». Pire, à la mort de Mountbatten, tué dans un attentat perpétré par l’IRA, Charles ira se réfugier auprès de la maternante Camilla afin de se consoler de la disparition de son mentor.
Le prince va convoler avec Diana le 29 juillet 1981 à la cathédrale Saint-Paul de Londres. Dans sa garçonnière de Wellington House, il reçoit régulièrement Camilla, femme mariée depuis huit ans. Là, il lui offre un bracelet gravé des initiales de leurs surnoms, Fred et Gladys, inspirés par un show radiophonique. Selon «The Crown», Diana l'apprit en déjeunant avec Camilla. Par la suite, elle serait tombée sur les esquisses du bijou dans le bureau de son mari. En fait, c’est un proche de Charles qui l’a mise au courant. Quant au F et au G entremêlés, ils signifieraient plutôt friday girl, soit «la fille du vendredi». Référence à un film de Howard Hawks, «His Friday Girl».
Charles et Camilla vont-ils continuer à se fréquenter? La veille des noces, lorsque la reine donne, en l’honneur des futurs époux, une soirée devant 800 invités, au moment où retentit le God Save the Queen, Diana rejoint sa résidence de Clarence House et Andrew Parker Bowles sa caserne. Camilla, l’épouse de ce dernier, monte retrouver Charles dans sa chambre. L’affaire a été révélée par un valet soudoyé par un tabloïd anglais. Il était chargé de conduire la maîtresse à l’amant. «Vous êtes la seule femme que j’ai aimée. Personne ne prendra jamais votre place. Diana devra s’y faire», dira Charles, terrifié à l’idée de son mariage. Camilla lui répondra: «Nous resterons amis, mais pas plus. Il faudra s’y habituer.» Vœu pieux, la passion l’emportera sur la raison.
Ce soir-là, seule dans sa chambre, Diana contemple sa robe de mariée. Elle a bien songé à tout annuler, mais ses deux sœurs l’en ont dissuadée: «Ton visage est déjà brodé sur les serviettes à thé, il est trop tard pour te dégonfler.» Des années plus tard, elle se confiera à Jennie Bond, une amie proche. Cette experte de la royauté a rendu public le terrible aveu de Diana à l’occasion d’un documentaire diffusé sur Channel 5: «Elle s'était sentie comme un agneau que l'on envoyait à l'abattoir en s'avançant vers l'autel.»
Dans l’imaginaire collectif, Camilla endossera le mauvais rôle; elle a pourtant essayé de raisonner et d’aider un Charles désemparé face aux tourments de sa femme. Ainsi, après la naissance de Harry, alors que Diana est en proie à des troubles alimentaires de plus en plus aigus – elle a perdu 12 kilos –, Camilla l’apaise: «Mon chéri, soyez patient, elle est tellement jeune et naïve. Personne ne peut comprendre la difficulté de sa position. Passez plus de temps avec elle et moins avec vos amis.» En parallèle, les services secrets ont eu vent d’un stratagème: Diana joue contre Camilla. La jeune épouse utilise la ligne directe de son mari pour harceler téléphoniquement sa rivale, laissant sonner le combiné avant de raccrocher.
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Ses problèmes de dépression et sa boulimie ont démarré juste après la noce. «Elle pue le vomi», se plaindra Charles. Le couple mal assorti n’a jamais vécu sous le même toit. Diana, cloîtrée, sait qu’il en aime une autre. Le huis clos royal est étouffant. La jeune princesse découvre deux photos de Camilla dans l’agenda de son mari. Et, lors d’un voyage vers l’Egypte à bord du Britannia, les boutons de manchettes qu’il porte, ornés de l’initiale C. L’époux volage, sans se départir de son flegme, lâchera: «Ma chérie, c’est son cadeau de mariage (de Camilla, ndlr), vous n’allez pas gâcher notre plaisir.» Jalouse, maladivement possessive, Diana insiste. Il lui fait alors comprendre que son attachement à Camilla n’est pas négociable. De rage, elle surnomma sa rivale le Rottweiler et, en retour, Camilla l’affubla du sobriquet de Souris. Les deux femmes auraient-elles pu devenir complices? Une première rencontre fut arrangée dans ce sens.
Charles organisa le rendez-vous en octobre 1980, à l’occasion du steeple-chase de Ludlow, auquel il participait. L’une a 33 ans, l’autre 19. Déjà, Camilla se permet de donner à sa cadette des conseils quant à la façon de se comporter avec le futur roi. Elles déjeuneront ensemble, mais pas au restaurant baptisé Le Ménage à Trois, comme le suggère «The Crown». L’établissement, s’il a existé, était fermé à l’époque. La conversation reconstituée pour les besoins de la série est proche de la réalité. Le journaliste britannique Andrew Morton fut le premier à la décrire, dans son best-seller «Diana: sa vraie histoire» (1992). A partir de cet instant, Diana se méfia de Camilla comme la mangouste du cobra.
Il faut attendre 1989 pour qu’elle trouve le courage de lui dire ce qu’elle pense: «Je sais ce qui se passe entre toi et Charles et je veux juste que tu le saches.» Camilla répondit par une interrogation: «Tu as tout. (...) Que veux-tu de plus?» Diana répliqua sèchement: «Je veux mon mari.»
Le 18 décembre de cette année-là, une conversation intime entre les deux amants fut rendue publique. La manœuvre – signée Diana, dit-on – profita au Sun. Il en publia l’intégralité. Charles y déclarait sa fougue, ajoutant, qu’il aimerait «vivre à l’intérieur du pantalon» de Camilla. Non pas réincarné en petite culotte, comme elle le lui suggérait, mais sous la forme d’un tampon hygiénique. Jugé obscène, le scandale, baptisé «Tampongate» ou «Camillagate», fit sortir de sa réserve le major Bruce Shand, le père de Camilla. Il convoqua Charles et l’accusa de déshonorer sa fille et la monarchie. En guise de représailles, le prince fit divulguer la relation entre Diana et James Gilbey, son amant. L’affaire, enrubannée de vengeance, fut livrée au Sun.
Triste et cruelle, la réalité dépasse la fiction. Charles et Diana divorcèrent le 28 août 1996. Elle mourut au faîte de sa gloire et de sa beauté, dans un accident de voiture, à Paris, le 31 août 1997. Camilla et le prince se marièrent huit ans plus tard, le 9 avril 2005. Et si elle a renoncé au titre de princesse de Galles afin de ne pas froisser les tenants de la mémoire de sa rivale, le jour où Charles accédera au trône, Camilla pourra, si elle le souhaite, se faire appeler reine.