- La décision des Pays-Bas d’interdire l’élevage ou la détention d’animaux avec un museau plat a-t-elle surpris la communauté des spécialistes en Suisse dont vous faites partie?
- Deborah Rohner: Non. Le sujet fait depuis longtemps débat dans les milieux vétérinaires spécialisés. Mais les interdictions ne constituent pas une solution durable, car elles ne feraient que déplacer le problème dans l’illégalité. En Suisse, nous envisageons une autre solution. En collaboration avec les éleveurs, les associations d’élevage, la SCS (Société cynologique suisse) et quelques vétérinaires spécialisés, nous essayons d’améliorer les races brachycéphales de carlins, de bouledogues français, de bouledogues anglais et de bouledogues continentaux par des examens d’élevage ciblés. En outre, il serait extrêmement important d’informer et de sensibiliser la population à ce sujet. Il existe encore de nombreux propriétaires qui achètent de jeunes chiens fortement brachycéphales à l’étranger (le plus souvent sur internet auprès de sources non contrôlées) sans savoir à quoi ils s’exposent.
- Il est précisé dans l’ordonnance sur la protection des animaux que les contraintes exercées sur les animaux par l’expression de certains caractères doivent être légères. Quid du nez plat?
- Le nez plat n’est pas spécifiquement mentionné dans ce sens. Mais on peut en tout cas interpréter l’ordonnance sur la protection des animaux de cette manière, car elle précise l’interdiction de «l’élevage d’animaux susceptible de les priver de façon héréditaire de parties du corps ou d’organes utilisés couramment par l’espèce ou d’entraîner des malformations qui leur causeraient des maux, des douleurs ou des dommages».
Le nez du chien est mesuré pour des études complémentaires. Guizmo a déjà subi par le passé une opération pour couper la partie molle du palais au fond de la gorge. Du fait de la taille raccourcie de sa tête, elle devenait trop longue et provoquait une obstruction du larynx.
Julie de Tribolet- Y a-t-il des statistiques sur le nombre de chiens souffrant de ces pathologies, et sont-elles en hausse?
- Le nombre de chiens brachycéphales détenus en Suisse est en augmentation depuis des années. A ma connaissance, il n’existe pas de données publiées quant à savoir si ces chiens souffrent davantage. Mais nous travaillons sur des études pour disposer de tels chiffres à l’avenir.
- Quelles sont les races de chiens et de chats concernées par le phénomène du nez aplati?
- Le carlin, le bouledogue français, le bouledogue anglais, le bouledogue continental sont certainement les races de chiens qui nous sont le plus souvent présentées à la clinique pour des problèmes respiratoires. Mais d’autres races sont également brachycéphales: bouledogue américain, boxer, shih tzu, cavalier king charles, pékinois, border terrier, lhassa apso et pinscher. Chez les chats: persan et exotic shorthair, ainsi que british shorthair, himalaya et birman.
- Observez-vous des mutations génétiques de plus en plus accentuées au fil des ans?
- Nous avons l’impression que la situation s’est légèrement améliorée au cours des dernières années. On ne peut bien sûr pas généraliser, car il y a de meilleurs et de moins bons cas dans chaque race. C’est là qu’interviennent l’étude et la recherche en matière d’élevage pour continuer à améliorer la qualité de vie des animaux.
La vétérinaire Deborah Rohner pratique une laryngoscopie de contrôle, car le chien a toujours des problèmes respiratoires.
Julie de Tribolet- Quels sont les problèmes médicaux les plus fréquents que rencontrent les bouledogues français et les carlins?
- Ces races souffrent souvent du syndrome de l’obstruction brachycéphale des voies respiratoires, mais les problèmes de dos, les problèmes digestifs, les problèmes oculaires et les problèmes de peau sont également fréquents.
- Dans le cas du carlin, il est précisé qu’il ne doit pas faire trop d’efforts sous peine d’essoufflement, voire d’évanouissement, est-ce vrai?
- C’est exact. Et c’est pourquoi une partie du nouveau test d’aptitude à l’élevage consiste également en un test à l’effort aussi standardisé que possible. Ce test sera bien entendu effectué dans des conditions contrôlées et sera interrompu si le chien montre les premiers signes de problèmes respiratoires.
Guizmo subit sous anesthésie un scanner de la tête et du thorax. Il a également des malformations de la colonne vertébrale.
Julie de Tribolet- Y a-t-il des limites légales imposées aux éleveurs en matière de manipulation génétique?
- Comme mentionné ci-dessus, l’ordonnance sur la protection des animaux interdit les «pratiques d’élevage cruelles». Je n’ai toutefois pas connaissance d’une action en justice contre les éleveurs. Ce serait d’ailleurs probablement difficile, car de nombreux éleveurs sérieux font déjà de bons efforts, alors que les animaux issus d’élevages amateurs et de l’étranger sont parfois encore très fortement touchés et que leur importation est apparemment difficilement contrôlable.
- Peut-on moralement encourager ce genre de pratique?
- De nombreux chiens brachycéphales que nous voyons tous les jours à la clinique souffrent effectivement de diverses maladies et la situation doit être améliorée de toute urgence. Il est donc important pour nous d’informer et de collaborer avec les éleveurs, les associations d’élevage et la population, mais aussi avec les autorités, les douanes. Il serait également important de sensibiliser la publicité et le secteur cinématographique afin d’éviter que les chiens brachycéphales ne soient omniprésents et commercialisés de manière positive. Il s’agit donc d’un problème à multiples facettes et nous avons encore beaucoup de travail à faire. Nous sommes toutefois heureux de pouvoir faire un pas dans la bonne direction avec le test d’aptitude à l’élevage nouvellement mis en œuvre.
Malheureusement, l’état de santé du chien ne peut guère être amélioré. D’où l’importance pour Deborah Rohner de sensibiliser les futurs propriétaires aux problèmes rencontrés.
Julie de Tribolet>> Lire aussi: Le scandale des chiens au museau aplati