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Christophe André: «Il faut capter l’énergie des bonnes choses» 

Christophe André est le psychiatre du célèbre trio formé avec un philosophe et un moine bouddhiste dont le dernier livre est un abécédaire de la sagesse. Une qualité dont nous allons avoir particulièrement besoin en 2021.

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RUDY WAKS

- Est-ce que c’est très sage de proposer aux gens d’être dans l’instant présent via la méditation? En pleine crise, on a plutôt envie de penser à l’avenir, non?
- Christophe André: Cela peut devenir certes exaspérant si on impose une overdose d’instant présent au lecteur. Mais la sagesse de l’instant présent par temps de crise, cela reste quand même vrai. Quand on se sent un peu perdu, en détresse, quand les choses sont très difficiles comme maintenant, cela peut être intéressant de se poser juste dans le présent, donc dans le réel, dans ce qui est là, ici et maintenant, parce que, souvent, ce qui nous fait souffrir ou ajoute à nos souffrances, c’est le virtuel. L’instant présent peut être désagréable – j’ai mal au ventre, j’ai le covid – mais si j’ajoute du rab en plus, que c’est injuste, que ça n’en finira jamais, que je risque de mourir, là je ne suis plus dans le présent mais dans l’anticipation. OK, j’ai de la fièvre, de la difficulté à respirer, mais je peux, tout en étant présent à ce qui ne va pas, regarder le ciel par la fenêtre, voir qu’il y a des gens qui m’aiment autour de moi, des soignants.

- On parle du prix économique de cette crise, à l’aube de l’année nouvelle. Qu’en sera-t-il du prix psychologique?
- En psychologie, quand on expose quelqu’un à des successions d’adversité, on a deux options: soit la personne s’endurcit, tire profit de l’expérience vécue pour mieux s’organiser et résiste de mieux en mieux, soit elle devient allergique et s’affaiblit de plus en plus. Ce qui fait la différence entre la voie de la résilience et la voie de l’effondrement, c’est le sentiment de contrôle. Est-ce que, face à la situation difficile, j’ai l’impression que je peux faire des choses, me protéger moi et mes proches, m’organiser, être dans un contrôle relatif? C’est tout l’enjeu. Le covid va marquer psychologiquement toutes les générations de façon considérable, même si, évidemment, ce sont les jeunes qui seront les plus touchés. L’impact est à l’image de ce que peut faire une guerre ou de ce qu’a fait le sida dans les années 1970-1980. Les jeunes de l’époque ont payé le prix d’une sexualité qui avait perdu de son insouciance et était devenue menaçante.

J’espère que l’année 2021 sera l’occasion d’une grande étape de maturation collective

- Qu’est-ce que la crise vous a appris sur un plan personnel?
- Que c’est une crise de croissance, comme on les appelle chez les enfants. Un moment qui nous donne la possibilité de grandir en devenant plus lucide et plus responsable. Elle nous rappelle que, finalement, on vivait de façon très illusoire. En croyant que les grandes épidémies étaient derrière nous, qu’il n’y aurait plus jamais de maladies infectieuses, que nos sociétés pouvaient nous protéger d’à peu près tout, que peu à peu la mort devenait une chose anormale. La pandémie ne nous apprend rien, au fond, mais nous donne l’occasion de réfléchir gentiment. N’oublions pas qu’il n’y a que 1% de mortalité. Le jour où ce chiffre s’élèvera à 5% ou à 10%, il sera temps de pleurer et de gémir. Pour l’instant, le covid nous permet une grande répétition générale, à la fois technique et psychologique: comment protéger la société d’une pandémie sur le plan économique sans massacrer l’avenir de nos jeunes et comment peut-on s’adapter aux contraintes nécessaires en temps de pandémie?

- A la lettre N de votre dictionnaire de sagesse, il y a Nietzsche, qui a écrit: «Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts.» Pourtant, vous n’aimez pas cette phrase. Pourquoi?
- Elle n’est pas généralisable à tous et, d’ailleurs, il ne parlait que pour lui et pas pour tous les humains. Je pense qu’on peut se sortir de cette crise par le haut à condition que le plus grand nombre d’entre nous fasse l’effort de réfléchir à ce qui n’est plus possible dans nos façons de vivre: les voyages incessants, les égoïsmes nationaux, cette obsession de sauver des vies au lieu de sauver des existences… Faire gagner quelques années de vie aux anciens en massacrant l’existence à venir des plus jeunes, on ne peut pas continuer comme ça sans réfléchir à ce qu’on fera lors de la prochaine pandémie. On doit se poser ces questions si l’on veut justement devenir plus forts.

- Doit-on mettre les philosophes ou les psychiatres au pouvoir, comme dans «La république» de Platon?
- Surtout pas! (Rires.) L’espèce humaine est ainsi faite qu’elle doit prendre sur la tête beaucoup de coups de marteau avant de prendre de bonnes décisions. J’espère que l’année 2021 sera l’occasion d’une grande étape de maturation collective. Maturation du politique dans un premier temps, avec plus de propositions, d’alliances, d’actions de groupe et moins de critiques, de démolition systématique. L’humanité, par le passé, a réussi à se remettre de choses bien plus terribles. Je garde ma confiance dans notre capacité à réagir, même un peu trop tard, même si on a fait des dégâts terribles et un mal fou à la planète. Je fais partie des optimistes qui pensent qu’on va réussir à inverser la course. Certes, on va hériter d’une Terre délabrée, abîmée, endommagée, mais l’être humain saura la remettre en état de marche.

Les gens comprennent souvent mal ce qu’est la psychologie positive

- C’est un postulat très optimiste. La pensée positive, ça marche toujours?
- Ce qui est vraiment important, dans cette période, c’est de se demander, au fond: qu’est-ce qui ne dépend pas de moi et que je dois accepter, qu’est-ce qui dépend de moi et que je dois à tout prix cultiver, amplifier? Les gens comprennent souvent mal ce qu’est la psychologie positive. Ce n’est pas dire que tout va bien ou ne regarder que ce qui va bien. Il faut vraiment prendre tout ce qui va bien pour changer tout ce qui va mal. La pensée positive, ce n’est en aucun cas fuir le malheur, mais l’affronter avec toutes les bonnes choses qui existent. Personnellement, j’étais content de me trouver en Europe en 2020 et pas aux Etats-Unis ou au Brésil. Ça, c’est de la pensée positive.

- Les applications de méditation comme Petit Bambou, à laquelle vous collaborez, font un tabac. Pourtant, vous dites vous-même que ce n’est pas durant la tempête qu’il faut apprendre à naviguer…
- Si je viens de perdre un enfant ou d’apprendre que j’ai un cancer, ce n’est pas en téléchargeant une application de méditation que je vais effectivement m’apaiser en un quart d’heure. Par contre, l’adversité que représente par exemple le covid, c’est une grande contrainte, une modification de mon confort de vie, mais qui me touche moins directement. Si je ne suis pas touché, cela me laisse quand même de l’espace pour faire des choses, apprendre à jouer du piano, méditer…

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Christophe André. RUDY WAKS

- A la lettre E de votre dictionnaire, il y a le mot émerveillement, qu’il nous faut réapprendre à pratiquer. Qu’est-ce qui vous a émerveillé, vous, aujourd’hui?
- Rien de particulier aujourd’hui, parce que, dans l’émerveillement, il y a quand même le fait de se sentir bouleversé. Comme lorsque je découvre au hasard d’une lecture les pensées merveilleuses d’un poète ou d’un philosophe en me disant que c’est fou que le cerveau d’un être humain puisse produire des choses aussi lumineuses. Mais plusieurs faits m’ont réjoui. Le beau ciel de ma Bretagne, avec tout à coup de magnifiques nuages de toutes les couleurs, la marée qui monte… J’aimerais vous raconter une anecdote personnelle. J’avais un maître en matière d’émerveillement, c’était mon beau-père, la seule personne que j’appelais «le maître», car c’était un maître de bonheur. Il était très drôle, très inspirant pour moi, il avait une grande chemise en carton, que l’on a découverte à sa mort, sur laquelle il avait écrit: «Choses qui m’émerveillent.» Il découpait tous les articles de journaux, toutes les bonnes nouvelles scientifiques, médicales, les avancées de la société, les petits faits divers réjouissants, et je pense souvent à ces choses qui m’émerveillent les jours où je suis grognon, énervé, où j’ai tendance à ne voir que les égoïsmes, les rouspéteurs, les trucs qui vont de travers. Finalement, c’est une attitude à cultiver. Se rappeler tout ce qui va bien ici-bas, non pas pour oublier ce qui va mal, mais pour avoir la force de le regarder en face et l’énergie de le transformer. Il faut capter l’énergie des bonnes choses pour s’attaquer aux mauvaises.

- Que mettriez-vous dans votre cahier personnel?
- Ce couple très âgé et un peu voûté que j’ai vu un jour marcher le long de la plage. Le simple fait de voir ces deux-là qui avaient traversé les années en continuant à être attachés l’un à l’autre m’a bouleversé, parce que je voyais un truc exister sous mes yeux, je voyais l’amour, l’attachement, la fidélité en action, la fragilité aussi, l’avancée vers la mort.

- Vous fustigez l’invisibilité dans laquelle les hommes ont rangé les femmes, mais vous êtes trois hommes à signer ce livre…
- J’ai ajouté cette entrée au dernier moment, en disant à mes camarades: «On ne va pas finir ce bouquin sans parler des femmes, c’est l’injustice du siècle, on représente toujours le sage sous la forme d’un vieux monsieur barbu et bienveillant.» Mais bon, j’ai déjà écrit plusieurs livres avec des femmes!

A ce jour, je n’ai honte d’aucun de mes livres

- Un de vos proches dit que votre gentillesse vous a éloigné des milieux académiques où les ego s’affrontent violemment. Il a raison?
- Oui, j’ai senti très tôt que ce n’était pas trop ma place. Même si j’ai fait le choix de rester malgré tout dans le monde de la science, de l’hôpital, de l’expertise, où il règne quand même une fraternité de savoirs réjouissante dès qu’on sort de la compétition pour certains postes ou pouvoirs. J’étais content d’y avoir un pied, mais content aussi de n’être pas dans la compétition pour ce que Christian Bobin appelle «les manteaux de gloire». Il faut aimer ça pour s’y épanouir ou être heureux. Mais chacun court après ce qui est important pour lui.

- Vous êtes une star de la littérature du développement personnel. Qui est aussi un business florissant. Avez- vous parfois la crainte d’écrire le livre de trop?
- J’ai coutume de dire qu’à tout prendre je préfère le business des livres de psychologie ou consacrés à la méditation que le commerce des armes ou la vente de gros 4x4. Le livre de trop? Sans doute, peut-être qu’un jour je l’écrirai, mais pour l’instant j’ai du bol. Mon premier livre a été un best-seller. A partir de là, tous les éditeurs m’ont fichu la paix, personne ne m’a imposé d’écrire sur tel ou tel sujet. J’ai toujours fait les livres que j’avais envie de faire. Tous ont été utiles à ma vie, m’ont permis de clarifier mes idées, de progresser, donc à ce jour je n’ai honte d’aucun d’entre eux. Il y en a certains pour lesquels il s’est passé un truc, comme quand vous avez des enfants surdoués, vous vous demandez: «Comment se fait-il qu’avec mon cerveau normal j’ai pu pondre une petite créature aussi intelligente?» C’est pareil avec mes livres, il y en a deux ou trois qui sont plus grands, plus forts, plus talentueux que moi. Ils sont sortis de mon cerveau mais je ne les mérite pas. Et puis il y en a d’autres qui me ressemblent, qui sont à ma hauteur. Mais je les aime tous. 

>> * Le livre: «Abécédaire de la sagesse», de Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard, L’Iconoclaste/Allary Edtions.


Par Baumann Patrick publié le 8 janvier 2021 - 14:41, modifié 18 janvier 2021 - 21:17