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Christine Hug, première haut gradée transgenre de l’armée suisse est décédée

Elle était la première femme transgenre à travailler à l’état-major
 général de l’armée suisse. Plusieurs médias alémaniques ont annoncé le décès de Christine Hug. «L'illustré» avait rencontré cette officière d’un 
nouveau genre en 2019. Elle se livrait alors sans détour sur son coming out et sa nouvelle vie.

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Christine Hug chez elle à Tschepppach (SO), posant à côté d'un portrait de sa femme Tanja. Magali Girardin

Il s’appelait Christian. Depuis le printemps 2019, le, ou plutôt la lieutenant-colonelle Hug, se prénomme Christine. Mascara, léger khôl, ongles manucurés et serre-tête fixé dans des cheveux mi-longs, tout cela contraste avec le treillis militaire et les rangers. Christine Hug commande un bataillon de chars blindés, soit près de 900 soldats, tout en travaillant à l’état-major général. A 39 ans, elle est la première transgenre haut gradée de l’armée suisse, avec ses deux «nouilles» de lieutenant-colonelle sur les épaules.

Armée omniprésente


Nous sommes à Tscheppach, dans le canton de Soleure. L’armée est omniprésente dans la vieille ferme qu’habite Christine, entre la bibliothèque remplie d’ouvrages d’histoire militaire et des tableaux de scènes martiales. Chez les Hug, l’uniforme est une histoire de famille. Née d’une mère photographe et d’un père officier, également fondateur du Musée militaire de Full-Reuenthal, la jeune femme a baigné dans la chose militaire dès l’enfance.

Pourtant, celle qui rêvait de devenir pilote ne se prédestinait pas forcément à une carrière sous les drapeaux. Après avoir arrêté une formation en droit «déconnectée de la réalité», elle décroche un master en histoire à l’Université de Zurich, avec une spécialisation en histoire militaire. A la fin de ses études, alors qu’elle hésite à poursuivre dans ce domaine, l’armée lui propose un poste d’officier de carrière. Une offre difficile à refuser pour une passionnée de chars et jeune diplômée en quête de stabilité.

Elle a «toujours su»

 

Une image du passé. Christine Hug a commencé son traitement hormonal à 39 ans, quelques jours après son anniversaire.

Une image du passé. Christine Hug a commencé son traitement hormonal à 39 ans, quelques jours après son anniversaire.

DR

Si Christine a fait son coming out transgenre tardivement, elle a «toujours su». Enfant déjà, elle ne comprenait pas cette séparation garçon/fille, remarquait qu’elle n’avait «rien en commun avec les garçons», sentait que quelque chose clochait. Un sentiment qui s’est renforcé à l’adolescence, vers 12-13 ans. «J’ai compris que mon identité n’était pas en adéquation avec mon corps. J’étais une femme née dans un corps d’homme. Mais je me disais que c’était juste une phase, je ne voulais pas l’accepter.»

Alors, elle s’est efforcée de ne rien laisser transparaître, de se convaincre elle-même. Elle essayait de chasser ces pensées en occupant son esprit, en faisant du sport, plus précisément de l’aviron durant l’adolescence, cinq fois par semaine, puis de l’équitation dès ses 20 ans. Malgré ses efforts, ce tourbillon identitaire n’a jamais disparu. Mais il était impensable d’en parler à table. «La question des transgenres était un sujet tabou et méconnu à l’époque. C’était inimaginable d’aborder ma situation avec un père qui faisait parfois des blagues sexistes.»

Les Hug possèdent quatre chevaux qui gambadent dans leur champ. Ils font tous les jours des balades en famille.

Les Hug possèdent quatre chevaux qui gambadent dans leur champ. Ils font tous les jours des balades en famille.

Magali Girardin

Un couple en évolution


Alors que Christine évoque son enfance, une petite fille aux cheveux blonds tressés débarque dans la pièce avec un plateau de flûtes aux lardons, suivie de sa maman. Car Christine est mariée à Tanja depuis onze ans. Le couple s’est rencontré au musée militaire de son père. Celui qui était encore un jeune homme de 25 ans avait fait visiter un char à cette femme un peu plus âgée. Ils ont parlé d’eux, de chevaux, de leurs passions, de tout «sauf du char». Ce fut le coup de foudre. Ils prirent rendez-vous pour une balade à cheval et, depuis, ils ne se sont plus quittés. Julia est arrivée peu après, alors que Christine était encore aux études.

C’était une évidence, donc, que sa femme soit la première informée. «Je suis arrivée à un point où je ne pouvais plus me cacher, à moins de sombrer dans la dépression. Il fallait que j’en parle, quelles que soient les conséquences», confie Christine. Elle lui a écrit une lettre pour le lui annoncer, il y a trois ans. «C’était difficile. Tanja était sous le choc car elle ne s’en était jamais doutée. Elle le niait, pensait que c’était passager.» Au départ, elle refusa d’en discuter et ils continuèrent leur vie de famille «comme si de rien n’était».

Aujourd’hui, assise à ses côtés, Tanja s’exprime ouvertement sur leur relation. Mais elle est encore en phase d’adaptation, oscillant entre «il» et «elle», se référant souvent à son «mari». Si elle voit son «homme mourir chaque jour» depuis la transition, on sent qu’elle le regarde toujours avec amour. Le couple évoque sa passion pour leurs quatre chevaux, sa fascination pour Moscou, une spiritualité proche de la nature. Les deux femmes aiment boire un verre de rouge le soir, mangent volontiers de la fondue, une raclette ou une entrecôte accompagnée d’une bonne sauce. «C’est très classique, oui, mais c’est bien aussi. J’ai déjà un mari qui est maintenant une femme», lance Tanja, provoquant l’hilarité générale. «Nous partageons beaucoup de choses, c’est sûrement ça qui nous fait tenir ensemble», raconte Christine. «Mais c’est loin d’être facile, ajoute sa femme, pensive. On verra ce que le temps nous réserve…»

Après quinze ans, le couple complice que forment Christine (à dr.) et Tanja, est en phase d’évolution.

Après quinze ans, le couple complice que forment Christine (à dr.) et Tanja, est en phase d’évolution.

Magali Girardin

Libération


Pour leur fille de 10 ans, Julia, ce fut plus simple. Son papa lui a annoncé sa transidentité un de ces soirs où ils ont l’habitude de discuter de tout et de rien, au bord du lit de la petite fille. «Elle m’a écouté et m’a simplement demandé si je restais son papa. Je lui ai dit que rien ne changerait entre nous, et elle a dit: «Alors tout va bien», raconte Christine avec émotion. Julia lui a même trouvé une nouvelle appellation: ce n’est plus «papa», ni «maman», mais «nana». Son frère et ses parents aussi ont bien réagi, en dépit de leur surprise et du classique «Comment est-ce que je ne l’ai pas vu venir?»

La lieutenant-colonelle Christine Hug en tenue militaire.

La lieutenant-colonelle Christine Hug en tenue militaire.

Magali Girardin

«Transgenre: inapte»


Après les proches, ce fut au tour de l’armée. Christine l’avoue, elle craignait la réaction de sa hiérarchie dans ce bastion traditionaliste et largement dominé par les hommes. «Mes chefs ont bien réagi, ils m’ont même demandé ce qu’ils pouvaient faire pour me soutenir.» Elle a ensuite informé par e-mail ses principaux collaborateurs, environ 700 soldats. Les réactions positives ont dominé, des soldats la félicitèrent pour son courage, pour avoir osé franchir le pas. «Mais je suppose aussi que certains jasent dans mon dos.» Si elle ne se considère pas comme une militante, elle espère que son cas pourra faire évoluer les mentalités et favoriser l’intégration des transgenres au sein de l’armée.

Pour l’instant, Christine Hug n’est pas à l’abri de devoir repasser un examen médical, le manuel militaire déclarant tout transgenre inapte, bien qu’il existe des possibilités de recours. Mais cela va peut-être changer. «Philippe Rebord, le chef de l’armée, a récemment demandé de retravailler ce manuel des années 1970 pour le mettre au goût du jour, indique Delphine Allemand, sa porte-parole. L’armée est un reflet de la société et essaie continuellement de s’adapter.»

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La garde-robe de Christine est exclusivement féminine. Il lui arrive de partager des habits avec sa femme.

Magali Girardin

Depuis le coming out de Christine, c’est la renaissance. «Aujourd’hui, je suis une femme heureuse.» En témoignent sa penderie, qui a été vidée de tout habit masculin, son prénom changé, le traitement hormonal entamé. «J’ai la peau qui s’est affinée et adoucie, la poitrine qui a poussé.» Christine a fait plusieurs séances au laser pour diminuer sa pilosité, et dit avoir de la chance avec sa voix qui n’est «pas trop grave». Elle a aussi appris à se maquiller, grâce aux conseils d’une amie. Elle met toujours du mascara, colore parfois ses joues d’un soupçon de blush et aime peindre ses lèvres.

Cette transition, Christine la vit comme «une libération», même si «le matin, c’est beaucoup plus long pour se préparer»! Dès qu’elle aura un peu de temps, elle fera percer ses oreilles, à la pharmacie. Et cette semaine, elle se rendra à l’hôpital de Zurich, accompagnée de sa femme, pour fixer un rendez-vous crucial: son opération pour changer de sexe. Quand Christine Hug retire ses rangers, ses ongles vernis de rouge montrent qu’elle a remporté son premier vrai combat.


L'éditorial: Quand l'armée a une guerre d'avance


Par Michel Jeanneret

Dans un monde idéal, cela serait d’une banalité absolue. Une histoire qui n’aurait même pas mérité une mention dans notre magazine. Parce que chacun devrait pouvoir aller chercher son bonheur là où il se trouve. Parce que chacun devrait avoir le droit de vivre comme il l’entend, dès lors que ses choix personnels n’affectent pas la vie des autres. Mais le monde dans lequel nous vivons est loin d’être idéal et nous savons que cette édition de L’illustré nous vaudra de violentes critiques. C’est justement pour cette raison et tout ce qui précède que nous avons décidé de porter en couverture l’histoire extraordinaire de Christine Hug, 39 ans, transgenre et lieutenant-colonelle de l’armée suisse.

Lorsqu’on sait les insultes et les discriminations dont sont victimes les membres des communautés LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans) – 20% sont au chômage et, en moyenne, un coming out sur cinq se passerait mal –, on imagine sans peine le courage dont a dû faire preuve le lieutenant-colonel Christian Hug au moment d’annoncer à ses proches et à sa troupe de 900 hommes qu’il allait désormais falloir compter sur Christine pour défendre la nation. Un choix qui n’a pourtant pas été attaqué. La hiérarchie de cette jeune maman s’est montrée soutenante. Pas mal, de la part d’un bastion du conservatisme.

L’armée, dit-on, doit refléter notre société. C’est pour cette raison qu’on reproche souvent à cette institution pas très agile d’avoir une guerre de retard, mais c’est aussi pour cela qu’elle tente de s’adapter. A la menace et aux réalités sociales contemporaines. Sa ministre de tutelle, la conseillère fédérale Viola Amherd, plaidait récemment pour plus de diversité. En ouvrant la porte aux transgenres et en modifiant ses règlements, l’armée suisse fera un pas jamais vu: devancer les mentalités qui peinent encore à évoluer. Une armée à la pointe de la société, au lieu d’en être à la traîne. Une vraie bataille. Une révolution.


Par Olalla Pineiro publié le 16 septembre 2019 - 14:22, modifié 12 juillet 2023 - 09:43