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Interview

Christelle Luisier Brodard face à la polémique autour de Sanna Marin: «chanter et danser, c’est positif»

A l’image de la première ministre finlandaise Sanna Marin, prise dans une vive polémique pour avoir osé danser et chanter, la présidente PLR du gouvernement vaudois, Christelle Luisier Brodard, possède elle aussi un tempérament convivial. Elle compatit à ce qu’a subi la jeune politicienne.

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Christelle Luisier

«Chacun décide comment il peut relâcher la pression, y compris la première ministre finlandaise», Christelle Luisier Brodard, Conseillère d’Etat PLR.

Darrin Vanselow
Jade Albasini

Une soirée d’été à Helsinki, une bande de copines, des cocktails. Des trentenaires dansent et chantent. Leur instant d’allégresse est partagé sur les réseaux sociaux. A première vue, on dirait simplement des tiktokeuses, sauf que l’une d’entre elles est la première ministre de la Finlande, Sanna Marin. Les images deviennent virales. Les critiques fusent: quid du comportement d’une dirigeante responsable d’un pays sous tension? Face à la polémique, la politicienne de 36 ans est contrainte de s’excuser publiquement et doit même se soumettre à un dépistage de drogues. Le résultat est négatif. En soutien, une vague de Finlandaises postent à leur tour des vidéos où elles font la fête avec le hashtag «#SolidarityWithSanna». Quelques jours plus tard, une photo prise dans la résidence officielle de la cheffe du pays met de l’huile sur le feu. On y voit un couple de femmes dénudées qui s’embrassent dans une soirée avec le panneau «Finland» qui cache leur poitrine. Devant la controverse, Sanna Marin s’explique de nouveau. Depuis, ce ne sont plus les louanges de sa gestion irréprochable de la pandémie ou son sang-froid devant la menace voisine russe qui apparaissent sur les fils d’actualité. Ce que l’on découvre, c’est son visage ému et ses justifications, «je suis humaine» ou «je n’ai jamais manqué un seul jour de travail». Christelle Luisier Brodard, 47 ans, présidente du Conseil d’Etat vaudois, est bien placée pour comprendre la pression vécue par la première ministre finlandaise. Elle observe, avec recul, ce tollé numérique.

- Comment avez-vous réagi en découvrant la vidéo de la première ministre finlandaise qui danse avec ses copines?
Christelle Luisier Brodard: Ce qui m’a marquée, ce n’est pas le contenu mais les réactions politiques que cela a visiblement engendrées en Finlande. Je me suis interrogée: il n’y a pas d’actualité plus importante que celle-ci? Si la vie privée d’un ou d’une responsable politique a une influence sur ses activités et responsabilités publiques, il faut évidemment en parler. Mais je ne vois pas en quoi un moment de partage et de convivialité avec ses amis est problématique ou illégal. Vous, moi, tout le monde a le droit de faire la fête.

>> Lire aussi: Sanna Marin, continuez à danser maintenant! (l'éditorial)

- Elle s’est excusée publiquement, acceptant de faire un test de dépistage de drogues. De l’excès de zèle?
- Elle a sans doute réagi comme elle a pu. Du moment que vous êtes soupçonné d’une prétendue activité illégale, ça vous incite à prouver que vous êtes resté dans les clous. Ce qui est regrettable, c’est que, en 2022, on considère encore comme suspect une femme qui danse et qui chante. D’autant plus alors qu’elle assume ses obligations professionnelles.

- Après une deuxième controverse, Sanna Marin s’est de nouveau exprimée en disant «je suis humaine» et «je n’ai jamais manqué un seul jour de travail». Qu’avez-vous envie de lui répondre?
- Les responsables politiques sont des êtres humains à qui on demande plus que la moyenne. Nous représentons une fonction, nous avons été élus, il y a donc une exemplarité attendue, ce qui est compréhensible. Mais il n’y a visiblement rien de problématique dans son comportement. Je ne peux qu’imaginer la pression qu’elle a subie et l’émotion qui en découle.

Sanna Marin

La première ministre finlandaise a dû, très émue, présenter des excuses publiques.

keystone-sda.ch

- Elle était d’ailleurs au bord des larmes lors de son speech. Vous la comprenez?
- J’ai ressenti une forme d’empathie en voyant ces images. Elle aurait pu choisir l’approche «never explain, never complain», mais c’est compliqué à tenir, de nos jours. Elle a préféré s’expliquer, je peux donc le comprendre.

- Le plus important journal finlandais, «Helsingin Sanomat», a estimé qu’elle a perdu le contrôle d’une situation. Vous êtes d’accord?
- Il faut être attentif à son image publique, on doit être digne de sa fonction. En revanche, qu’est-ce qu’on attend des politiques? Qu’ils s’abstiennent de partager des moments de joie avec des proches ou qu’ils délivrent un service de qualité à la population? En plus, ces images avaient pour vocation de rester privées. Elle ne les a pas diffusées intentionnellement.

>> Lire aussi: Le parcours de Sanna Marin, première ministre finlandaise qui défie Moscou

- Est-ce que tous ces éléments la décrédibilisent, alors que son parcours était prometteur jusque-là?
- J’espère qu’elle sera plutôt jugée à l’aune de son bilan. On voit qu’elle bénéficie d’un fort soutien populaire, avec le partage des vidéos de citoyennes qui dansent et font la fête sur les réseaux avec «#SolidarityWithSanna». Vu d’ici, c’est plutôt rassurant.

- En Suisse, une politicienne bénéficierait-elle de la même vague de soutien?
- J’espère qu’ici une telle polémique n’existerait pas, mais, si cela devait se produire, il faut espérer qu’une part de citoyens et citoyennes répondraient présent.

- Si elle avait été un homme, aurait-elle été traitée différemment?
- La pression sur l’image publique d’une femme est toujours plus forte. Mais je trouve aussi qu’il y a actuellement une tendance malsaine à vouloir s’immiscer dans la vie privée des personnalités publiques. La sphère privée se rétrécit, c’est inquiétant. Je comprends qu’on veuille de la transparence, mais le principe du respect de la vie privée doit être préservé.

- Vous êtes la présidente du Conseil d’Etat vaudois et on vous décrit comme «fêtarde». Vous assumez?
- Pour ma part, je me décris comme une personne sociable et attachée à la convivialité. Les fêtes populaires, comme les Brandons, c’est mon histoire, qui je suis. J’ai grandi dans un café et j’ai fait ma carrière politique dans ma commune, Payerne, qui valorise le côté festif. Partager de bons moments, c’est tout simplement la vie. Par ailleurs, et c’est très important, les interactions sociales que l’on construit hors politique, c’est aussi ce qui permet d’être à l’écoute des gens. Rester cloîtré dans sa tour d’ivoire est la pire des postures que peut prendre un ou une responsable politique, à qui on demande légitimement de l’écoute et de la compréhension.

- Votre tempérament démonstratif et jovial, on vous l’a déjà reproché dans votre exercice politique?
- Pas frontalement, en tout cas. Encore une fois, je viens d’une région où être proche des gens et apprécier les traditions locales sont des qualités.

- Adoptez-vous un autre comportement lors d’une fête dans le cadre privé? Vous osez davantage?
- On est toutes et tous un peu différents dans un événement professionnel ou privé. Pour ma part, je reste authentique. Je suis spontanée et directe, car chassez le naturel, il revient au galop. Je ne vais pas me censurer dans un événement public. Après, il est évident qu’on est plus détendu en compagnie de son cercle restreint, ce qui est normal et rassurant, non?

- Quand vous êtes en soirée avec des proches, vous prenez des précautions pour ne pas apparaître sur les réseaux sociaux?
- Ça ne viendrait pas à l’esprit de mes proches de filmer nos rencontres et de les partager sur Instagram. Après, dans un plus grand événement, comme un mariage, on n’est jamais à l’abri.

- Pour affronter le stress, la fête, c’est une forme d’échappatoire?
- Au même titre qu’une balade dans la nature, une activité sportive, la lecture ou une sortie culturelle, un moment partagé entre amis, cela ressource. Il n’y a pas de hiérarchie morale. Chacun décide comment il peut relâcher la pression, y compris Sanna Marin. Finalement, chanter et danser, c’est plutôt positif, non?

Par Jade Albasini publié le 2 septembre 2022 - 08:44