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Christoph Blocher, de l’amour de sa vie à la passion de la politique

L’apprenti agriculteur est devenu milliardaire et conseiller fédéral. Pour ses 80 ans, Christoph Blocher revisite les théâtres de sa vie et de sa famille. Même si la politique ne le lâche jamais vraiment, il avoue: «Aujourd’hui, je ne m’en mêle plus du tout.»

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Fabienne Buehler

Il est debout dans le pré et regarde pensivement une haie de buissons foisonnants. «Jadis, la vue s’étendait depuis notre jardin jusqu’aux chutes du Rhin. Ça a l’air tellement paisible ici!» Le patriarche de l’UDC est dans le jardin de la maison de ses parents, à Laufen (ZH).

Christoph Blocher naît le 11 octobre 1940, septième de 11 enfants. La famille habite la cure, à côté de l’église où le père, Wolfram, prononce le sermon. Les Américains bombardent la cité proche de Schaffhouse, il y a 40 morts. Blocher n’a alors que 4 ans. Souvenir d’un enfant qui cherche refuge à la cave: «Le pire, c’est que ma tranche de tarte est tombée dans l’escalier!» La famille vit dans des conditions modestes: une salle de bains pour 13. Les sept plus petits partagent la même chambre. Les assiettes s’emplissent plus souvent de patates que de viande.

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Eté 1959: l’apprenti paysan Christoph à la ferme des Tardy à Pampigny (VD), avec le saint-bernard Berna et la fillette, Danièle. Paul Seewer

«Salut Christoph!» lance Edith Zuber, 87 ans, devant sa ferme d’Ossingen (ZH). C’est ici qu’il a appris les rudiments de l’agriculture de 1956 à 1958. Le chauffeur ouvre la portière de l’Audi noire, Blocher descend et se précipite vers la vieille dame. A la salle à manger, il y a du jus de pomme, tout comme naguère. «Je trayais les vaches, les faisais sortir, les ramenais à l’étable. Mais j’aimais surtout les chevaux.

Le petit «Söffel», comme le surnommaient ses frères et sœurs, sort du lot dès l’enfance. Tandis que d’autres écoutent les lectures bibliques du père, il se glisse chez les paysans voisins et se met au boulot. «J’éprouvais un grand besoin de nature, c’est pour cette raison que j’ai voulu devenir agriculteur.» Le père accepte ce choix, sans enthousiasme: la famille n’a pas de domaine et Blocher sera au mieux valet de ferme.

Aujourd’hui encore, il est fier de la nouvelle grange qu’il a peinte. Il y a logé le bétail et passé la première nuit à dormir en haut, dans le foin. «J’entends aujourd’hui encore le tintement des cloches.» Edith Zuber examine Blocher et sourit: «Il s’en est bien sorti.» Il s’informe de la récolte des patates, raconte comment, à 16 ans, il coltinait des sacs de 50 kilos. Le paysan qui est en lui ressurgit.

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Visite chez Edith Zuber à Ossingen. Il a fait ici deux ans d’apprentissage d’agriculteur. Fabienne Buehler

Blocher rattrape sa matu et étudie le droit. En 1962, un beau jour d’été à la piscine de Wald (ZH), il voit pour la première fois celle qui sera son grand amour. «Une femme splendide étendue sur sa serviette. Je savais qu’elle fréquentait la même école que mon frère Andreas. Ce fut mon prétexte pour l’aborder. J’ai vite remarqué qu’elle était très intelligente et intéressante», avoue Blocher. Ils se sont revus par hasard dans le train, puis se sont rapprochés. Au début, les parents de Silvia étaient sceptiques. Blocher était pauvre, un étudiant-paysan sans ferme. «Il m’a fallu lutter. Mes concurrents avaient des bagnoles de sport et moi tout juste un vélo militaire.» Mais elle opta en sa faveur. Ils se sont mariés le 4 octobre 1967 à Weinfelden (TG).

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Devant l’église évangélique de Weinfelden (TG). C’est ici que Silvia et Christoph Blocher se sont mariés, le 4 octobre 1967. Paul Seewer

Silvia et Christoph Blocher sont revenus devant le porche de l’église. A l’époque, Silvia, 75 ans aujourd’hui, était institutrice et rapportait un salaire à la maison. L’amour a été le plus fort. «Ça marchait tout simplement bien entre nous. Nous avions la même vision du monde.» Une année après le mariage, Silvia est enceinte. Le couple déménage à Feldmeilen, au bord du lac de Zurich, où Magdalena voit le jour. Blocher termine ses études de droit. Désormais, Silvia est maman et ménagère. «J’aimais bien enseigner. Mais, pour une femme, il était normal de rester à la maison quand on avait des enfants. Et cela me convenait.»

A Meilen, Blocher devient quatre fois papa, juriste et politicien. En 1969, il s’oppose à un projet d’usine du producteur d’aluminium d’alors, Alusuisse. Une zone agricole doit céder la place. A partir de là, tout s’enchaîne: en 1974, Blocher devient conseiller communal à Meilen, un an plus tard député au Grand Conseil, en 1979, il siège au Conseil national et, en 2003, il devient conseiller fédéral. C’est là qu’il encaisse le pire camouflet de sa vie: le parlement refuse de le réélire en 2007. «Je ne vois pas la chose comme une défaite mais comme un accident de parcours, dit-il aujourd’hui. Ce fut un coup, bien sûr, pas de quoi pavoiser.» Soudain Blocher n’avait plus rien à faire. Il avait transmis à ses enfants l’entreprise EMS-Chemie, qui lui avait valu de devenir milliardaire. «Je suis resté plutôt morose un certain temps. Puis je me suis concentré sur ma compétence: diriger.» Il crée alors la société d’investissement Robinvest et rachète la Basler Zeitung.

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Christoph Blocher devant ce qui fut la maison de ses parents, la cure de Laufen (ZH). Fabienne Buehler

La grande passion de Christoph Blocher reste la peinture du XIXe siècle. Dans sa villa de Herrliberg (ZH), il a construit une salle d’exposition souterraine. Il désigne ses chefs-d’œuvre: Hodler, Anker, Giacometti, Segantini, Vallotton, Zünd… Mais c’est surtout Anker qui le fascine: «Je crois que je discerne chez lui la beauté de la vie.» Il croit posséder la plus grande collection d’Anker, quelque 600 pièces. «Je n’ai jamais compté, mais je pense que ça m’a coûté plusieurs millions.»

A l’heure du café, on parle politique. L’échec de l’«Initiative de limitation» et le débat autour de l’accord-cadre avec l’UE suggèrent que sa lutte n’est pas terminée. «Tant que le modèle d’une Suisse libérale, à démocratie directe et neutre sera menacé et tant que j’en aurai la force, je continuerai de me battre.»

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Dans l’église de Laufen où prêchait son père Wolfram. «Je ne suis pas religieux, mais j’ai une saine confiance en Dieu», dit aujourd’hui Christoph Blocher. Fabienne Buehler

Par Onur Ogul publié le 15 octobre 2020 - 09:24, modifié 18 janvier 2021 - 21:14