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Drogue et sexe

Chemsex, le piège de l'addiction 

Le chemsex, dangereux mélange entre sexe et drogue, est une pratique qui se développe et sur laquelle des spécialistes avertissent le public pour éviter le piège de l'addiction. Surtout quand ce sont les plus jeunes qui en font les frais. Décryptage.

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Chemsex

D’abord pratiqué dans une dimension festive et de recherche de plaisir, le chemsex peut amener ses adeptes sur la piste dangereuse de la dépendance et les exposer à de nombreux risques pour leur santé.

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Quand le piège se referme sur les plus jeunes

Pour beaucoup, dans un contexte de doute identitaire, de détresse psychique, de sensation tenace d’être mal dans sa peau, tout a commencé de manière insidieuse. «Le tabac, l’alcool, puis le cannabis sont de loin les premières substances auxquelles sont exposés les adolescents, rappelle le Dr Sylvain de Lucia, médecin à l’Unité des dépendances des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Et on observe que la consommation est plus élevée chez les jeunes hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes.» Une situation les exposant également aux dangers du chemsex? Pour le spécialiste, c’est une évidence: «Même si le phénomène reste marginal chez les plus jeunes, certains d’entre eux, en proie à un malaise profond ou en quête de nouvelles expériences, peuvent entrer dans un engrenage très rapidement, le plus souvent par le biais de sites de rencontres. C’est alors un univers au potentiel puissamment addictif et extrême qui s’ouvre à eux et peut en faire des proies faciles.»

La tranche d’âge des 16-25 ans, même si elle est minoritaire parmi les consommateurs de chemsex, serait ainsi la plus vulnérable vis-à-vis des dangers de ces drogues. On compte parmi eux le risque d’addiction, de contracter des infections transmissibles par le sang (hépatite C, VIH) ou lors de rapports sexuels (VIH, chlamydia, gonorrhée, syphilis) ou d’être victime d’abus sexuels. «A cet âge-là, les jeunes sont encore en construction, l’identité se forge. Le fait que le cerveau ne finit sa formation qu’à 25 ans a des conséquences très concrètes, par exemple sur la difficulté à mesurer les risques, à se fixer des limites ou à s’opposer à un rapport avec un partenaire insistant, alerte le Dr de Lucia. Ce mélange de naïveté et de fragilité, masqué en euphorie sous l’effet de certaines drogues et des attirances sexuelles, peut constituer un piège extrêmement périlleux.»


«Le chemsex a failli avoir ma peau»

Loïc a 22 ans lorsqu’il découvre le chemsex. Aujourd’hui infirmier au Checkpoint Genève, il raconte ce qu’il a vécu comme une descente aux enfers, mais également son cheminement vers le rétablissement.

Je me savais obsessionnel. Il y a d’abord eu l’alcool, puis le cannabis: je consommais, beaucoup trop, de façon compulsive. Et je suis tombé dans le chemsex. Cela s’est produit le jour où j’ai testé les cathinones. Très vite, ma vie s’est organisée autour d’elles et des hommes qui allaient avec. Car il s’agissait bien de cela: assouvir mes besoins toujours plus dévorants en drogue et en sexe. En quelques mois, j’ai basculé dans l’enfer d’une addiction violente, du mensonge, des prises de risques. Je pouvais passer trois jours à ne vivre que dans ce monde parallèle, sans boire, sans manger. Les descentes qui suivaient étaient terribles. Il y avait l’épuisement, les intoxications qui me conduisaient à l’hôpital et le retour à l’état «de base» que je fuyais. Celui-ci alliait le manque de confiance en moi, l’impression de ne pas appartenir à ce monde… Et je replongeais, tout en me suppliant moi-même d’arrêter.

Pour m’en sortir, j’ai tout essayé – psychothérapie, psychanalyse, sevrage –, sans succès. Et, un jour, une conseillère en addiction a eu cette formule toute simple qui m’a fait l’effet d’un électrochoc: «Tu consommes parce que tu es dépendant.» A partir de là, je suis sorti du déni et j’ai dû trouver des clés pour ne plus consommer. J’ai découvert la méthode Minnesota, basée sur l’abstinence totale de drogue et un puissant réseau de soutien. Et tout a changé. Aujourd’hui, j’ai 29 ans, je vais bien. Je reste vigilant, conscient qu’un miracle s’est produit alors que le pire aurait pu m’arriver. Mais non, les personnes dépendantes ne sont pas condamnées à l’hôpital, à la prison ou à la mort: le rétablissement est possible.


Comment s’en sortir? Quelle prise en charge?

D’abord pratiqué dans une dimension festive et de recherche de plaisir, le chemsex peut amener ses adeptes sur la piste dangereuse de la dépendance et les exposer à de nombreux risques pour leur santé. La première action menée sur le terrain par les associations du domaine de la santé sexuelle sera donc la sensibilisation des publics concernés à l’aide de campagnes d’information ciblées. Auprès des «chemsexeurs», des kits de consommation (par injection, inhalation, ingestion) à moindre risque sont proposés afin de limiter les risques de mésusage et d’infections transmissibles par le sang ou lors de rapports sexuels.

Des espaces de parole entre pairs se sont également peu à peu mis en place. Ils sont proposés à ceux qui désirent échanger sur ce sujet ou en difficulté avec leur consommation. «Il est important d’offrir à ces personnes, qui appartiennent à une communauté déjà victime de nombreux jugements et discriminations, des espaces de discussion spécifiques qui prennent en compte les particularités du chemsex, insiste Florent Jouinot, responsable de la coordination romande pour l’Aide suisse contre le sida. Elles sont très mal à l’aise dans des groupes de type narcotiques anonymes, où le vécu et les trajectoires de vie des participants sont totalement en décalage.»

Le soutien par les pairs est déterminant, confirme le Dr Stéphane With-Augustin, psychologue au Pôle Cité (Université de Genève). «Lorsqu’il ne suffit pas à sortir de la dépendance, un suivi médical avec un psychiatre, psychothérapeute, addictologue… peut être proposé. Mais il faut que la personne soit parvenue à une certaine prise de conscience quant à sa consommation problématique.»


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Par Laetitia Grimaldi publié le 11 juin 2021 - 15:42